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Herrera, un tango dans l’Hérault
Ça y est, on connaît le successeur d’Olivier Giroud à la pointe de l’attaque du champion de France, Montpellier. Choix étonnant, il s’agit d’un inconnu nommé Emanuel Herrera. Un prénom biblique et un CV étonnant. Il y a un peu plus d’un an, il était en D2 chilienne. Et dans deux mois, il jouera la Ligue des champions. Portrait d’une curiosité.
Loulou Nicollin aime bien les paris. Après tout, qui aurait misé un kopeck sur Giroud, il y a deux ans ? Qui aurait cru, à l’époque, que ce mec venu de L2 serait le protagoniste d’un titre de champion de France, avec la distinction de meilleur buteur du championnat ? Ouais, pas grand monde. Mais, certes, l’époque n’était pas la même. Aujourd’hui, Montpellier est champion de France. Et pourtant, Loulou va continuer les paris. Après avoir recruté le « sosie » de Giroud en terme de trajectoire, Gaëtan Charbonnier, il s’agissait de trouver une pointure. Le président montpelliérain a posé son doigt sur un « danseur de tango » , Emanuel Herrera. Un sacré buteur, si l’on mate ses récentes statistiques. Mais c’est bien là le problème : Herrera, 25 ans, n’existe que depuis quelques mois. Depuis un peu plus d’un an, en fait, avec son exil au Chili, en deuxième division. Avant ça, c’était la lose et la déprime en Argentine. Alors, c’est lui qui devra claquer les pions en LDC ? Vraiment ?
Conçu au Chili
Emanuel Herrera est natif de Rosario, Argentine. Même lieu, même année que Leo Messi, tiens. Sauf que contrairement au maître à jouer barcelonais, formé au Newell’s Old Boys, Herrera ira taper ses premiers ballons chez le rival, à Rosario Central. Le bonhomme ne laissera pas grand souvenir à son club formateur, et c’est le moins que l’on puisse dire. Il en sort par la petite porte, en 2008, alors que le temps est venu de passer pro. Loin d’être précoce, Herrera a déjà 21 ans. Et n’a pas d’autres choix que de signer dans un pauvre club de seconde division argentine, le Club Atlético Chacarita Juniors. Une année, deux petits matchs, pas un but et puis s’en va. Même destin au club suivant, le Sportivo Italiano, et encore à l’autre, le Club Atlético de Paraná. Total de ses trois saisons en seconde division argentine : 16 rencontres pour pas un but. Dur. En repensant à cette époque de disette, le « buteur » avoue aujourd’hui qu’il avait songé à arrêter le football. À pas loin de 23 ans, presque logique. Mais c’est justement le moment où Emanuel va prendre un nouveau tournant, braver l’inconnu, repartir de zéro. Va pour le Chili et le Club Deportes Concepción, pas regardant en matière de statistiques. Concepción… Tout, sauf un hasard.
Car, bizarrement, Emanuel va s’y faire un nom, grâce à ce qui lui a fait défaut jusque là : le but. En un an, et 35 rencontres, il claquera 27 buts, raflant les titres de meilleur buteur des championnats Apertura (avec 11 réalisations) et Clausura (16). La raison d’une telle métamorphose ? Selon l’intéressé, un coach : Oscar del Solar. Un vieux briscard qui roule sa bosse depuis une dizaine d’années dans le foot latino et qui aime bien les Argentins. Un entraîneur qui remontera le buteur comme une pendule. Et alors que Concepción manque la montée pour deux petits points, les gros clubs de l’élite frappent à la porte, en cet hiver 2011. Herrera entrevoit la chance de sa vie en signant avec le Club Unión Española. À ce moment-là, c’est quitte ou double : ça passe ou ça recasse.
Taillé pour La Paillade ?
Et bien, bingo ! Le changement d’environnement ne semble pas troubler notre homme, au contraire. Le voici qui marche sur l’eau en première division (10 buts en 17 matchs de championnat) et, plus largement, sur les pelouses sud-américaines. Son club est qualifié pour la Libertadores, Herrera s’y montrera à son avantage : avec 5 buts en 10 rencontres, il contribue à la réussite de l’Unión en phase de poules. Il ne pourra rien faire en huitième, face à ses compatriotes du Boca Juniors, futurs finalistes de la compétition. Au final, en six mois, Emanuel présentera des stats de véritable attaquant, avec 16 buts en 31 matchs. Six mois, la durée de vie de cet attaquant au plus haut niveau. Un « plus haut niveau » contestable, diront les plus sceptiques, puisque l’on parle du championnat chilien.
Mais le débat se situe davantage sur le plan de son adaptation au championnat de France, ainsi que de sa participation dans le jeu montpelliérain. Si son goût du voyage a payé, le prochain l’envoie en Europe, vers une culture sensiblement différente. Niveau football, Herrera est un type physique (1,86m), que l’on peut imaginer dans le même registre que Giroud. Sauf que le loustic est sans doute plus rapide, plus dribbleur et moins bon dans le jeu dos au but et la conservation, grande force de son prédécesseur. À noter qu’il est aussi très dépendant de son pied droit, avec lequel il a inscrit la quasi-totalité de ses buts. Alors, non, mis à part un tatouage sur le biceps, Herrera n’est pas un sosie. Son parcours atypique ne pousse pas forcément à l’enthousiasme, et le passage de l’Atlantique pourrait lui être fatal. Néanmoins, et ce n’est pas un hasard, il n’a pas choisi un club où la pression est étouffante. Une ville du Sud chaleureuse, un club tranquille qui ne vise pas la lune, un groupe fort d’une belle mentalité collective. Bref, le lieu idéal pour s’adapter, grandir et se révéler au vieux continent. Un truc qui a marché pour Tino Costa, notamment. Ça, Loulou le sait bien. Et les danseurs de tango lui ont jusque-là bien réussi.
Par Alexandre Pauwels