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Herbin à l’OL, la greffe rejetée

Simon Butel
7 minutes
Herbin à l’OL, la greffe rejetée

Artisan de quinze des dix-sept trophées nationaux glanés par l'AS Saint-Étienne, Robert Herbin, décédé ce lundi à l'âge de 81 ans, restera aussi comme le dernier coach avec qui le rival lyonnais est descendu en deuxième division, en 1983. Ultime preuve d'amour envers les Verts ? Retour de karma, plutôt, si l'on en croit la trajectoire du Sphinx, dont la carrière d'entraîneur a réellement commencé à s'essouffler une fois enfilé le survêt' des Gones. Ou comment un pied de nez s'est transformé en croche-pied.

Pour l’Olympique lyonnais et son entraîneur Vladimir Kovačević, cette nouvelle fessée reçue à Nancy (5-2), quelques semaines après celles infligées par Rouen (0-4) et Tours (3-0), deux concurrents dans la course au maintien en Division 1, est celle de trop. D’autant qu’elle survient sept jours après un autre revers dans le derby à Saint-Étienne (1-0), qui joue également sa peau. Lanterne rouge pour la première fois de la saison, ce 21 février 1983, son équipe n’est pas larguée : Toulouse, le barragiste, et Sainté, le premier non-relégable, ne sont qu’à trois points. Mais sa dynamique (cinq défaites lors des six dernières journées), sa fragilité défensive (48 buts encaissés en 25 journées), son incapacité à prendre les points contre ses adversaires directs et sa propension aussi soudaine qu’inquiétante à lâcher les matchs en font un candidat tout désigné à la relégation en D2. Et font penser à Charles Mighirian, le tout nouveau président lyonnais, que la révolution ne doit pas se limiter qu’aux bureaux de l’OL, dont les finances sont par ailleurs désastreuses.

Emon : « L’équipe n’était pas au niveau de l’entraîneur »

À la tête du club depuis un petit mois, le quadruple champion de France de sport-boules – qui est à Lyon ce que la pétanque est à Marseille – et ancien vice-président du Nîmes Olympique débarque l’entraîneur serbe, son directeur sportif Fleury Di Nallo, et sort de son chapeau Robert Herbin. On ne présente plus le bonhomme : à bientôt 44 ans, un âge où certains de ses homologues n’en sont qu’aux balbutiements de leur carrière, le technicien a déjà empilé quatre titres de champion de France et trois coupes de France sur le banc voisin de l’AS Saint-Étienne, un club qu’il a quitté après l’affaire de la caisse noire. D’un point de vue sportif, le coup semble aussi énorme que le pied de nez adressé aux Verts. Mighirian a-t-il vu trop grand, eu égard aux moyens lyonnais du moment ? Qu’importe, ce nom ramène à lui seul l’espoir au sein d’un groupe en perdition. « On était assez fiers, confirme Albert Emon, meilleur buteur des Gones cette saison-là avec douze pions. On pensait tous qu’avec lui, on pourrait s’en sortir. »

Mais la magie n’opère pas, ou trop peu. Si « le Sphinx » et ses ouailles signent cinq victoires lors des treize dernières journées (soit une de moins seulement qu’en vingt-cinq matchs avec Kovačević), dont le tout premier face à Lens (1-0), l’opération maintien vire le plus souvent à l’opération portes ouvertes. Prise en défaut 29 fois sur cette période, la défense rhodanienne conclut la saison avec 77 buts encaissés, le pire total de la division, le deuxième plus mauvais total de l’histoire de l’Olympique lyonnais dans l’élite (78 buts en 1969-1970). Difficile, dans ces conditions, d’échapper au couperet, lequel tombe à Auxerre lors de l’ultime journée (3-1), le 3 juin 1983. Après 28 saisons en première division, auréolées de deux podiums et dix qualifications européennes, Lyon retombe en D2. Herbin peut-il seulement être tenu responsable de cette descente, lui qui a hérité sur le tard d’une équipe à l’agonie ? Pour Albert Emon, la réponse est non : « Ce sont les joueurs qui jouent. Or l’équipe n’était pas au niveau de l’entraîneur. On n’avait pas assez de collectif. »

Il n’y a qu’un seul Olympique

Un avis vraisemblablement partagé par Charles Mighirian. En dépit de l’incertitude sportive, mais aussi financière (les joueurs ont dû consentir en cours de saison à une baisse de salaire pour éviter au club un dépôt de bilan), le dirigeant entame dès le mois de mai des démarches pour prolonger son entraîneur. Lequel assure que la D2, qu’il a connue en tant que joueur et qui se rapproche alors dangereusement, « n’est pas un problème ». Le quotidien Le Progrès fait état d’un contrat de trois ans. Mais, froissé que les détails de la négociation fuitent dans la presse – ce qui lui donne la désagréable impression d’avoir « le couteau sous la gorge » –, Herbin fait ramener le bail à un an, dans un premier temps. « J’ai besoin de voir tout au long de la saison prochaine dans quel climat je pourrai travailler, prétexte-t-il. Je ne m’engage donc que pour un an avec la perspective, je le souhaite, de poursuivre quelque chose qui à mon avis devrait permettre à l’OL de redresser la tête et d’avoir une équipe compétitive dans les années à venir. »

Compétitifs, des Gones rajeunis le seront dès la reprise, malgré les départs estivaux d’Emon, Serge Chiesa et Jean-François Domergue, en partie guidés par la nécessité de réduire considérablement la voilure, alors que plane toujours la menace d’un dépôt de bilan. Invaincu après dix journées, Lyon tient longtemps en respect l’Olympique de Marseille, leader du groupe A (la D2 comportait alors deux poules) d’un bout à l’autre de la saison et vainqueur étriqué au Vélodrome au match aller (0-1). Dans le sillage des Phocéens jusqu’à la trentième journée, l’OL perd toutefois pied au printemps, ne remportant qu’un seul de ses huit derniers matchs. Devancés par l’OM et Nice, Herbin et ses hommes échouent en match de pré-barrage sur le terrain du RC Paris, vainqueur en prolongation (3-1) et finalement promu dans l’élite après avoir écarté Nice puis… Saint-Étienne, 18e de D1. Frustrant, mais grisant : « Le rouquin » replonge. En prenant soin d’agripper Charles Mighirian par le bras au préalable.

Une manita et un double désaveu

Alors que l’OL lutte toujours pour sa survie financière, le technicien convainc son président d’engager des dépenses déraisonnables pour signer Félix Lacuesta (Strasbourg) et les internationaux Jean-François Larios (Neuchâtel Xamax) et Olivier Rouyer. L’ambition est à ce prix. « Avec une telle équipe, on s’est dit qu’on allait réussir, revoit Rouyer, transfuge de Strasbourg lui aussi. Mais ça n’a pas pris. Il y avait un manque de cohésion, d’équilibre dans l’équipe. On avait une équipe cohérente, mais il faut bien admettre qu’on n’a pas été au niveau attendu. » En particulier sur le plan mental, où les Rhodaniens n’apparaissent pas suffisamment armés pour affronter une division où cohabitent clubs historiques (Saint-Étienne, Nice, Cannes, Montpellier, Nîmes) et équipes de préfectures (La Roche-sur-Yon, Valence, Le Puy-en-Velay, Limoges), sous-préfectures (Thonon, Alès, Béziers) et chef-lieu de canton (Gueugnon). « On s’est peut-être vus un peu trop beaux, reconnaît « la rouille » . Quand vous arrivez au Puy, ça fait tout bizarre… On n’a pas su s’adapter, on a souvent été surpris, et on s’est fait secouer une paire de fois par des joueurs sans doute moins forts techniquement que nous. Il nous manquait la détermination, la gnaque. »

Il faut dire qu’entre Herbin et son groupe, le courant peine à passer. « Il avait une ligne directrice et n’en bougeait pas, résume Rouyer. On ne l’a pas toujours compris, ni été toujours d’accord avec lui. Je ne sais pas si c’était lié à son passé à Saint-Étienne, mais le feeling n’était pas très positif. Peut-être aussi qu’on attendait trop de lui, ou que lui attendait trop de nous. » Quatorzième (sur dix-huit) de sa poule à la mi-saison et longtemps sous la menace d’une descente en troisième division, Lyon touche le fond le 23 février 1985, date à laquelle Saint-Étienne danse sur Gerland (1-5). Quelques semaines plus tard, au sortir d’un nul piteux face à Thonon (0-0), Mighirian rompt le contrat de Lacuesta pour « carences personnelles et professionnelles ». Lourd de sens, ce licenciement se double d’un autre désaveu à l’encontre de Robert Herbin : l’intronisation à ses côtés d’André Ferri, alors capitaine des Gones, dans un rôle de joueur-adjoint. Une fois le milieu de terrain promu, l’OL ne perd plus, concluant à la septième place de sa poule cette saison 1984-1985. La troisième et dernière sur le banc lyonnais de Robert Herbin, qui ne remettra jamais la main sur son mojo, égaré quelque part entre Rhône et Saône. Là-dessus aussi, le Sphinx aura été un précurseur.

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Simon Butel

Propos d'AE et OR recueillis par SB. Propos de RH tirés d'archives de l'INA.

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