Comment avez-vous commencé à enquêter sur cette affaire ?
Mon collègue, Jonathan Calvert, et moi formons l’unité d’investigation du Sunday Times. Nous avons commencé à travailler sur ces documents il y a environ dix semaines. Nous avons travaillé dans un endroit isolé, en dehors du bureau, pour essayer de disséquer ces fichiers. Ils nous sont parvenus grâce à des recherches et des articles que nous avions déjà écrits, lorsque nous avons commencé à travailler sur une potentielle corruption dans l’obtention de la Coupe du monde par le Qatar. Notre source nous a approchés à ce moment-là pour nous confier ces documents.
Quel a été le tournant de cette enquête ? Quand avez-vous été sûrs de l’existence de corruption dans cette affaire ?
En fait, cela a été vraiment un long processus pour arriver à se faire une image de ce que faisait Mohammed Bin Hammam au nom de la candidature qatarie. Cela a plutôt été un processus lent et minutieux, ce n’est pas comme si nous avions pris quelqu’un en flagrant délit ! La force de ces informations réside dans le détail qu’elles donnent pour se faire une image très nette de l’affaire. Il y a eu néanmoins un moment où nous avons compris que l’on tenait quelque chose de très concret : lorsque nous avons découvert la caisse noire qu’utilisait Mohammed Bin Hammam pour effectuer des versements à tous ces dirigeants. Nous avons découvert qu’il utilisait des comptes de sa propre société, Kemco, pour faire la plupart de ces paiements. Lorsque nous avons compris qu’il s’agissait de la source de l’argent, nous avons pu identifier toute une série de paiements et effectuer des recherches sur cette société et sur ces comptes en particulier, ce qui a vraiment été le tournant de notre enquête.
Avez-vous subi des pressions durant vos recherches ?
Personne ne savait que nous travaillions là-dessus, en dehors de nos sources. Mis à part les gens que nous accusions en les confrontant aux preuves, qui menaçaient de nous traîner en justice, on nous a laissés tranquilles.
Aviez-vous des consignes de votre rédacteur en chef ?
Nos supérieurs ont été fantastiques. Ils ont compris dès le début que nous tenions des informations très importantes et que nous devions mobiliser toutes nos ressources et notre temps pour éplucher tous ces documents. Ils nous ont également confié beaucoup de place dans l’édition de ce weekend, ce qui est très bénéfique pour raconter en détail l’histoire.
Hier, le comité d’organisation a évidemment nié toute tentative de corruption, en indiquant que Bin Hammam n’avait joué aucun rôle dans la candidature du Qatar. Qu’avez-vous à leur répondre ?
Nous avons encore de très nombreuses preuves, que nous n’avons pas encore publiées, et qui sortiront au cours des prochaines semaines. Nous n’avons pas encore terminé d’éplucher les dossiers que nous avons en notre possession, puisqu’il y a des millions de documents. Cela va nous prendre très longtemps. Mais les documents que nous avons étudiés montrent, sans l’ombre d’un doute, que Mohammed Bin Hammam travaillait de très près avec la candidature qatarie, dans l’obtention de votes cruciaux, et nous continuerons de publier des preuves. Au vu des documents que nous avons étudiés, il est absolument intenable de soutenir que Bin Hammam n’avait rien à voir avec la candidature officielle.
Il n’y a aucun doute sur le fait que Bin Hammam travaillait conjointement avec le comité d’organisation
La FIFA vous a-t-elle contactés ?
À vrai dire, non. Vous pourriez penser que l’institution montrerait un certain intérêt pour ces informations, mais nous n’avons rien reçu pour l’instant. Nous serions ravis de parler avec eux s’ils souhaitent nous contacter.
À quoi peut-on s’attendre maintenant ? Vous pensez qu’il y aura un nouveau vote ?
Nous souhaitons qu’il y ait un autre vote, pour avoir enfin un processus juste et transparent, mais je crois qu’il n’y a que très peu de chances de voir la FIFA reconnaître sa responsabilité dans cette affaire. Michael Garcia, le procureur chargé des questions d’éthique de la FIFA, enquête depuis longtemps sur l’existence de corruption dans l’offre qatarie. Il peut toujours écrire un rapport qui sera rendu dans quelques mois. Le seul souci, c’est que son rapport ne sera jamais publié, donc personne à part Sepp Blatter, ses amis de la FIFA et le comité d’éthique, ne sera au courant de ses découvertes. Cela fait deux ans qu’il enquête sur cette affaire, et n’a jamais trouvé de preuves concrètes, donc arrive un moment où vous vous demandez si cette enquête est très efficace… Nous avons besoin d’une décision rapide, et la FIFA doit statuer et décider de ce qu’elle va faire.
Vous pensez que la FIFA va reculer maintenant ?
La FIFA ne devrait pas se laisser acheter. Le Qatar a investi énormément d’argent pour consolider sa place dans le football mondial, mais cela ne devrait pas influencer la FIFA dans sa réponse aux preuves que nous avons publiées. La FIFA doit organiser un nouveau vote, se faire une image claire du Qatar, et prendre une décision basée sur l’éthique plutôt que sur l’argent. Nous continuerons à publier nos preuves et à en chercher de nouvelles. En ce qui nous concerne, il n’y a aucun doute sur le fait que Bin Hammam travaillait conjointement avec le comité d’organisation. Un membre important d’un des comités rivaux des Qataris nous a appelés hier pour nous indiquer qu’il était absurde et intenable de se défendre en affirmant le contraire, alors que tout le monde sait qu’il était leur homme de l’intérieur à la FIFA, chargé de faire du lobbying en faveur de la candidature qatarie.