- Les pelouses du Tour
- Étape 6 : Vesoul > Troyes
Hector Maison : « C’était vraiment un beau gabarit, le général de Gaulle »
Le Tour traverse aujourd'hui Colombey-les-Deux-Églises avec une petite pensée pour Charles de Gaulle, mort et enterré dans cette commune où il avait élu domicile. Mais le 21 mai 1967, le général était au Parc des Princes pour assister à la finale de Coupe de France en tant que président de la République. Ce jour-là, le Lyonnais, Hector Maison, a eu la bonne idée de dégager un ballon un peu trop loin en tribune, jusque sur les genoux de l'homme du 18 juin. Voyage cinquante ans en arrière avec celui qui a joué au football avec Charles de Gaulle.
Vidéo : Résumé de la finale de la Coupe de France 1967. À 2min58, Charles de Gaulle relance le ballon sur le terrain.
Vous êtes né en Argentine, puis vous êtes arrivé en France à l’âge de vingt-cinq ans en 1961.J’ai joué professionnel en Argentine, à Buenos Aires, et un ami du club m’a proposé à l’OGC Nice. J’avais deux sélections avec l’Argentine à l’époque, et on a proposé mon dossier à Nice qui l’a accepté. Mon gros avantage, c’est que mon arrière-grand-père était de Toulon, donc je pouvais faire une demande de nationalité française, puisqu’à l’époque, il n’y avait droit qu’à trois joueurs extra-communautaires dans l’effectif. Finalement, je n’ai pas eu à le faire à Nice et j’ai conservé la nationalité argentine. Mais quand je suis parti à Lyon, pour faire jouer un autre joueur, j’ai demandé ma naturalisation.
Votre acclimatation à Nice, ça a été simple ?Non, ça a été un peu compliqué, les gens de la région sont chauvins ! Mais j’avais des amis italiens en Argentine, donc je parlais déjà un peu italien. Et comme le niçois, la langue, s’approche de l’italien, j’ai vite réussi à me faire des connaissances. Et comme je parlais aussi espagnol, j’ai appris le français sur le tas en six mois environ. J’ai des facilités pour les langues, le français est vite venu !
Et donc en 1967, vous jouez à Lyon, et il y a cette finale de Coupe de France contre Sochaux. C’était le match le plus important de votre carrière ?Oui, ça a été le plus gros match. J’avais déjà connu une montée de D2 en D1, mais la finale de la Coupe de France, c’est le moment le plus fort de ma carrière.
En plus, Lyon a un sacré parcours cette année-là en Coupe. Presque que des équipes de D1, un derby contre Saint-Étienne en seizième de finale…Surtout qu’on n’était pas bien classés en championnat à cette époque-là ! Le derby a été un match important, on le gagne 2-0.
Le jour de la finale, le général de Gaulle est là et il vient serrer la main des joueurs sur la pelouse avant le coup d’envoi. Un frisson ?Serrer la main à De Gaulle… C’était très important. Il avait une main immense ! C’était vraiment impressionnant, ça a été un grand honneur.
Mais pour un jeune expatrié comme vous, il représentait quoi le général ? Quel regard vous portiez sur lui ?Ça représentait la France. Pour moi, c’était un rêve d’être ici. En plus, c’est la terre de mes ancêtres. Puis être là, à côté du président… Mais le plus marquant, c’était sa poigne. Je vous dit, quand il m’a serré la main, ça m’a beaucoup marqué. Cette grande main qui a recouvert la mienne, ça a été un honneur énorme.
Le match en lui-même, vous vous en souvenez ?Je ne sais plus si on était menés ou pas au début. Je sais qu’il y a longtemps eu égalité, moi j’ai eu la chance de faire une passe décisive pendant le match, j’ai été l’un des meilleurs joueurs du match avec Fleury Di Nallo. C’est un très grand souvenir, gagner une finale en faisant en plus un match abouti.
Bon, on va en arriver au fameux moment où vous dégagez un ballon sur le général de Gaulle, qui était tranquillement assis en tribune présidentielle. Racontez-nous tout.C’est à la fin du match, et je voulais gagner du temps. J’étais au duel avec un joueur sochalien sur le bord de la ligne de touche, au milieu de terrain, et je dégage en tribune simplement pour gagner du temps. C’est drôle, parce qu’en conférence de presse d’après-match, j’ai déclaré que j’avais joué avec le général de Gaulle, que je l’avais cherché et que je lui avais donné la balle ! Mais la réalité est tout autre, je voulais simplement gagner du temps et le ballon est tombé sur les genoux du général, qui s’est levé et qui a renvoyé la balle. Et tout le stade s’est mis à crier.
Il paraît qu’en relançant le ballon, De Gaulle aurait déclaré : « Je dois tout faire moi-même dans ce pays ! » C’est vrai ou c’est un légende ? Je ne sais pas du tout, je ne peux pas le confirmer. Mais à ce moment-là, on s’est tous les deux fait un signe de la main !
Quand vous voyez votre ballon arriver sur De Gaulle, vous avez eu peur de lui faire mal ?Quand le ballon est tombé, j’ai pensé à me replacer. Et c’est en entendant les gens crier et le général se lever que je me suis rendu compte que le ballon avait atterri sur lui.
Ensuite, vous avez réussi à vous concentrer à nouveau sur le match ?Bien sûr, j’étais dans mon match. On était quand même professionnels, même si c’est un autre temps par rapport au football moderne.
À la fin du match, après la victoire de Lyon, au moment où le général remet le trophée, vous lui en parlez ?Non, pas du tout. Je suis quelqu’un de modeste, je n’aurais jamais osé plaisanter comme ça avec le général de Gaulle. On s’est serré la main, Fleury Di Nallo a récupéré le trophée, et j’ai eu la chance de faire le tour du stade avec. Et aujourd’hui, au moment de la finale de la Coupe de France, chaque année, L’Équipe fait des articles sur les moments forts de la Coupe de France et je suis classé premier. Il y a cette image de De Gaulle qui se lève, et qui me jette le ballon en contrebas…
D’ailleurs, au Parc des Princes la tribune présidentielle n’est pas tout près de la pelouse. Il a dû faire une sacrée touche, le général, pour vous renvoyer le ballon !Oui, c’est vrai, elle est un peu haute. Il a envoyé le ballon des deux mains, et jusqu’en bas, il y est arrivé. Mais c’était vraiment un beau gabarit, le général de Gaulle. Quand je lui ai serré la main, c’était très impressionnant parce qu’il était le président, mais aussi quand j’ai senti sa poigne… Ça m’a vraiment marqué.
Quelques années plus tard, quand le général quitte le pouvoir en 1969 puis décède en 1970, vous avez eu une émotion particulière ?Bien sûr, j’ai coulé une petite larme. Pour les étrangers, De Gaulle c’est une institution. De l’avoir rencontré, c’était génial. Alors de l’avoir perdu, forcément… Quand on s’attache à un souvenir émotionnel fort autour d’une personne, c’est un peu comme s’il faisait partie de la famille. Quand il est décédé, bien sûr que ça m’a marqué.
Propos recueillis par Alexandre Doskov