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Haut-Karabagh : un conflit qui s’intensifie

Par Alexis Billebault
Haut-Karabagh : un conflit qui s’intensifie

Depuis le 25 septembre dernier, les hostilités entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont repris, dans un conflit territorial ayant pour origine le Haut-Karabagh, situé sur le territoire azéri, mais très majoritairement peuplé d’Arméniens, et particulièrement meurtrier. L’UEFA et la FIFA se disent « attentives » à la situation, qui a déjà eu quelques répercussions au niveau sportif.

Jeudi dernier, à l’occasion du play-off qualificatif pour la phase de groupes de la Ligue Europa, l’Ararat-Armenia Erevan n’a pas accueilli l’Étoile rouge de Belgrade dans la capitale arménienne, mais au GPS Stadium de Nicosie, à Chypre. L’élimination du club de Yoan Gouffran par les Serbes (1-2) règle définitivement l’affaire pour les Arméniens, mais l’UEFA, au cas où le conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’étire dans le temps, devra trouver une solution pour les matchs à domicile des Azéris de Qarabağ FK, revenus de Pologne avec une large qualification obtenue face au Legia Varsovie (3-0).

L’UEFA et la FIFA attentives

L’instance qui dirige le football européen suit évidemment de très près l’évolution de la situation. La FIFA également. À court terme, plusieurs échéances concernant les fédérations arménienne et azérie figurent au calendrier international. Le 7 octobre, l’Arménie doit accueillir l’Albanie en match amical à Erevan, puis la Géorgie quatre jours plus tard, pour la troisième journée de la Ligue des nations 2020-2021. L’Azerbaïdjan, de son côté, est censé recevoir Chypre le 13 à Bakou, dans le cadre de cette compétition. À l’heure qu’il est, l’UEFA n’a pris aucune décision quant à une éventuelle délocalisation de ces matchs, alors que la loi martiale a été prononcée dans les deux capitales, et un couvre-feu décrété à Bakou. L’UEFA est d’autant plus vigilante que Bakou fait partie des villes retenues pour l’Euro 2021 (11 juin-11 juillet). Quatre matchs – Pays de Galles-Suisse le 12 juin, Turquie-Pays de Galles le 16, Turquie-Suisse le 20 et un quart de finale, le 3 juillet – sont en effet programmés au stade olympique de Bakou. L’instance a rappelé, lors d’un échange avec L’Équipe, « que l’Euro doit débuter dans environ neuf mois, et que les matchs doivent se dérouler comme prévu ».

Pour l’instant, les deux pays sont davantage préoccupés par ce conflit que par l’Euro, la Ligue des nations ou la Ligue Europa. Devant les bureaux de recrutement des deux pays, les volontaires pour aller au front aux côtés de l’armée régulière sont de plus en plus nombreux. Les Arméniens âgés de moins de 40 ans sont invités à s’y présenter, un appel qui a poussé l’international Varazdat Haroyan, qui venait de passer trois ans au FK Oural Iekaterinburg (Russie) à faire poireauter le temps qu’il faudra les Grecs de l’AEL Larissa, sa nouvelle destination. À plusieurs reprises, ce conflit a eu des conséquences en matière de football. Ainsi, lors du tirage au sort des qualifications pour l’Euro 2008, l’UEFA n’avait pas pris la peine de faire en sorte que les deux sélections ne tombent pas dans le même groupe. Évidemment, c’est exactement ce qui s’était produit : l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’étaient retrouvés dans la même poule avec la Belgique, le Kazakhstan, la Pologne, le Portugal, la Finlande et la Serbie. Mais les deux matchs prévus sur terrains neutres n’eurent finalement jamais lieu.

Qarabağ FK, fondé à Agdam, devenue une ville fantôme

Plus récemment, Henrik Mkhitaryan, le capitaine de l’Arménie, n’avait pas pu se déplacer à Bakou, pour des raisons diplomatiques. La première fois en 2015, alors que son club d’alors, le Borussia Dortmund, devait s’y rendre pour affronter le Qarabağ FK, un des meilleurs clubs du pays. Et lors de la saison 2018-2019, l’attaquant avait été dispensé de déplacement par les dirigeants d’Arsenal pour le match contre cette même équipe de Qarabağ, avant de renoncer à jouer la finale de la Ligue Europa organisée dans la capitale de l’Azerbaïdjan et perdue face à Chelsea (1-4). D’ailleurs, le club de Qarabağ (ou Qarabağh) a été fondé en 1951 dans la ville d’Agdam, située dans le Haut-Karabagh, en pleine zone de conflit. La ville, durement touchée par les combats, a été complètement abandonnée par ses habitants, qui étaient un peu plus de 28 000 à y vivre à l’époque, faisant d’elle une cité fantôme. Et l’équipe joue depuis tous ses matchs à Bakou.

Ce conflit, vieux de 99 ans, a fait, depuis qu’il a repris, près de 250 morts, dont une majorité de civils. Les deux belligérants n’ont pour l’instant pas accordé la moindre attention aux demandes de cessez-le-feu émanant, notamment, de l’Union européenne et des Nations unies. « Les combats ne vont pas s’arrêter demain. Cela peut encore durer plusieurs semaines. Il y a régulièrement des accrochages, plus ou moins graves. Il y a une dimension nationaliste très forte des deux côtés », explique le politologue Didier Billion, directeur-adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Caucase. Le Haut-Karabagh, un territoire de 11 430 km², avec une population d’environ 149 000 habitants (estimation 2015), est situé en territoire azéri, mais peuplé à 95 % d’Arméniens. Après la dislocation de l’URSS en 1991, il a proclamé son indépendance, qu’aucun pays membre de l’Organisation des Nations unies (ONU) – dont l’Arménie – n’a reconnue.

Poutine, Erdoğan et l’ONU

Une trêve, négociée par la Russie de Boris Eltsine, a été signée en mai 1994, après plusieurs années de combats aussi intenses que violents, et ayant causé la mort d’au moins 30 000 personnes, essentiellement civiles. Depuis 26 ans, et jusqu’à la reprise des hostilités le 25 septembre, quelques accrochages ont eu lieu, comme en avril 2016, avec la guerre des quatre jours, à la suite d’une attaque de l’armée azérie. « Ce conflit appartient à la catégorie dite des conflits gelés. On sait qu’il existe, on ne s’en occupe pas trop, et d’un coup, il y a une étincelle ! Cette fois-ci, cela dure plus longtemps, et il y a déjà près de 250 morts et de nombreux blessés. Ce qui est inquiétant, c’est que les deux pays ne veulent pas entendre parler d’un arrêt des combats. Le sentiment nationaliste y est très fort, exacerbé. Il faut prendre également en compte la dimension ethnique. L’Azerbaïdjan est majoritairement musulman, l’Arménie chrétienne. À l’origine des affrontements, il est question d’une incursion de l’armée arménienne en territoire azéri, et d’une riposte de ceux-ci. Mais il y a beaucoup de choses qui circulent sur les réseaux sociaux, des fake news, et il faut être très prudent », ajoute Didier Bellion.

La communauté internationale suit de près la situation. La Russie notamment qui, business as usual, vend des armes aux deux pays. « Le Caucase, c’est un peu l’arrière-cour de la Russie, et celle-ci n’a pas intérêt à ce que ce soit trop le bordel. Vladimir Poutine veut rester le maître du jeu. La Russie adopte une position assez neutre, demandant aux deux parties de discuter et de négocier. Et elle ne voit pas d’un bon œil le rôle pris par la Turquie dans ce conflit », poursuit le chercheur. Recep Erdoğan, le président turc, s’y est en effet invité en assurant que son pays « soutiendrait l’Azerbaïdjan par tous les moyens. » « La Russie et la Turquie ont des relations cordiales sur certains points, mais sont en désaccord sur d’autres. On entend même dire que les Turcs ont envoyé des mercenaires syriens, notamment, sur la zone de guerre. Emmanuel Macron l’a d’ailleurs dit lui-même. » À l’heure actuelle, aucun signe d’apaisement n’est perceptible. Les combats se sont même intensifiés ces derniers jours, débordant de l’enclave du Haut-Karabagh. L’Azerbaïdjan a accusé l’Arménie d’avoir pilonné des zones urbaines, dont la ville de Ganja, alors que Stepanakert, la capitale du Haut-Karabagh, est régulièrement bombardée par l’aviation azérie. Le conflit semble loin d’être terminé…

Par Alexis Billebault

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