- France
- Le Havre
Harold Moukoudi : « L’AC Ajaccio a le droit d’avoir une fierté. Mais le HAC aussi »
Ça ne lui fait pas plus plaisir que ça, mais Harold Moukoudi (20 ans) est en vacances. Le défenseur central du Havre AC ne digère pas l’élimination de son équipe, dimanche, en pré-barrage à Ajaccio (2-2 ap, 5-3 tab) et surtout le contexte nauséabond dans lequel ce dernier s’est déroulé. Le futur capitaine du club normand revient sur tout : les insultes racistes, le caillassage du bus, la célébration de Mateta, la toute petite attitude de Gimbert et la gestion de la situation par la LFP.
À quoi ressemble la vie d’un joueur du HAC depuis vendredi ? On dort normalement ?Sincèrement, non. J’ai mal dormi. J’ai repensé au match durant toute la nuit de dimanche à lundi. J’ai dû dormir aux alentours de 7h30. J’ai repensé à tout… J’ai fini par fermer les yeux d’épuisement et parce qu’il y avait une réunion avec le groupe le lendemain matin.
Est-on préparé à ce type d’événement lorsqu’on est un jeune joueur professionnel ?Non, car ce qu’il s’est passé n’a rien à voir avec le football. Un pré-barrage, ça doit être une fête. Là, ce n’était pas vraiment une fête… Et comme on n’est pas préparés à ça, on improvise. Je suis encore choqué de tout ce que j’ai entendu et vu, mais mentalement, je sais que j’ai la force pour passer au-dessus de ça.
Tu fais référence à dimanche, où tout a dégénéré ?À tout. Au vendredi et au dimanche. Aux insultes racistes… Je n’avais encore jamais été confronté à ça. Lors d’un match, jamais. Là, ils scandaient des insultes racistes comme on dit bonjour. Pour eux, ça avait l’air normal.
Il y a une insulte qui vous a plus affecté qu’une autre ?Non. Mais cette expérience m’a permis d’apprendre qu’on pouvait être traité de « sale Français » par un autre Français.
Cet après-midi (mardi), malgré la décision de la LFP de valider la qualification d’Ajaccio, vous vous êtes entraînés. Pourquoi ? Il faut l’avouer : que ce soit moi ou tout le reste du groupe, jusqu’à l’annonce de la LFP, on y croyait vraiment. Justice devait être faite. C’était tellement évident, il y avait tellement de choses scandaleuses dans cette histoire que la Ligue allait finir par ouvrir les yeux. Mais non… J’ai l’impression que, selon la position géographique du club, les règles ne sont pas les mêmes. Sous prétexte qu’on est en Corse, Mateta n’a pas le droit de faire une célébration qu’il a déjà faite plein de fois cette saison ? Quand c’est Fekir ou Messi qui font ça, on crie au génie. Si vous regardez bien, quand il fait sa célébration, aucun de nous ne fonce vers lui pour lui dire d’arrêter. Parce que pour nous, il n’y a aucun doute sur le fait qu’il ne fait rien de mal.
Vous avez donc été surpris par la réaction des joueurs de l’ACA, qui ont tous foncé sur Jean-Philippe Mateta, y compris les joueurs qui étaient sur le banc ?Oui. C’est bien de préciser qu’il s’agit des joueurs, enfin de la plupart des joueurs. Le public n’était pas content et il a eu raison, mais c’était son rôle de réagir. Pour le coup, sur cette action précise, les supporters d’Ajaccio ont réagi comme n’importe quels supporters qui se font chambrer après une célébration. Mais là, ce sont les joueurs qui ont foncé sur Jean-Philippe (Mateta). Quand Ghislain (Gimbert) et un autre (Selemani, N.D.L.R.) viennent porter des coups… Il y a un minimum de respect à avoir. Il s’est quand même pris deux coups de poing ! Le souci que j’ai, c’est qu’aucun de ces deux joueurs n’a reçu un carton rouge… En fait, j’ai un autre souci : la commission de discipline a finalement suspendu Selemani pour le match contre Toulouse. Mais pas Gimbert, alors qu’il ne fait rien de moins grave que Selemani, au contraire… Pourquoi ? Je vais être cash : suspendre Gimbert, ça aurait signifié qu’Ajaccio méritait de recevoir quatre cartons rouges (en prolongation, Coutadeur et Sainati avaient déjà été expulsés, N.D.L.R.). Or, quatre expulsés, ça veut dire match perdu. Et rendre la victoire au HAC ne faisait visiblement pas partie des plans de la LFP.
Vous dites « la plupart » des joueurs. Ça veut dire que vous ne les mettez pas tous dans le même panier.
Jean-Louis Leca par exemple, il a eu une attitude irréprochable. Il a été très respectueux du début à la fin. On voit bien les images. Avant le penalty, quand un joueur d’Ajaccio (Sainati, N.D.L.R.) met un coup de poing dans le ballon que Jean-Philippe tient dans ses mains, Leca engueule son coéquipier. Il a essayé de calmer ceux qui pétaient les plombs, même après le penalty. C’est difficile d’être plus professionnel que ce qu’il a été.
Vous comprenez les gens qui ne sont pas forcément supporters d’Ajaccio et qui disent que Mateta aurait mieux fait de se replacer sagement dans sa moitié de terrain ?Mais il a le droit de célébrer ! Si on ne peut plus célébrer un but marqué en prolongation du match le plus important de notre saison… Ces derniers temps, j’ai l’impression que le foot perd en émotion. Chaque célébration est polémique, tout relève de la provocation ou du manque de respect… C’est fatigant. Il faut arrêter avec ça. De toute façon, je me méfie des gens qui parlent constamment de « provocation » ou de « respect » . C’est souvent des gens qui ne sont pas à l’aise avec ces notions.
Des experts de plateaux TV ont qualifié Mateta d’ « idiot » , de mec « sans neurones » …Je n’ai pas du tout envie de leur répondre. Ce que je sais, c’est que Jean-Philippe a pris pas mal de coups, dont deux coups de poing dans le visage. Combien de joueurs sont capables de ne pas réagir dans ces cas-là ? Sa réaction est une preuve d’intelligence.
Puisque cette scène a fait basculer le match, avec le recul, certains joueurs du HAC auraient pu en vouloir à Mateta, puisque le club va rester en Ligue 2…Ce qui est fort, c’est qu’encore aujourd’hui, on est tous convaincus qu’il a eu raison de célébrer son but de la sorte. Nous, qu’on joue en Corse ou n’importe où, on respecte les adversaires de la même manière. Ne pas faire ça sous prétexte que le match se jouait en Corse, ça aurait signifié qu’on considérait les Corses comme des adversaires et des gens différents. Pour nous, jouer à Ajaccio ou à Brest, c’est la même chose.
On n’a pas parlé du caillassage du bus de vendredi. Il restait cinquante mètres à faire à pied. Pourquoi ne pas avoir suivi les joueurs d’Ajaccio qui proposaient de vous accompagner dans le minibus ?Ce que les joueurs d’Ajaccio n’ont pas expliqué, c’est le contexte.
On est bloqués dans notre bus depuis deux heures, on est à 200 mètres du stade, les CRS viennent nous dire que deux d’entre eux sont blessés et qu’on n’a pas le droit de sortir du car pour des raisons de sécurité. Une demi-heure après seulement, les joueurs d’Ajaccio arrivent. N’importe quel joueur de foot professionnel est capable de comprendre qu’on n’était évidemment pas dans de bonnes conditions pour jouer le match le plus important de notre carrière. Mais puisque la LFP a décidé que tout était normal, on a rejoué le match deux jours plus tard et il y avait 2000 supporters de plus dans les tribunes. Tout va bien… Le fameux contexte que Mateta n’aurait soi disant pas respecté, ce n’est certainement pas le HAC qui l’a installé.
À titre personnel, que représentait ce match pour toi ?C’est un rêve que je touchais du doigt. Je suis arrivé au HAC à 11 ans. Aujourd’hui, j’en ai 20. Quand je suis arrivé, le club venait de descendre en Ligue 2. Je me suis toujours dit que je ferais tout pour l’aider à remonter. Là, ça allait se faire, enfin on s’en rapprochait.
En tant que joueur formé au HAC, qu’as-tu pensé de l’attitude de Ghislain Gimbert, qui était ton coéquipier au Havre ces deux dernières saisons ?Sans parler du coup de poing qu’il a mis à Jean-Philippe et de quelques gestes déplacés sur le terrain, il ne s’est pas gêné pour célébrer son but, puis son tir au but. Chacun pense ce qu’il veut. Moi, je me dis qu’après tout, pourquoi pas. Mais pourquoi quand Mateta célèbre, on parle de « contexte » , et quand Gimbert le fait, on ne dit rien ? Quand Gimbert le fait, il y a aussi un contexte ! Ce n’est pas parce que nos supporters ne sont pas au stade que j’oublie que ça peut les blesser de voir un ancien du HAC rigoler comme ça sous leur nez. Si on parle de provocation pour Mateta, alors pour Gimbert, de quoi doit-on parler ? Au Havre, Ghislain était une personne appréciée du groupe. Je ne comprends pas où il a voulu en venir. L’AC Ajaccio a le droit d’avoir une fierté. Mais le HAC aussi.
Sur les huit joueurs de champ qui ont fini le match, sept sont formés au Havre. Ça vous inspire quoi ?Quand Mateta et Denys Bain prennent leur carton rouge, il y a quelques secondes où on se réunit tous. J’ai dit aux gars : « Oh, c’est la Cavée là ! (La Cavée Verte, centre de formation du HAC, N.D.L.R.) » Ça n’a pas suffi, on a pris un but quelques minutes plus tard, puis on a perdu aux tirs au but. Mais en y réfléchissant, je me dis que cette scène est sûrement la seule belle chose que je retiendrai de ce barrage.
Malgré le fait que notre équipe était jeune, on a bien réagi à ce qu’il se passait, on a été dignes jusqu’au bout. On s’était promis de ne pas rentrer dans ce jeu-là et on a tenu cette promesse. Je suis fier de faire partie de cette équipe.
À quoi ça sert de mesurer 1,91m et de peser 90kg si c’est pour ne pas s’en servir dans ces cas-là ?Mon physique me sert à jouer au foot, pas à taper des gens.
Mateta va partir, Zinedine Ferhat et Rafik Guitane aussi. Mais il se dit que d’autres joueurs de l’effectif, qui sont assez convoités, pourraient rester parce que le groupe s’est un peu plus soudé après ce barrage…Je n’en suis pas encore au stade où je vois du bien dans ce que l’on vient de vivre. Mais oui, j’ai entendu des joueurs laisser entendre que l’histoire ne pouvait pas se finir comme ça. Là, j’ai quitté l’entraînement avec Rafik. Il est dégoûté de partir du club sur ça.
Vous allez regarder Ajaccio-Toulouse ?Oui ! Je suis un malade de foot, je regarde tous les matchs. Là, ça va être un peu dur, mais bon, il en faut plus pour me dégoûter du foot. Pas besoin de me demander qui je veux voir gagner entre Ajaccio et Toulouse.
Vous êtes prêt à retourner jouer à Ajaccio la saison prochaine ?Oui, s’il faut y aller, j’irai. Enfin, si on est capable d’assurer ma sécurité.
Propos recueillis par Matthieu Pécot