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Han-Noah Massengo : « Même en famille, je pense au maintien »
Débarqué cet hiver à Auxerre pour booster le milieu de l’AJA et l’aider à se maintenir, Han-Noah Massengo (21 ans) est en passe de réussir son pari. Avant cette dernière empoignade de la saison face à Lens, cet amateur de photos et de bouquins se dévoile au monde.
Peux-tu nous raconter ton premier jour à Auxerre ? Déjà, je ne sais toujours pas si on dit « AuXerre » ou « Ausserre »… (L’attachée de presse de l’ AJA intervient : « On dit Ausserre, bien sûr ! ») Mais mon transfert à Auxerre s’est fait super vite. J’ai su la veille de la signature que j’allais m’engager avec l’AJA. Je suis arrivé d’Angleterre à Orly, puis on a rallié Auxerre en voiture avec mes agents en deux heures. On a cherché un resto ouvert, sauf qu’on était dimanche ou lundi et la plupart des établissements étaient fermés. (Rires.) On a fini par trouver, j’ai signé, et c’était parti. Avant de venir, quand on me parlait d’Auxerre, les visages de Djibril Cissé et Guy Roux me venaient en tête. Je n’avais pas non plus de grands souvenirs de l’AJA parce que j’étais jeune quand le club était sur le devant de la scène ou même en Ligue 1.
Mais alors qu’est-ce qui te fait venir à l’AJA ?
J’étais dans une situation compliquée à Bristol, en fin de contrat, et cela alors qu’on avait entamé des négociations un an et demi avant le terme de celui-ci. On ne s’est jamais mis d’accord, donc on a décidé que je quitterais le club libre en fin de saison. Les dirigeants m’ont exclu du groupe pour donner du temps de jeu aux joueurs qui seraient dans l’effectif l’an prochain, ce qui fait que j’étais en permanence avec les U23. Moi, je voulais jouer et surtout reprendre du plaisir. Auxerre avait acheté Elisha (Owusu, en provenance de La Gantoise, NDLR) au mercato d’hiver, mais il s’est blessé quelques jours avant la fin du mois de janvier. Les dirigeants étaient dans l’urgence, et moi, j’étais disponible. Je n’ai pas hésité un seul instant, d’autant que j’avais dans un coin de ma tête l’envie de revenir en France. Trois ans et demi après mon départ de Monaco, je voulais voir où j’en étais.
Comment intègre-t-on un groupe qui lutte pour le maintien en plein milieu de la saison ?
Je savais à quoi m’attendre, puisque j’ai connu des situations similaires à Bristol. Il y a notamment eu une saison où on n’a pas gagné un seul des dix derniers matchs (en 2020-2021, NDLR). Alors, tu te mets rapidement dans le bain, tu vis la réalité du moment et tu n’as pas le choix. Là, j’ai en permanence le maintien dans un coin de ma tête. Partout, tout le temps. Même quand je passe des moments avec ma famille et mes amis, j’y pense constamment lors de mes jours off.
Qu’est-ce que tu fais d’autre pendant tes jours off ?
Pas grand-chose. Je passe des moments avec ma famille, ma copine. Et puis, j’ai toujours un appareil photo avec moi.
Tu as quoi comme modèle ? J’en ai plusieurs, mais là je viens de recevoir un Fuji Klasse W et un Fuji Klasse S. Ce sont des appareils photos argentiques et compacts. Je vais aller les tester après notre interview. Où ? Un peu partout. C’est ma façon de documenter un peu ce que je fais, ce sont des photos que j’aimerais bien regarder plus tard pour les montrer à mes enfants et mes petits-enfants. Pour leur dire : « Vous voyez, c’est ce que votre père ou votre grand-père faisait. » Je photographie beaucoup mes petites sœurs, mon frère, mes nièces, mon autre grand frère, et puis un peu tout ce que je vois dans la vie de tous les jours.
Toi qui es photographe, comment capter l’esthétisme d’Auxerre ? Ça se voit que c’est une ville qui a une histoire. Juste après le match de Paris, je suis sorti pour faire des photos, et tu vois que c’est une ville qui a un vécu. Quand tu vois les monuments, c’est un truc de fou. J’étais avec des amis anglais qui me disaient : « C’est un truc de malade comment cette ville est belle. » Même en parlant de l’AJA, tu sens qu’il y a quelque chose qui s’est passé, que les gens sont toujours marqués par ça. Qu’ils veulent perpétuer cette tradition. J’ai été surpris de voir ceux qui viennent voir l’entraînement tous les jours. Ça fait partie du club, c’est comme ça, si on retire ça aux fans, ils vont un peu mal le prendre. Quand j’étais à Monaco ou Bristol, il n’y avait pas le même degré de proximité avec les supporters qu’il y a ici. Tu voyais aussi des fans dans mes anciens clubs, mais ils n’étaient pas là tous les jours. Ici, je pense qu’il y en a qui ont probablement cinquante fois la même photo avec moi (rires), et demain, ils seront là pour prendre la 51e. Mais c’est ça qui participe à faire la beauté de l’AJA, tu sens qu’il y a toute une ville derrière.
Récemment, lors de ton premier voyage au Congo (Brazzaville), la terre d’une partie de tes ancêtres, tu as même fait avec tes appareils un petit film souvenir. Tu expliques à l’intérieur que cela t’a fait « sortir de ta vie de petit Français privilégié ». Cela m’a fait grandir, car j’ai découvert une nouvelle réalité. Quand on est dans une « réalité de petit Français », on ne se rend pas forcément compte du reste. On vit dans deux réalités différentes, c’est un truc de malade : la façon dont les gens vivent, la culture, la nourriture, même la façon dont les enfants se comportent… Tout est différent. Ici à Auxerre, j’ai l’eau chaude à volonté, tandis que là-bas, je devais chauffer de l’eau dans des seaux avant de me laver. Ce n’est pas forcément quelque chose de « mauvais », et eux d’ailleurs ne le voient pas comme cela, car c’est leur réalité. Mais une fois que tu connais les deux, tu te rends compte de la chance que tu as.
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Quel est ton rapport au temps qui passe ? En tant que footballeur, on ne se rend pas compte de tout ce qu’on vit. Du fait de l’enjeu, de l’enchaînement des événements : là par exemple, tu as la pression du maintien, tu ne prends pas le temps d’en profiter. Le fait de revoir ces photos plus tard, cela permet de marquer un moment dans le temps, de le stopper, pour ensuite se le remémorer. C’est super dur de profiter du moment, car tu es toujours dans l’anticipation.
La pression est la même quand on dispute le maintien pendant toute une saison et quand on fait sa première apparition en Ligue des champions avec Monaco ?
Oui. Le but, dans ces deux situations, c’est de performer direct. Quand je joue mon premier match, je dois absolument réussir ma prestation pour intégrer le projet, le groupe et voir la suite. Avec l’AJA, si tu ne le fais pas, c’est direction la zone rouge. C’est plus ou moins la même chose.
Tu es arrivé très vite et très tôt en haut à l’âge de 17 ans. D’ailleurs, tes deux premières entrées en pro en Ligue 1 face à Paris et en C1 face à Bruges se sont soldées par des défaites 4-0. Tu as eu peur que ce soit ça toute ta vie ?
Non, quand même pas. Mais c’est vrai que tout est allé super vite. Mon premier entraînement avec les pros, je le fais la veille de ma première entrée en pro. J’enchaîne en jouant mes premières minutes en Ligue 1 face au PSG, ensuite je suis titulaire face à l’Atlético en Ligue des champions… À ce moment-là, on ne réalise pas que ce n’est pas normal ce qui nous arrive. On pense que c’est la suite logique, que ça va durer tout au long de la carrière. Mais ce n’est pas la réalité.
Et la « redescente », c’est dur à vivre ?
C’est dur. Dès qu’Henry est parti, je suis retourné en National 2. D’un côté, ça se comprenait, car il y avait eu pas mal de blessés lorsque j’étais monté avec les pros. Mais ce que je ne comprenais pas en revanche, c’est que personne ne me parle. Hormis David Bechkoura, et tous les coachs de l’académie qui étaient là pour moi, qui tentaient de m’expliquer, personne en haut, que ce soit Jardim ou la direction, ne m’a rien dit. C’était un peu compliqué, mais après c’est le foot, c’est comme ça. C’est pour cela que quand l’opportunité Bristol s’est présentée, je n’ai pas hésité. Dans ma tête, ce n’était plus possible de rester à Monaco.
Quels rapports entretiens-tu avec Thierry Henry ?
Avec Thierry Henry, c’est une relation humaine avant tout. À Monaco, après un entraînement, on m’a averti, car j’avais des soucis familiaux quelques jours avant un match de Ligue des champions contre Dortmund. Je ne savais pas trop quoi faire, car je pensais que j’allais jouer, forcément je n’avais pas envie de rater ce match-là. Je l’avais eu au téléphone après la séance, et il m’avait dit : « Non tu ne peux pas, tu dois rentrer à la maison, prends le temps qu’il te faut, ne t’inquiète pas pour le match de Dortmund, tu joueras si tu es là… » J’étais revenu la veille du match, j’avais fait le pire entraînement de ma vie, mais il m’avait quand même fait jouer. Ce sont ce genre de moments qui définissent la valeur d’une personne. Pour en revenir au terrain, je pense qu’il appréciait mon mental et mon caractère.
Quand tu étais plus jeune, ton père aussi te faisait des débriefs comme celui de Thierry Henry ?
Non, mon père n’était pas comme ça. Il me disait de prendre du plaisir, il savait que je voulais devenir pro, donc il me donnait des petits conseils, mais il insistait sur la notion de plaisir quand j’étais plus jeune. Ce qui me mettait la pression quand j’étais petit, c’était lorsqu’il y avait des recruteurs qui venaient me voir. Il y a un jour où Philippe Maia, un recruteur de l’AS Monaco, est venu me voir. J’étais surclassé avec les U15 de l’Espérance Aulnaysienne à l’époque, et c’était un match important pour la montée. C’était très chaud, il y a eu une bagarre générale sur le terrain. Je savais que le recruteur était là et je me suis bien tenu à l’écart de tout ça. (Rires.)
Tu es né à Villepinte et tu as grandi dans le 93 dans une famille de sportifs. Qu’est-ce que cela t’a apporté dans ta construction de joueur, mais aussi d’homme ?
Grandir dans le 93 te tire vers le haut d’un point de vue footballistique, car déjà, pour percer, il faut être le plus fort de son quartier, et ce n’est pas toujours évident ! Le talent au kilomètre carré est incroyable. Cet esprit de compétition, de pression, je l’ai toujours vécu, car j’ai joué dans la plupart des clubs de Seine Saint-Denis : Tremblay, Villepinte, Sevran, Aulnay et Le Blanc-Mesnil. J’ai grandi dans cette concurrence, et le fait d’avoir régulièrement changé de club m’a toujours obligé à prouver. Mon quartier, c’était La Haie-Bertrand à Villepinte, un endroit tranquille où tout le monde joue au foot. Gamin, je rentrais chez moi, je devais faire mes devoirs et j’allais jouer au foot. Tout tournait autour de ça. Je faisais d’autres sports comme le judo et le futsal, mais jamais de water-polo comme ma mère.
En partant pour Bristol, tu t’es découvert une autre passion que la photo : la lecture. Qu’est-ce que cela t’apporte au quotidien ? Cela me permet de m’évader. Aujourd’hui, je lis toutes sortes de livres, mais quand j’ai commencé en Angleterre, c’étaient beaucoup de biographies de gens qui avaient « réussi ». Je voulais tenter de comprendre quels étaient les dénominateurs communs entre toutes ces personnes. Et puis, ça me permettait un peu de vivre la vie de quelqu’un d’autre, de sortir de mon quotidien et d’acquérir de l’expérience à travers eux. Maintenant, je lis des livres sur des sujets qui m’intéressent, certains autres où je ne réfléchis pas… Quand tu lis, ton esprit part ailleurs. Le fait de partir de Monaco m’a ouvert à ce monde-là. Je pense que quand tu es dans un centre de formation et que tu es entouré de personnes que tu vois quotidiennement, avec qui tu manges, tu dors, t’es en classe, bref on finit tous par aimer la même chose. Il n’y a pas un peu ce truc de sortir de ce cocon, d’explorer d’autres possibilités. En partant de la France, du centre de formation, cela m’a permis d’évoluer. Le livre qui m’a le plus marqué, en partie parce que c’était le premier, c’est celui de Kobe Bryant. Il parle vraiment de se dédier à un sport et de tout faire pour y arriver. Cela ne veut pas dire que tu vas avoir du succès, mais que si tu as tout fait pour, tu peux vivre avec les conséquences, car tu as tout donné pour ça. Il y en a un autre aussi, qui s’appelait Quiet de Susan Cain (La Force des discrets, en VF). C’était une personne qui se considérait comme introvertie, comme moi. Quand j’ai commencé à lire ce livre, je ne savais pas trop qui j’étais, et ça m’a permis un peu de me retrouver, de me rassurer sur la personne que j’étais. Dedans, l’autrice expliquait justement que ce n’est pas parce que tu es comme ça que tu ne peux pas avoir de succès dans la vie, être quelqu’un d’avenant, qui peut faire de grandes choses. Parce que le monde dans lequel on vit est basé sur l’extraversion.
Tu es quel type de personne, toi ? Je ne suis pas timide, pas non plus très avenant, même si je suis gentil ! Je ne suis pas forcément quelqu’un qui va naturellement vers les autres, même si c’est important dans mon métier. Par moments, j’aime bien être seul dans ma tête.
Propos recueillis par Andrea Chazy et Matthieu Darbas