- Un jour, un transfert
- Épisode 19
Hamdan Al Kamali à l’OL : Fail Emirates
Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. À l'occasion du 19e épisode, retour sur l'hiver 2012, lorsque Lyon officialisait en grande pompe l'arrivée du défenseur émirati Hamdan Al Kamali. Un pari étrange, plus stratégique que sportif, qui n'a pas porté ses fruits.
Jean-Michel Aulas aime être un pionnier. En témoigne l’introduction en bourse de l’OL en 2007, une première pour un club français. Cinq ans plus tard, le président historique des Gones remet ça en recrutant Hamdan Al Kamali, faisant de lui le premier joueur émirati à débarquer en Europe. Fin janvier 2012, alors que Lyon avait promis qu’il ne recruterait personne lors du mercato hivernal, le club rhodanien trahit finalement sa parole et annonce l’arrivée en prêt de ce défenseur central de 22 ans, en provenance d’Al-Wahda. « Quand il est arrivé, il avait fait la photo comme si c’était une recrue hivernale ! » se souvient Sébastien Faure, alors défenseur central dans l’équipe de CFA de l’OL. Entourée d’Aulas et de Rémi Garde, la nouvelle recrue pose fièrement avec son maillot floqué du 36. Un numéro que les supporters de l’OL ne verront finalement jamais fouler la pelouse de Gerland. Ni aucune pelouse de Ligue 1 d’ailleurs. Contrairement à ce que l’ampleur de sa présentation laissait penser, le défenseur passe l’intégralité de ses six mois à Lyon en réserve.
L’un des 100 meilleurs jeunes du monde
« On savait très bien qu’il n’allait pas jouer avec les A, mais ils l’ont présenté comme tel, se remémore Faure.On s’est dit que s’ils le faisaient venir, ce n’était pas pour ne pas le faire jouer. Surtout en réserve. Donc ça nous enlevait une place ! Sur le moment, on n’a pas compris. » Comment un Émirati, absolument inconnu du grand public, finit par débarquer à l’OL ? « J’ai contacté Jean-Michel Aulas en lui proposant de lui ouvrir le marché des Émirats arabes unis en lui permettant de recruter un joueur international émirati. Je lui ai parlé de quatre jeunes joueurs très prometteurs évoluant dans différents clubs aux émirats. Rémi Garde, puis Florian Maurice se sont déplacés avec moi sur place afin de superviser quelques-uns de leurs matchs », raconte Sonia Souid, l’agent à l’origine du transfert. Al Kamali est finalement celui retenu par l’OL. Et à l’époque, le président de l’OL défend le côté sportif de son arrivée, mettant notamment en avant le fait qu’« une liste avec les 100 meilleurs jeunes mondiaux avait été publiée, et Hamdan était répertorié dans celle-ci », dans le communiqué de l’arrivée de son nouveau joueur. Cette fameuse liste a été dressée en 2010 par Don Balón, notable magazine espagnol hebdomadaire, qui a cessé de paraître en septembre 2011, mais dont le site internet est toujours actif. Sur le papier, c’est une belle promesse que d’être nommé aux côtés de Gareth Bale, David de Gea, Coutinho, Eden Hazard ou encore Yann M’Vila.
Une fierté nationale
Mais la réalité est assez différente. « Ce qui était bizarre, et je m’en souviens comme si c’était hier, c’est qu’il jouait au moins dix mètres reculé derrière nous, raconte, encore amusé, Sébastien Faure. Qu’on ait le ballon ou pas, il jouait très très bas. Il jouait vraiment comme un libéro à l’époque. Par exemple, quand j’étais aux 30 mètres, lui il était encore dans la surface aux 16 mètres. C’est comme s’il jouait dans les années 1980 ! Ça nous avait choqués sur le coup. Il a bien mis un petit mois à s’y faire parce qu’il couvrait tous les hors-jeu ! » Une fois habitué aux tactiques européennes, Al Kamali ne confirme pas franchement les espoirs placés en lui. « Il avait le niveau pour le CFA quoi, mais plus haut… » Un faible niveau qui pousse Faure, dix ans plus tard, à conclure que ce transfert était « sûrement politique, diplomatique avec les Émirats ». « L’OL, comme tous les grands clubs visionnaires aujourd’hui, souhaitait faire d’une pierre deux coups. Recruter un joueur prometteur pour évidemment pouvoir le faire jouer, tout en s’ouvrant un nouveau marché et des opportunités… », confirme Sonia Souid.
En même temps, Aulas ne s’en était pas vraiment caché, même s’il se trouve qu’il a survendu l’aspect sportif du deal. « Nous essayerons de construire un partenariat en matière de formation, de construction de stade. Nous espérons créer des flux économiques avec ces pays qui seront demain les leaders en matière de football », détaillait le patron des Gones lors de l’arrivée du joueur. À cette période, le PSG venait tout juste d’être repris par le Qatar, et nul doute que les Lyonnais ont également lorgné l’argent du Golfe. Vu des Émirats, ce transfert était un immense coup pour le pays : « Hamdan Al Kamali a même été reçu en personne par le président actuel des Émirats arabes unis, Cheikh Mohammed ben Zayed Al Nahyane, afin de le féliciter et de l’encourager en lui disant qu’il était l’ambassadeur de toute une nation », témoigne l’agent. Finalement, il ne joue que huit matchs avec la réserve, n’inscrivant qu’un but lors d’un 3-3 face à Belfort, et quitte l’OL, même si les Rhodaniens voulaient prolonger le prêt. Un passage anecdotique qui fait déchanter tout un peuple : « Ils ont pris cela comme un échec, un affront. Comment un joueur international émirati, évoluant dans un des plus grands clubs du pays, n’a même pas pu jouer quelques minutes à Lyon ? »
Voici toutes les infos sur Hamdan Al Kamali qui vient d’arriver à l’OL !Vous aimez ? http://t.co/oJLeNFqz
— Olympique lyonnais (@OL) February 1, 2012
Sarre-Union > Dubaï
Mais il est resté suffisamment longtemps pour que ses coéquipiers de l’époque le taquinent sur les déplacements qu’ils doivent se coltiner en CFA. « « Hamdan, tu vas jouer à Sarre-Union », on lui disait et lui ça le faisait rire, s’esclaffe Faure.On lui répondait :« Tu vas moins rigoler quand tu vas faire dix heures de bus. » » Les déplacements à Sarre-Union et autres contrées alsaciennes (l’OL était dans la poule Est du CFA) n’ont toutefois pas trop refroidi l’international émirati (41 sélections, 5 buts). « Je les remercie de m’avoir soutenu pendant mon aventure européenne que j’aurais souhaité prolonger », assurait-il dans une interview donnée au compte Twitter @lyon_arab en mai 2020. Après les JO de Londres, qu’il a disputés avec l’équipe nationale, Al Kamali retourne au pays, où il évolue encore. Il ne ressortira de sa patrie qu’une seule fois, lors de la saison 2014-2015, pour un prêt au Valletta FC, club de la capitale maltaise. Là-bas, il a même pu jouer cinq minutes dans un tour préliminaire de Ligue des champions, face à Qarabağ. Aujourd’hui, il fait le bonheur du Shabab Dubaï, qu’il a rejoint en 2020. À l’heure où l’OL fait revenir tous ses anciens, pourquoi pas lui pour épauler Lukeba dans l’axe ?
Par Léo Tourbe
Propos de S.Faure et S. Souid recueillis par LT.