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Hamari à tout prix

Par Maxime Brigand
8 minutes
Hamari à tout prix

Arrivé de Bamako à 20 ans, Hamari Traoré revient de loin, mais a su avaler les haies pour être aujourd’hui le joueur le plus utilisé du Stade rennais et un latéral référence de Ligue 1. Portrait.

Il faut le voir empiler les courses, ramasser les ballons et sortir de la piste à la manière d’un boxeur : avec les poings serrés et un sourire brillant. Dimanche soir, après le nul du Stade rennais face à l’OM (1-1), Hamari Traoré avait de quoi bomber le torse. Cette fois, un nouveau verrou a été forcé et la feuille de stats du latéral rennais a pris la forme d’une droite bien placée : 88 ballons touchés (soit plus que n’importe quel joueur présent sur le terrain), quatre occasions créées pour son équipe, une soixantaine de passes… Et alors ? Alors, Traoré a pris l’info et a instantanément tourné la page. Le bonhomme n’est pas du genre à se satisfaire : le sportif de haut niveau n’en a pas le temps, de toute manière, surtout à Rennes, club qui s’apprête à avaler mercredi soir, face à Orléans, son huitième match en 25 jours. Pour Hamari Traoré, ce sera le trente-septième de la saison. Rien que ça.

En arrivant, ils n’avaient pas de chaussures, on avait été en acheter à Décathlon. C’était du bricolage, un peu l’aventure, mais Hamari tenait le choc, il assimilait vite les choses parce qu’il savait ce qu’il voulait. Il voulait tout comprendre et, sportivement, il est rapidement sorti du lot…

Ikea, Yannick Agnel et les Champs

La vie d’un footballeur, au-delà de la performance, tient avant tout à sa capacité de résistance. Comment résister aux secousses ? Comment tenir entre les critiques, les doutes ? Comment se construire des repères et se protéger ? Hamari Traoré, lui, a éclos au milieu d’un bouillon et sous une pluie terrible. C’était un jour de juillet, en 2012, sous les couleurs du Paris FC, lors d’un match amical à Amiens qui avait tourné au massacre pour le club francilien (7-0). La défaite n’est à cet instant qu’une anecdote pour un jeune de vingt ans qui vient juste de débarquer en Europe et de prendre l’avion pour la première fois de sa vie. Interrogé à l’époque par Le Parisien, le Malien recadre : « Tout est différent ici. Les routes sont goudronnées, c’est propre. » Ce qui nous ramène à la fondation des repères : lors de son arrivée en France, Traoré doit tout retaper, apprendre à passer « du franc CFA à l’euro » et tombe surtout dans un club aux structures encore fragiles. « Il est arrivé en même temps que d’autres joueurs, deux autres Africains issus de l’académie Jean-Marc Guillou de Bamako et trois Algériens qui venaient, eux, de celle d’Alger, replace Mikaël Durrens, le team manager du Paris FC. Sauf qu’il n’y avait personne pour les accueillir à part leur agent. Au départ, ils vivaient à l’hôtel, puis le club leur a loué un appartement porte de Bagnolet, pas loin du stade Déjerine où le club s’entraînait. Je les avais accompagnés à Ikea pour acheter des meubles, heureusement qu’ils étaient ensemble pour tenir. »

L’appartement est alors décomposé en deux étages : celui des Algériens et celui des Maliens. Les six joueurs ont signé un contrat fédéral longue durée avec le Paris FC, touchent de l’argent pour la première fois de leur carrière, tuent leur temps libre en regardant les JO – « On n’a presque rien raté. Quand tu vois Agnel, c’est impressionnant. Et dire qu’il a notre âge… » (Traoré) – et filent souvent sur Champs-Élysées. « Il fallait aussi leur expliquer le métro, donc on leur a rapidement donné des plans, pour qu’ils puissent sortir se balader le dimanche, explique Mathurin Houngue, intendant historique du Paris FC, qui a rapidement pris Hamari Traoré sous son aile.

On avait entendu parler de lui par le bouche-à-oreille, on cherchait quelqu’un de son profil pour notre côté droit et ça a matché direct parce qu’au-delà du footballeur, on a récupéré un garçon enjoué, travailleur, qui avait faim. Quand tu as ces qualités, c’est plus facile.

En arrivant, ils n’avaient pas de chaussures, on avait été en acheter à Decathlon. C’était du bricolage, un peu l’aventure, mais Hamari tenait le choc, il assimilait vite les choses parce qu’il savait ce qu’il voulait. Il voulait tout comprendre et, sportivement, il est rapidement sorti du lot… » Lors de sa première saison française, Traoré dispute alors une quinzaine de matchs en National sur son aile. Les portes s’ouvrent.

« Un joueur comme ça, c’est du gâteau »

Direction Lierse, en Belgique où, après une saison d’adaptation, celui qui va progressivement taper dans l’œil du sélectionneur national du Mali, Alain Giresse, se taille une place d’indiscutable. « Ce qui te marque rapidement quand tu découvres Hamari, c’est son enthousiasme, rembobine le champion d’Europe 84. Il bosse, il ne fait pas de bruit, mais il a un caractère qu’il faut canaliser. Un bon caractère hein, juste un côté râleur parce qu’il est vivant. Et son jeu est pareil : dynamique, positif… C’est un contre-attaquant, pas un défenseur destructeur, un joueur qui réfléchit, et pour un coach, un joueur comme ça, c’est du gâteau, forcément. » Un gâteau qu’il faut surtout rapidement rapatrier en France, ce que va faire le Stade de Reims lors de l’été 2015 pour la suite qu’on connaît. Nouveau verrou qui saute. Hamari Traoré crie que son métier est « fabuleux » , découvre la Ligue 1 et passe un deal avec les dirigeants rémois l’été suivant, quelques semaines après la relégation du club : si Reims ne parvenait pas à remonter directement, il pouvait partir, ce qu’il a fait en rejoignant le Stade rennais deux ans après son retour en France.

« Reims, c’était l’étape qui devait définitivement achever de construire le footballeur et c’est, je pense, ce qu’on a réussi à faire, détaille Olivier Guéguan, son ancien coach en Champagne. On avait entendu parler de lui par le bouche-à-oreille, on cherchait quelqu’un de son profil pour notre côté droit et ça a matché direct parce qu’au-delà du footballeur, on a récupéré un garçon enjoué, travailleur, qui avait faim. Quand tu as ces qualités, c’est plus facile. » À Reims, Guéguan fait alors glisser Aissa Mandi dans l’axe et fait rapidement une place à Traoré, dont le profil tranche :

Neymar ? J’aurais pu lui rentrer dedans puis prendre un rouge et aggraver mon cas. Le match terminé, je suis rentré au vestiaire, j’avais oublié. Si j’étais quelqu’un de méchant et mauvais, je ne lui aurais pas tendu la main, je me serais relevé tout seul. C’est mon côté trop gentil qui est ressorti.

« Il était à l’écoute sur le jeu et il ne se cachait pas. En fait, il fait partie d’une gamme de joueurs que tu dois avoir dans ton effectif et qui te permettent, sur le terrain, de maintenir l’équilibre tactique de ton équipe. Sur son côté, il avait déjà la capacité d’enchaîner les courses à haute intensité, il était très à l’aise techniquement, il avait du volume… Son seul axe de travail, c’est d’apprendre à monter à bon escient pour mieux verrouiller, parfois, son couloir. »

Le latéral moderne et le dernier verrou

C’est justement le point que cherchent également à bosser avec lui ses différents entraîneurs à Rennes (Gourcuff, Lamouchi, et maintenant Stéphan) : le but encaissé par le Stade rennais à Séville (1-3) jeudi dernier a prouvé qu’il y avait encore du travail. Reste qu’à 27 ans, Hamari Traoré, comparé un jour par Giresse à Dani Alves, est sans aucun doute le meilleur latéral droit du club depuis Rod Fanni, mais surtout un homme qui a réussi à briser la malédiction Danzé, historique totem qui a été progressivement rangé sur le banc la saison dernière pour laisser l’international malien avaler les kilomètres. Aujourd’hui, il est surtout un joueur-clé dans le 4-4-2 de Stéphan, où sa doublette avec Ismaïla Sarr – de qui il a été fêter l’anniversaire avec du Champomy lundi soir – pétille et où les latéraux touchent la majorité des ballons. « On ne bride pas les joueurs, et leur apport offensif est primordial, expliquait récemment le jeune technicien breton. Mais il faut compenser pour rester équilibré à la perte. » Ce que Sarr fait bien depuis plusieurs rencontres et ce qui explique l’excellente copie rendue par Traoré dimanche face à l’OM. Ce dernier a surtout réussi à confirmer son statut cette saison, lui qui est le joueur le plus utilisé de l’effectif devant Benjamin André et Clément Grenier, malgré un début d’exercice difficile où il aura notamment été pointé du doigt lors du nul concédé au Roazhon Park face à Toulouse (1-1) pour avoir oublié de servir son pote Siebatcheu en fin de match.

C’est l’autre axe de travail des prochains mois : l’apport statistique, Hamari Traoré n’ayant délivré que deux passes décisives cette saison et allumant aussi, souvent, à tout-va une fois qu’il est aux avant-postes. Une donnée qui raconte beaucoup de la fougue accrochée aux chevilles d’un mec qui a fini la saison dernière avec dix cartons jaunes – ce qui l’a privé de quelques rencontres – et qui aurait pu se faire Neymar lors d’un match contre le PSG. Ce jour-là, le Brésilien lui avait tendu la main avant de la retirer : « J’aurais pu lui rentrer dedans puis prendre un rouge et aggraver mon cas. Le match terminé, je suis rentré au vestiaire, j’avais oublié. Si j’étais quelqu’un de méchant et mauvais, je ne lui aurais pas tendu la main, je me serais relevé tout seul. C’est mon côté trop gentil qui est ressorti. » À Séville, c’est son côté insouciant qui a repris le dessus : Traoré a reçu un jaune et sera suspendu pour le match aller contre Arsenal. Le voilà avec un nouveau verrou à ouvrir : rassurez-vous, ce type trouve souvent la clé.

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Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB, sauf mentions.

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