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Haller d’un nouveau combat
Après avoir vaincu un cancer des testicules, Sébastien Haller a choisi d’endosser le costume de porte-parole contre la maladie. Et comme souvent, l’attaquant du Borussia Dortmund vise juste.
Neuf mois que Sébastien Haller attendait cela. Depuis sa dernière sélection le 3 juin dernier face à la Zambie, le treizième du dernier Ballon d’or n’a plus porté la tunique ivoirienne. Appelé pour ce rassemblement de mars après avoir vaincu son cancer des testicules, l’attaquant du BvB ne boude pas son plaisir de retrouver les Éléphants. Mais avant de rejoindre le troupeau, il a tenu à faire un saut à Paris, au lendemain de son doublé contre Cologne. « C’était très important pour moi d’être là, ce soir, avec ma famille et mes proches. C’est un moment que j’attendais », glisse le joueur. Il est un peu plus de 23h, sur le plateau du Canal Football Club, transformé en salle de cinéma pour l’occasion. Devant ses proches et une poignée de journalistes, Sébastien Haller vient de projeter le documentaire (gratuit) de la chaîne cryptée qui l’a suivi pendant toute sa convalescence. Une démarche entreprise par le joueur lui-même : « Mon combat contre le cancer devait servir à quelque chose. Je voulais briser le tabou qu’il y a autour, il faut en parler. »
« Ouais, je n’en ai plus qu’une, mais ça ne change rien ! »
À l’aise dans les médias et très ouvert dans sa communication (cf So Foot n°197), Sébastien Haller s’est ainsi rendu à la Ligue contre le cancer pendant son traitement. « Il a proposé deux choses : médiatiser sa lutte et nous reverser les revenus publicitaires du documentaire. L’argent est important pour la recherche, le soutien aux malades. Mais il a aussi beaucoup donné grâce à son image, et ce film en est le point central. Avoir un gars charismatique qui incarne ce message, c’est inestimable », apprécie Emmanuel Ricard, porte-parole de la Ligue contre le cancer. Il ajoute : « Haller permet ainsi de normaliser, de montrer le cancer des testicules, qui touche 2750 personnes et en tue 87 chaque année. » D’autant que l’on parle d’un cancer qui touche d’abord les jeunes. « Et c’est encore tabou de se palper les testicules, alors que pris en charge tôt, ce cancer se soigne par une simple opération chirurgicale s’il ne s’est pas diffusé ailleurs », précise Emmanuel Ricard.
Sébastien Haller n’a pas eu cette chance : opéré deux fois, il a aussi subi plusieurs cycles de chimiothérapie. « Ce sont des périodes de cinq jours à l’hôpital, où on te branche en continu. C’est lourd, et tu sens que tous ces médicaments te pèsent », raconte le buteur, accompagné à chaque fois de son épouse Priscilla dans ces moments. « J’ai pris un lit dans sa chambre, on était coloc ! », se marre-t-elle. Car dans cette épreuve, le couple ne s’est jamais séparé de son sens de la punchline, y compris sur l’ablation du testicule et l’impact sur la vie sexuelle. « Les gens ne vont pas venir m’en parler d’eux-mêmes, donc à moi de briser la glace : ouais, je n’en ai plus qu’une, mais ça ne change rien ! », sourit le buteur, qui précise avoir conservé du sperme pour se laisser le choix d’avoir un quatrième enfant un jour, ou pas. « Ils ont un vrai courage, et parlent simplement, sans tabou, note Emmanuel Ricard. Ils abordent le sujet devant leurs enfants, ils ont un langage vrai. Et c’est un bon footballeur, donc il dribble et prend à contre-pied avec son humour. » « Tout ce que le documentaire montre est vrai, confirme Tanguy Fleury, le préparateur physique du joueur. J’ai vécu tout ça de l’intérieur, c’est super d’avoir fait l’effort d’accueillir les caméras, une équipe. On se rend compte qu’on peut aider les autres, ce que Seb voulait par ce film. »
Semi-marathon, chimio et soutien de l’employeur
À l’écran, le résultat est bluffant : en moins d’une heure, on revit les 7 mois de lutte d’Haller et ses proches, sans jamais tomber dans le pathos. « Vivre chez Séb et Priscilla, c’est épuisant… Ils sont infatigables ! », se marre Tanguy Fleury, le physio personnel d’Haller, qui s’est installé chez eux pendant la convalescence, quitte à repousser son projet de vie de maison autosuffisante : « J’ai tout mis en suspens parce que c’est facile d’être là quand il marque 11 buts en Ligue des champions. Mais l’important, c’est d’être là quand ça va mal. J’étais à côté, tout le temps. J’étais son sac à dos. » Un sac à dos plusieurs fois au bord des larmes dans le film : « Le moment le plus dur, c’est la première fois que je le vois après la chimio. Au téléphone, il filtrait beaucoup, disait que ça allait. Et là, j’ai vu quelqu’un de malade. Je ne l’avais jamais vu, ce Séb-là. » Aux petits soins, du petit-déjeuner aux deux heures d’entraînement par jour, et celles de soin, le physio était au premier rang : « Le Seb malade, il a vite disparu. Après les chimios, il était de mieux en mieux. Un jour, je lui propose de faire un 10 km, il me répond qu’on va s’inscrire à un semi-marathon, juste avant la troisième chimio ! Il a mis les ingrédients qu’il met dans sa vie dans sa lutte. Il ne s’est jamais plaint. Parfois, c’était difficile pour moi, il faisait froid, etc. Lui n’a jamais fléchi, il était incroyable. »
Cela tombe bien, le sport est désormais recommandé dans la lutte contre le cancer, rappelle Emmanuel Ricard : « Le muscle a la capacité de soutenir et renforcer le système immunitaire, permet de mieux supporter la chimiothérapie, et réduit grandement le taux de récidive. » Mais Tanguy Fleury ne s’arrête pas là : « Mon but, c’était d’être là au réveil, de lui préparer ce dont il avait besoin pour manger, ce dont il avait envie. Je lui expliquais les sessions, avec des choses nouvelles pour sortir de la routine. J’ai aussi lu beaucoup d’articles sur la maladie pour échanger avec lui, le conseiller par exemple sur les bains froids, le sauna, la sophrologie. » Un programme intense, en dehors des vingt jours, cumulés, de chimiothérapie. Au total, entre son diagnostic début juillet et son retour sur les terrains en janvier, ce sont six mois de combat pour Haller, jamais lâché par le Borussia Dortmund, qui en avait fait le successeur d’Erling Haaland à l’été 2022 pour 31 millions d’euros. « L’attitude du club est exceptionnelle. Ils perdent un des plus grands buteurs européens pourtant. Dans le cancer, la question du soutien de l’employeur est importante, du rôle des collègues qui ont souvent peur d’aborder la question. Le documentaire montre qu’on peut rester vrai, en parler, et soutenir », souligne Emmanuel Ricard. Mais tout ça est désormais derrière Haller, pour le plus grand bonheur de tout le monde, dont Tanguy Fleury : « Je suis content de retrouver ma vie, parce que ça veut dire qu’il retrouve la sienne. »
Par Adrien Hémard-Dohain
Tous propos recueillis par AHD