- Bahreïn
Hakeem Al-Araibi, le fugitif
Réfugié politique en Australie depuis 2014, le défenseur bahreïni Hakeem Al-Araibi roulait depuis tranquillement sa bosse, en évoluant notamment dans divers clubs de Melbourne. Avant de se faire cueillir par les services de l'immigration thaïlandais fin novembre dernier, alors qu'il avait pris des vacances à Bangkok. La faute à un gouvernement bahreïni décidément pas près de lui lâcher les basques.
Il pensait pourtant avoir réussi à se faire oublier. À des milliers de kilomètres de Manama, de Bahreïn et d’une monarchie répressive qui a bien failli tout lui prendre. Alors Hakeem Al-Araibi, défenseur bahreïni de 25 ans qui évolue en D2 australienne depuis plusieurs années, a décidé de s’octroyer quelques jours de vacances avec sa femme, en Thaïlande. Un séjour aux contours tranquilles. Anonymes. Du moins, jusqu’à ce que le joueur ne pose le pied sur le tarmac de l’aéroport Suvarnabhumi de Bangkok. Et ne se fasse interpeller par les services de l’immigration thaïlandais, qui pourraient l’extrader vers son pays de naissance. Le pire des scénarios possibles, pour un joueur qui ne se fait pas d’illusion sur le sort qui pourrait lui être réservé s’il retourne dans sa patrie natale.
« Ils voulaient me blesser, pour que je ne puisse plus jamais jouer au football »
La détention d’Al-Araibi intervient à la suite de la diffusion d’une notice rouge d’Interpol le 8 novembre, à la demande de Bahreïn. L’agence de police internationale utilise ce type d’alerte pour informer les pays sur les individus visés par un mandat d’arrêt. Problème : le joueur n’a jamais été mis au courant de la notice en question et de la dangerosité qu’un déplacement en Thaïlande pouvait signifier pour lui. « Al-Araibi est un personnage public, une simple recherche Internet aurait permis à Interpol de se rendre compte que quelque chose n’allait pas avec sa notice rouge, explique Bruno Min de l’ONG Fair Trials. Un pays qui accueille un réfugié a une obligation légale de le protéger. En sachant qu’une notice rouge avait été diffusée à son encontre, l’Australie aurait pu prévenir Al-Araibi des dangers qu’il courait s’il se rendait en Thaïlande. »
Voilà désormais le joueur embarqué dans une galère dans laquelle il s’était juré de ne plus jamais replonger et dont il s’était extirpé de justesse lorsqu’il évoluait à Bahreïn, dans ses jeunes années. Alors que la petite monarchie est secouée par les révoltes sociales du printemps arabe à partir de 2011, le footballeur – soupçonné d’avoir des sympathies pour le courant contestataire – expérimente l’horreur des politiques de répression pratiquées par le pouvoir en place : « Ils m’ont torturé. Ils voulaient me blesser pour que je ne puisse plus jamais jouer au football. »
The Wanted Man
Il est plus spécifiquement reproché au joueur d’avoir vandalisé un commissariat de police, un acte pour lequel il avait été condamné en 2014 alors qu’il avait déjà fui Bahreïn. Une version qui n’appartient qu’au pouvoir monarchique bahreïni. Al-Araibi, lui, explique n’avoir commis aucun acte de vandalisme, puisque les faits qui lui sont reprochés se sont déroulés pendant qu’il jouait un match de football télévisé. En coulisses, le joueur paie en réalité probablement l’activisme politique de son cercle familial et plus spécifiquement de son frère, avance Human Rights Watch. Al-Araibi avait aussi mis directement les mains dans le cambouis par le passé, en visant le désormais ex-président de la Fédération du football de Bahreïn, le cheikh Salman Bin Ibrahim Al-Khalifa, membre de la famille royale bahreïnie, qui est depuis 2013 à la tête de la confédération asiatique de football. Une partie de l’opposition au pouvoir monarchique de Manama reproche à ce dernier d’avoir pris part à la mise en place d’un programme de répression brutale à l’encontre de sportifs, dont des footballeurs de l’équipe nationale bahreïnie.
Il était une fois la révolution
C’est là que le cas d’Al-Araibi devient éminemment politique et symbolique, alors que Bahreïn a significativement renforcé ses mesures sécuritaires à la suite des révoltes qui ont secoué le monde arabe en 2011, et qui continuent encore d’agiter la société bahreïnie. Al-Araibi, comme 70% de la population bahreïnie, est musulman chiite, là où le pays est paradoxalement gouverné par la dynastie sunnite des Khalifa. Une majorité chiite qui s’estime discriminée, aussi bien en matière d’emplois dans l’administration que de services sociaux et publics présents dans les villages et logements. Forcément, les tensions sociales explosent lors des printemps arabes. Le Royaume de Bahreïn, souvent présenté comme une monarchie satellitaire de l’Arabie saoudite – l’État leader incontesté de la cause sunnite – intensifie alors les mesures coercitives, afin de combattre toute contestation émise par la communauté chiite.
Les sportifs comme Hakeem Al-Araibi n’échappent bien entendu pas au phénomène. La répression a notamment pris un tournant radical en 2017, alors que la justice de Bahreïn a ordonné la dissolution du parti Waad. Cette formation d’opposition d’inspiration sociale-démocrate a été jugée coupable de « soutien au terrorisme » pour avoir accordé à trois militants chiites, exécutés au début de l’année, le titre de « martyrs de la patrie » . Un an avant, le parti chiite Wifaq avait, lui aussi, été interdit. Les deux formations étaient partisanes de l’instauration d’une monarchie constitutionnelle et non plus absolue et avaient largement structuré les manifestations de février-mars 2011 sur l’esplanade de la Perle, l’équivalent de la « place Tahrir » de la capitale, Manama. Un élan de liberté que le pouvoir a donc brisé en chemin.
L’Australie derrière lui
L’arrestation d’Hakeem Al-Araibi ne laisse quoi qu’il en soit pas indifférent au Australie. Son club, le Pascoe Vale FC, une formation de Melbourne, milite pour sa libération, et l’opinion publique australienne demande à ce qu’il puisse retrouver son pays d’adoption. L’affaire semble cependant loin d’être dans le sac alors que, selon Amnesty International, la Thaïlande a extradé en 2014 un homme de 21 ans vers Bahreïn en réponse à un mandat d’Interpol. En attendant d’être fixé sur son sort, Hakeem Al-Araibi ne peut, lui, que mettre à nu son effroyable vérité, à savoir le destin qui l’attend peut-être, s’il est renvoyé dans son pays de naissance : « S’il vous plaît, j’ai peur. J’ai peur que si je retourne à Bahreïn, je sois encore torturé. »
Le soutien de la fédération, du club et des ONG
Par Adrien Candau
Tous propos issus du New York Times et du Guardian.