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Haïti : une Gold Cup plus précieuse que de l’or

Par Matthieu Darbas

Depuis trois ans, Haïti rime malheureusement avec crise politique, insécurité, violence, kidnapping, guerre de gangs, bref, un véritable « conflit armé » selon le dernier rapport de l’ONU. C’est dans ce contexte que les Grenadiers disputent actuellement la Gold Cup. Et tout de suite, tout devient bien plus important que du football.

Haïti : une Gold Cup plus précieuse que de l’or

Petit voyage dans le passé. Installé derrière une table ronde posée dans un coin de la salle de réception, l’entraîneur des gardiens profite de quelques minutes de temps libre pour dévoiler ce qui attend les Grenadiers ces prochaines semaines, avant leur entrée en lice dans la Gold Cup contre le Qatar, le lundi 26 juin. « Dans un petit quart d’heure, nous avons une réunion, alors ne perdons pas de temps », lance d’entrée Valentin Houdou le 8 juin. Voilà 48 heures que joueurs et membres du staff de la sélection haïtienne se sont installés dans l’hôtel Marriott Palm Beach Gardens sur la côte Est de la Floride, non loin des belles installations de l’Inter Miami. Dans exactement onze jours, le sélectionneur Gabriel Calderón Pellegrino dévoilera la liste des 23 joueurs retenus pour la 17e édition de la compétition. 26 sont pour le moment au stage de préparation. « Avec la situation que l’on connaît, c’est un soulagement de se retrouver tous ensemble assez tôt », savoure Houdou avant d’être interrompu par les pitreries du gardien Alexandre Pierre. Si ce rassemblement respire la joie de vivre, l’été et les brésiliennes au bord de la plage, il n’a rien d’une colonie de vacances.

C’est l’heure de la réunion avant le match face au Qatar – crédit : FHF / Valentin Houdou
C’est l’heure de la réunion avant le match face au Qatar – crédit : FHF / Valentin Houdou

Il est où le bonheur, il est où ?

« La peur règne dans le pays. Haïti et son peuple traversent une situation sans précédent. C’est dramatique, mais ce qui l’est encore plus c’est que personne n’intervient. C’est malheureux. » Merck’n Sley Suprême Jean-Pierre, journaliste sportif haïtien pour Haïti Tempo, a la gorge nouée au moment de relater les tristes problèmes qui bousculent le pays depuis trois ans maintenant. Ce n’est plus un secret pour personne, la sélection d’Haïti doit composer avec pas mal de soucis : le président de la République Jovenel Moïse assassiné par un commando armé en juillet 2021, un séisme de magnitude 7,2 survenu un mois plus tard dont on peut encore apercevoir les ravages, sans parler du bannissement du patron de la fédération Yves Jean-Bart et de plusieurs de ses anciens collègues bannis pour harcèlement sexuel, comme Nella Joseph, qui avait obligé certaines joueuses des moins de 20 ans à avoir des relations sexuelles avec l’ancien président de la FHF.

Tout le monde se demande s’il va rentrer chez lui le soir au moment de quitter son lit le matin.

Valentin Houdou, entraîneur des gardiens

Cerise sur le gâteau, il y a aussi eu la crise liée à la pandémie du Covid qui a entraîné l’arrêt de tous les championnats nationaux depuis la fin de l’année 2021. Des championnats qui n’ont toujours pas repris deux ans plus tard « à cause des cycles répétitifs de violence armée, des gangs dans les rues, des conflits armés, du manque de ressources, précise Jean-Pierre. Toujours sans président à la tête du pays, l’ampleur de la souffrance du peuple est alarmante. » Cette semaine, le Programme alimentaire mondial a, d’ailleurs, alerté autour de l’ampleur des besoins du pays, où « cinq millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire et alimentaire, peut-on lire dans le rapport d’un des directeurs. Cela représente la moitié de la population, mais aujourd’hui les financements ne sont pas à la hauteur. » Et la sélection haïtienne dans tout ça ?

« Le groupe a conscience de la situation politique au pays. Aujourd’hui je me rends compte de la chance que j’ai eue », pointe Valentin Houdou, qui a posé les pieds en Haïti l’été 2021 pour la dernière fois. Même si un seul Grenadier est pensionnaire d’un club local, tout le monde est préoccupé par le climat délétère dans la partie ouest de l’île, comptant environ douze millions d’habitants. « Ils ont tous de la famille là-bas et ils prennent du temps pour communiquer avec leurs proches. L’insécurité est présente 24h/24, alors ils aiment bien se rassurer et prendre des nouvelles », confesse l’entraîneur des gardiens, qui a dernièrement gardé les cages de la JA Drancy, avant de rentrer un peu plus dans les détails : « Il est arrivé d’apprendre que la mère d’untel n’a pas pu aller travailler parce qu’il y a eu un barrage par la garde du pays, que le père de l’autre a dû rester chez lui ce jour parce que des gangs bloquent les routes, ou encore que les enfants, cousins ou les proches ne sortent pas à droite à gauche parce qu’il y a des risques de kidnapping tous les jours. C’est réel tout ça. Tout le monde se demande s’il va rentrer chez lui le soir au moment de quitter son lit le matin. »

Ils jouent pour les Haïtiens et contre l’oppression et les violences. C’est plus que du football.

Merck’n Sley Suprême Jean-Pierre, journaliste pour Haïti Tempo

Depuis deux ans maintenant, les Grenadiers s’entraînent de l’autre côté de l’île, en République dominicaine, et profitent de l’apport des expatriés pour continuer de fonctionner. C’est logistiquement que ça devient compliqué. « Il y a des demandes de visa qui tardent, des procédures administratives trop longues, des joueurs qui n’ont pas de passeports valides pour transiter vers les États-Unis… une belle galère, mais on sait s’adapter », explique encore Valentin. Par s’adapter, le membre du staff des Grenadiers entend : trouver le moyen de mettre le groupe dans les meilleures conditions possibles, échanger régulièrement avec eux, même quand il est impossible de se rassembler – comme de l’été 2022 à mars dernier – et leur rappeler « même s’ils n’en ont pas vraiment besoin » pourquoi ils se battent. « Ce qui se passe est aussi devenu une source de motivation. Quand j’assiste à toutes les interviews de chacun, que ce soit avec les Grenadiers ou leur club respectif, je suis toujours surpris de voir qu’ils ont systématiquement un mot pour le peuple. Ils jouent pour les Haïtiens et contre l’oppression et les violences. C’est plus que du football, s’émeut presque le journaliste à l’autre bout du téléphone. Le football est une des seules sources de bonheur que les habitants peuvent avoir en ce moment. » Ces derniers temps, le défi est parfaitement relevé.

Valentin Houdou et Alexandre Pierre à l’entraînement – crédit : FHF / Valentin Houdou
Valentin Houdou et Alexandre Pierre à l’entraînement – crédit : FHF / Valentin Houdou

Mission bien-être

Retour au 29 juin 2023. Après trois semaines de préparation, la liste des 23 soldats dévoilée, une poignée de matchs amicaux (contre le Miami United FC, équipe de troisième division, mais aussi Saint-Christophe-et-Niévès, NDLR), et une grande excitation, le premier résultat est tombé : Haïti s’est offert le Qatar (2-1) grâce à un but dans le temps additionnel à Houston. « On l’a fait pour le peuple. J’espère qu’ils l’ont vu. Quand on est rentré aux vestiaires, on était tous complètement éteints. » Même deux jours après, Alexandre Pierre ne s’en remet pas. Jeune portier de la réserve du Racing Club de Strasbourg, celui qui a dû prendre la place du gardien titulaire et capitaine de la sélection Johny Placide – blessé en fin de saison avec Bastia – s’est dit « heureux de cette belle entrée en matière ». De retour dans sa chambre dans un hôtel de Phoenix, dans l’Arizona, il confie savoir à quel point la sélection « était attendue ». Et si la première marche a été franchie, il ne faut tout de même pas s’arrêter là.

Faut voir à quel point on a l’impression qu’on peut déplacer des montagnes quand on est sur le terrain.

Alexandre Pierre, gardien d’Haïti

La « bande de morts de faim », comme il aime les appeler, en a encore sous le pied et veut surprendre une nouvelle fois face au Mexique, devant un stade comble – 60 000 supporters vert et rouge sont attendus. La clé d’un potentiel succès ? Ne rien lâcher dès qu’on entre sur le terrain. « De toute façon, on n’a pas le droit de faire ne serait-ce qu’une course au ralenti. On n’a pas le droit de se manquer et de ne pas faire autre chose que d’être à 110% sur la pelouse. Trop souffrent au pays. J’entendais encore hier que les proches d’un coéquipier avaient peur de sortir de chez eux, rajoute le gardien de 22 ans. Pendant 90 minutes, on a pour mission de leur faire oublier tout ça. »

En prenant légèrement du recul, ce beau succès n’a rien d’un exploit : voilà plus d’un an que les Grenadiers n’ont plus perdu une seule rencontre. Premier de son groupe, invaincu avec cinq succès en six rencontres, Haïti a balayé les Bermudes, Montserrat et la Guyane dans la Ligue des nations CONCACAF, en terminant tout en haut du tableau des équipes les plus prolifiques avec 22 buts de l’été 2022 à mars dernier. « Faut voir à quel point on a l’impression qu’on peut déplacer des montagnes quand on est sur le terrain, relance Alexandre, et puis si quelqu’un est fatigué, un autre va le remplacer et donner encore plus. » Face au Qatar, c’est d’ailleurs l’attaquant de l’Hapoël Haifa Carnejy Antoine, entré en jeu dans le temps additionnel, qui a délivré la passe décisive lors du second but. « On est un groupe ! » « Doyen » du staff de la sélection et le seul à avoir été sous la direction de Marc Colat et Jean-Jacques Pierre avant Gabriel Calderón Pellegrin, Valentin Houdou sent que quelque chose de nouveau est en train de naître : « C’est une aventure humaine incroyable. L’humain, c’est 90% du boulot avec cette sélection. Allez 80% peut-être parce qu’il y a évidemment un gros projet sportif derrière. Mais le sportif n’est pas grand-chose. Ils ont déjà tous beaucoup de talents. Ils traversent tous une période compliquée et pourtant réagissent de la plus belle des manières. Et c’est pour ça qu’on va sortir des poules. » Trop ambitieux ? Peut-être. Mais après avoir surpris tout le monde d’entrée de jeu, les Grenadiers ne peuvent de toute façon plus se cacher.

crédit : FHF / Valentin Houdou
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Dans cet article :
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Par Matthieu Darbas

Tous propos recueillis par MD.

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