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Haïti douché
Après la douce ballade américaine, le retour à la réalité. Sec et brutal. La sélection d'Haïti n’ira pas en Russie, c’est certain. Et pas sûr qu’un tel répit au tragique quotidien de l’île ne se reproduise de sitôt.
Ça s’est passé il y a deux semaines. Le milieu défensif et capitaine de l’AS Mirebalais, Harold Fédé, rentre d’un tournoi amateur et se prend une balle dans le dos. Il succombe à ses blessures peu après son hospitalisation. Il y a quelques jours, c’est une bonne sœur d’origine espagnole, Isabel Sola Macas, qui est assassinée dans sa voiture. Deux balles dans la poitrine. Et à chaque fois, des mots un peu résignés de la part des officiels sur place, pour réagir à ces faits divers. En l’occurrence, ceux de Sergio Cuesta Francisco, le consul espagnol : « Ce sont malheureusement des choses qui arrivent. Dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, des fois, la vie est compliquée. »
Du rire aux larmes
Il y a un peu plus de neuf mois pourtant, la sélection de Patrice Neveu faisait la une des journaux, la fierté des habitants et l’éclipse partielle de ces drames : « Au début, tout le monde était très motivé. La Fédération, le staff, l’État, la population… Toutes les entités du pays » , raconte le sélectionneur français. Arrivé quelques jours avant les fêtes de Noël 2015, il mène Haïti à la première Copa América de son histoire deux semaines plus tard, avec une victoire en barrage contre Trinité-et-Tobago. Le rêve. Qui annonce surtout le réveil à venir. Logiquement, les Grenadiers se font sortir des poules aux États-Unis – trois défaites, douze buts encaissés contre le Pérou, le Brésil et l’Équateur – et ont du mal à retrouver leur innocence initiale.
Depuis l’exploit trinidadien, la sélection ne gagne plus. Ou très peu. Certes, à chaque fois, il ne manque pas grand-chose pour un nouvel exploit – « On perd souvent sur des scores étriqués » , regrette Patrice Neveu –, mais le constat est là : avec cette nouvelle défaite cette semaine face au Costa Rica et malgré une ultime victoire face à la Jamaïque, il n’y a plus aucune chance pour qu’Haïti voie la Russie. Le rêve est donc terminé, pour le moment. Des sourires et de la fierté nationale, on est passé au manque de moyens et de communication. Pour ces deux matchs primordiaux, il ne manquait pas moins de « quinze joueurs habitués de la sélection » . Johny Placide, en plein mercato, Jean Sony Alcénat, qui n’a pas obtenu les papiers nécessaires à son rapatriement, Romain Genevois, victime d’un abcès dentaire, Kim Jaggy, en pleine révision, et puis surtout de nombreuses blessures.
Période électorale
Une situation difficilement gérable et qui s’envenime petit à petit avec les médias et les supporters. À tel point que le technicien français a dû se justifier sur Facebook, à la fin du match contre le Costa Rica, de ne pas avoir été invité en conférence de presse.
Ce qui a, forcément, tendance à affecter Patrice Neveu : « On manque de moyens, c’est un fait. Mais c’est frustrant. Je n’ai pas envie d’entrer dans les détails, mais chez les seniors, il faut payer les billets des joueurs, payer les primes de match, et ici ce n’est pas facile de financer tout ça. On manque de moyens en cette période cruciale pour assurer nos échéances. J’ai dû piocher parmi des joueurs locaux, des jeunes. »
Et même si ces derniers lui ont donné satisfaction sur le terrain, « c’est frustrant d’être amputé de joueurs importants, capables de mettre un but parce qu’on a surtout manqué de réalisme. On aurait pu gagner contre le Costa Rica dans d’autres circonstances. » Désormais, et puisqu’il lui reste deux ans de contrat, il va essayer de se concentrer sur l’avenir. En visant loin, en prenant en compte la faible marge de manœuvre et en privilégiant donc les joueurs disponibles, parce que « ça dépasse tout simplement le cadre sportif » . Et autant dire qu’en période d’élections présidentielles, annulées fin 2015 en raison de fraudes et reportées pour la fin 2016, le football est loin d’être une priorité.
Par Ugo Bocchi