Je vais vous raconter comment je l’ai découvert, Stéphane. On était en stage en Suisse avec l’AJA et je mangeais au resto de l’hôtel. Il y avait des gens du village qui buvaient un fondant, alors j’engage la conversation. Sion venait de déposer le bilan, donc je leur demande s’il n’y a pas des bons jeunes du club qui sont sans boulot. Un des gars me dit : « Vous voyez la vallée là-bas, et bah de l’autre côté, il y a un joueur qui s’appelle Grichting. – Et vous n’avez pas son numéro ? – Regardez donc dans l’annuaire. » Je prends l’annuaire, j’appelle et je lui dis de monter avec ses chaussures. Il est resté huit jours avec nous, c’était un espoir formidable et je l’ai embauché.
Vous avez des nouvelles de lui ?
Il a resigné pour une saison avec les Grasshoppers. Il a une femme très chouette, étudiante. Et ses enfants sont des petits Auxerrois, ils sont franco-suisses. Il a mis tout son argent au Crédit Agricole d’Auxerre. C’est bien connu, les Suisses mettent leur argent en France (il se marre). Hé, pas si idiot que ça ! Parce que les taux d’intérêt sont plus élevés en France qu’en Suisse. Nous, ce qui nous gêne, ce sont les impôts terribles. Mais le Suisse qui met son argent en France, il n’a pas les impôts français et il a des taux d’intérêt plus intéressants que chez lui.
Qu’est-ce que vous faites là, Guy ?
Je suis consultant pour Europe 1, comme tout le reste de l’année. Je vais suivre l’équipe de France jusqu’à ce qu’elle soit éliminée.
Vous avez discuté avec les joueurs ?
Non, je ne discute jamais avec eux pendant la Coupe du monde. Pourtant, avant, j’en avais plusieurs. Maintenant, je n’ai qu’un ancien, Sagna. Mais je ne suis pas journaliste, je ne fais pas d’interview, donc je reste à ma place. Je n’ai pas de rapports avec eux pendant la compétition.
Comment vous la sentez cette équipe de France ?
Objectivement, si je ne prends pas en compte mes sentiments, qui sont profonds, elle est trop débutante. On a des joueurs qui ont trop peu de sélections. Exemple : Koscielny contre l’Ukraine. C’est l’exemple parfait d’un mec qui n’a pas 30 sélections. Prenons la dernière finale : elle opposait les deux sélections qui avaient le plus de sélections.
Mais cette Espagne expérimentée a explosé face à des Pays-Bas nettement rajeunis…
Il y a une mode qui est venue des victoires du Barça et de la sélection espagnole, de tenir la balle. Bon, évidemment, dans un match, les deux équipes ne peuvent pas tenir la balle 70% du temps chacune, sinon ça ferait 140%. On a communément admis que celle qui avait le plus de possession remportait le match. Or, moi je savais depuis longtemps que c’est faux. On peut gagner en n’ayant pas la balle. Exemple, les Auxerre-Nantes. La possession n’était pas mesurée à cette époque, mais Nantes nous dominait largement dans ce secteur. Et pourtant, on les a battus au moins la moitié des fois. Les années où j’avais des attaquants très rapides, Cocard, Cissé, je jouais bas, pour leur laisser plus de place. Parce ce que ce qui empêche un attaquant rapide de faire la différence, c’est quand il y a beaucoup de défenseurs entre lui et le but. On jouait à nos 20 mètres, notre bloc s’étendait sur 30m maximum, donc il restait 50m à nos attaquants pour faire la différence en vitesse. Et sur 50m, personne ne rattrapait Cissé ou Cantona.
En 78, Des militaires sont entrés en courant et nous ont ordonné de nous taire
Sur vos 13 Coupes du monde, quelle est votre préférée ?
Celle de 1970, parce que j’ai eu une chance phénoménale. J’ai réussi à assister tous les jours à l’entraînement du Brésil, dans un camp d’entraînement du club Atlas, à Guadalajara. J’avais donné un petit billet de dollars au chef de poste, avec lequel je suis ensuite devenu ami. Un adjudant de l’armée mexicaine. Le Brésil était en avance à ce moment-là, et puis il y avait des grands joueurs, Pelé, Gerson, Tostão, Jairzinho, Paulo Cesar. Il y avait juste un mauvais gardien, Félix. Ils disaient que c’était fait exprès pour les obliger à attaquer sans arrêt, parce qu’avec ce gardien, il fallait marquer trois buts minimum par match pour s’assurer de gagner.
Vous avez une anecdote marquante ?
En 1978, j’étais avec une trentaine de Français dans un restaurant du centre de Buenos Aires pour le 14 juillet. C’était un endroit immense, il devait y avoir 300 personnes. Comme j’ai toujours été un peu leader, je me suis levé et j’ai commencé à chanter La Marseillaise. Les Français ont fait de même et les Argentins se sont levés à leur tour et nous ont écoutés avec émotion. L’Argentine était sous la dictature de Videla et voir une trentaine de personnes entonner librement un chant révolutionnaire leur plaisait. Mais d’un coup, des militaires sont entrés en courant et nous ont ordonné de nous taire. Un d’eux parlait français, je lui ai expliqué que pour nous, c’était un jour de fête nationale. Ils ne voulaient rien savoir, nous ont dit d’arrêter et sont partis. Toutes les autres tables nous ont alors offert une bouteille de vin. C’était très touchant.
Pour finir, qui est le principal favori selon vous cette année ?
On va attendre que ça se décante. Pour l’instant, les Pays-Bas et l’Allemagne sont les équipes qui ont le plus impressionné, mais rappelez-vous en 1998, la France n’avait pas fait un grand match contre l’Afrique du Sud. Un peu comme le Brésil face aux Croates. La seule différence, c’est qu’elle n’avait pas eu besoin de l’arbitre pour gagner le match. Mais ça, c’est une constante : les arbitres vont toujours au secours du succès. Sauf quand ils se vengent, comme avec l’OL, qui après avoir beaucoup travaillé sur l’influence des arbitres, a pris la foudre pendant un mois, avec les trois buts hors-jeu de Monaco, le penalty qui aurait dû être un coup franc en finale de la Coupe de la Ligue. C’est grave, tout ça.
Les notes de Nantes-Marseille