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- Interview Lilian Laslandes
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« Guy Roux disait que j’étais un garçon de village »
Il y a plus de vingt ans, la crinière blonde de Lilian Laslandes débarquait sur le championnat de France. Parfois loin de son Médoc natal, toujours proche des tribunes. Retour en trois actes, d'Auxerre à Bordeaux en passant par Sunderland, sur quinze ans de foot français.
Bonjour Lilian. Remontons immédiatement à votre enfance. Dans quel environnement avez-vous grandi ?Mes parents ont toujours été derrière moi par rapport au foot. Mon père a joué en amateur, mon grand-père avait joué aux Girondins, ma mère et ma sœur en D2 au hand, donc l’esprit de compétition était déjà là. Lorsqu’il y avait des stages, des sélections, mes parents me les finançaient. Parfois, du coup, on ne partait pas en vacances. Ils m’ont toujours poussé à me battre. Quand je n’ai pas été pris dans ce qui était considéré comme le deuxième centre des Girondins, ils m’ont aidé à trouver un club, à Mérignac. C’est un chemin de traverse, et là, si tu n’as pas le mental, tu ne passes pas.
Vous étiez déjà attaquant ?Au départ, en poussins, j’étais défenseur central parce que j’étais plus grand que les autres. Mais rapidement, je suis passé devant. Les filets me donnaient de l’excitation.
C’est ce que je préférais : faire trembler les filets. Déjà petit, chez ma grand-mère, sur le lit, je reproduisais des buts, j’imaginais des finales de Coupe. Après, je n’ai jamais parlé de moi comme d’un buteur. J’ai toujours recherché à jouer pour les autres. Enfant, j’admirais Bernard Lacombe pour ça. Et on peut regarder les stats, chaque saison j’ai marqué une quinzaine de buts, mais aussi une palette de passes décisives. C’est mon identité. En DH, on comptait un petit peu plus sur moi, car j’étais le petit jeune d’une équipe entourée d’anciens, mais ensuite, en pro, on ne m’envoyait plus de longs ballons dans la course. Je jouais avec les qualités des autres, ils jouaient avec les miennes. J’ai eu la chance de jouer avec des gens intelligents.
En 1991, après Mérignac, vous allez à Saint-Seurin alors en D2. Comment se passe cette arrivée dans le monde pro ?À Mérignac, il y avait des garçons qui avaient joué avant à Saint-Seurin, donc ils m’ont mis en contact avec le coach de l’époque. Je suis allé faire un match amical en fin de saison, les mecs en avaient par-dessus la tête. Je me suis dit : « Putain, pour un match d’essai, ça va être le top. » Finalement, sur le terrain, c’était super et j’ai été très bon dans le jeu. Le truc, c’est que j’ai six occasions et je n’en marque pas une. À la fin du match, je vais voir le coach pour le remercier et il me dit : « Tu aurais été dans ton jardin de Mérignac où tu plantes depuis trois ans, tu crois que tu ne les aurais pas mis ? » Je pensais qu’à un certain niveau, tu étais jugé sur les buts avant tout.
Et ?Je suis parti en stage avec eux à Sabres, dans les Landes. Le physique n’a pas été un problème pour moi. Au départ, les anciens pensaient que j’allais me cramer tout seul, mais ils ont compris que c’était l’une de mes qualités. Après, ils m’ont fait quelques coups. Ils avaient demandé à la kiné de l’époque de me masser au soleil pendant qu’eux jouaient à la pétanque à côté en lui demandant d’insister en haut des cuisses (rires). J’ai vu de suite que j’étais entré dans une belle famille. Il fallait juste bosser pour y entrer. Furlan m’avait prévenu, cette saison devait me servir de tremplin pour la suite parce qu’on ne savait pas où en serait le club, financièrement et sportivement, la saison suivante. Si cette saison ne se passait bien, peut-être que ce serait terminé pour moi.
Bordeaux vient alors te chercher et tu décides de filer à Auxerre. Comment peut-on refuser son club de cœur ?J’ai eu la chance d’avoir le choix. On avait battu Bordeaux en Coupe de la Ligue (2-1), j’avais marqué les deux buts. Battiston m’avait demandé à la fin du match de venir au Haillan pour discuter. Le club m’a proposé d’être stagiaire, de m’entraîner avec la division trois et quelques fois dans le groupe pro. Le truc, c’est que ça faisait un moment que les Girondins ne sortaient plus de jeunes. Le discours ne m’a pas plu, et je suis parti à Auxerre. Guy Roux m’avait précisé, de son côté, que je ne serais pas déçu. L’AJA était dans le haut du panier en matière de formation et me proposait de m’entraîner tous les jours avec le groupe pro.
Quel a été le discours de Guy Roux à ce moment-là ?Il m’avait donné rendez-vous dans un hôtel après Téléfoot. C’était devant mes parents, et Guy Roux est fort pour ça, il sait intimider la famille.
J’ai rapidement compris comment il fonctionnait, il chopait des joueurs en D2 pour les recruter. J’ai signé un an et il m’a dit : « Si tu fais plus de dix matchs sur la feuille, tu seras pro. Tu vas commencer à 30 000 francs et on verra ensuite. » La première semaine a été très difficile. Au bout de cinq ou six ans, j’ai compris pourquoi. C’est simple, du mardi au vendredi, c’est toujours la même chose. Rien ne change d’une virgule. Les premiers entraînements, ça a été un choc. J’avais l’impression que les mecs faisaient tous les gestes les yeux fermés. Mes parents et mon ex-copine de l’époque m’avaient suivi à Auxerre et, après la première semaine, je leur ai dit que je voulais aller voir Guy Roux et déchirer mon contrat. J’étais perdu.
Il a souvent été décrit comme quelqu’un d’assez paternaliste. Comment était-il avec vous ?Il avait une force qu’on ne retrouve plus dans les entraîneurs aujourd’hui. Que tu gagnes ou que tu perdes, il ne mettait jamais son équipe face aux médias. C’était sa personne qui s’était trompée. À Auxerre, Guy Roux faisait tout. Dans la formation des jeunes, c’est quelqu’un d’énorme. Dans son discours, il sait t’accrocher comme il a su le faire avec des mecs à relancer comme Blanc ou Franck Silvestre. Il savait te faire oublier que tu étais à Auxerre. Nous, la ville, on s’en foutait, on allait à droite, à gauche, on s’invitait les uns chez les autres.
Vous arrivez dans un effectif riche avec une concurrence importante devant avec Cocard, Baticle, Vahirua…C’est clair, mais la première année, je marque le même nombre de buts que Gérald Baticle. Le truc, c’est que moi, je jouais aussi parfois avec la CFA, la DH, la D4 le dimanche. Le samedi soir, je restais sur le banc ou rentrais quelques minutes, et Guy Roux me demandait de jouer le lendemain pour aider les autres équipes du club à prendre des points. Mes parents étaient là, mais je retournais jouer au foot. Je crois que cette année-là, j’ai marqué un truc comme 66 buts. Quand je revenais au stade, Guy Roux me demandait comment le match s’était passé et me donnait une paire de tennis pour ma copine. Mais c’était drôle, car le dimanche, les mecs contre qui tu jouais venaient de te voir entrer la veille à la télé. J’étais un gamin de dix-neuf ans, ça me permettait de bosser davantage. Il faut avoir le mental pour le faire, l’envie de se taper 100 bornes aller, 100 bornes retour pour aller jouer en DH. C’est pour ça que lors d’une réunion il n’y a pas longtemps, Guy Roux a dit : « J’ai adoré travailler avec lui. C’est un garçon de village parce que tu peux tout lui demander, donc il pourra jouer jusqu’à quarante ans. » Le seul truc qu’il a toujours répété ne pas pouvoir gérer avec moi était le fait que je vienne du Sud-Ouest. Et la fête là-bas…
Et cette fête, comment pouvait-elle avoir lieu sous sa direction ? Pendant le championnat, on était sages. En revanche, quand on partait en stage à Soulac, on venait chez moi donc bon. On faisait une sortie par semaine où des copains à moi venaient nous chercher, ils nous emmenaient à Bordeaux… On ne prenait pas de risques, mais on voulait être ensemble.
Cet esprit de famille, je l’ai trouvé directement à Auxerre avec des mecs comme Vahirua, Cocard, Martins, Prunier. Moi, j’étais en chambre avec Georges Moureaux, on avait la même mentalité et on était tous les deux du Sud. Lors de notre premier stage, les anciens sont venus taper à notre porte pour nous dire que c’était l’anniversaire de Corentin et nous invitaient à boire un coup dans leur chambre. Sur la table, il y avait Ricard, whisky… Les gars nous ont dit que le premier Ricard était cul sec. Après, on a eu le droit de leur demander ce qu’on voulait, donc ils l’ont fait à leur tour. Dans la soirée, ils avaient réservé une boîte pour sortir. Nous, on était là depuis deux mois à peine, on ne savait pas si on pouvait se permettre, mais on a pris le risque pour se fondre dans ce groupe.
Mais Guy Roux avait déjà des yeux un peu partout, non ?Quand on était sur Auxerre, oui. Il ne fallait pas payer en carte bleue, hein. Dans les boîtes, je ne l’ai pas vécu, moi, mais à l’époque de Pascal Vahirua, le DJ mettait une musique pour signaler que Guy Roux arrivait. Un jour, Pascal ne s’en rappelait plus, il dansait avec une fille et elle lui a dit que le coach était derrière lui. Il lui a mis la main sur l’épaule et lui a dit : « Pascal, qu’est-ce que tu fais là ? Allez rentre chez toi. »
Mais les soirées en stage restaient secrètes alors ?Bien sûr. Mais à Annecy, c’était quelque chose. C’était tous les soirs. En revanche, il n’y avait pas d’alcool, c’était juste histoire d’être ensemble et de s’amuser. Le lendemain matin, à l’entraînement, personne n’avait intérêt à dire qu’il était blessé ou quoi. Personne ne trichait. C’est ce qui a formé notre groupe, notre équipe. On était le soir comme sur le terrain.
Auxerre t’a aussi permis de découvrir l’Europe. Dès la première saison, vous tapez le grand Ajax de Van Gaal, invaincu en Coupe d’Europe depuis plus d’un an…Auxerre, c’est un village, donc pour les matchs européens, le stade était plein. Guy Roux, c’était sa Coupe du monde. Contre l’Ajax, j’étais encore un gamin, je croquais quelques bouts de matchs et de l’expérience.
Mais toute ma vie, je me souviendrai de cette défaite en demi-finale contre Dortmund. Au moment où le coach me fait entrer, il me dit que j’ai un truc à faire. Quand vient la séance de tirs au but, il s’avance et dit : « Bon, les gars, qui se sent ? Lilian tire obligatoirement. » T’as 19 ans, devant un stade plein et tu sais que tu peux faire perdre ton équipe, donc j’ai juste voulu attraper le cadre. C’est la première fois que j’ai tiré un penalty en force. Sur le moment, c’est un peu individualiste, mais je me dis qu’il peut se passer n’importe quoi, j’ai fait mon boulot. Mais quand j’ai vu la tristesse de Stéphane Mahé, je me suis arrêté de penser comme ça.
Sur ce penalty raté de Mahé contre Dortmund, c’est cette image qu’on retient. On voit un groupe uni comme une famille. C’était ça, l’AJA de Roux ?Clairement. Après l’excitation d’un match, avant trois heures du matin, tu ne dormais pas. On a beau faire l’un des plus beaux métiers du monde, on reste des hommes.
On voulait profiter aussi. J’ai connu des joueurs qui ne profitaient jamais, mais moi, qui ai perdu des amis très jeunes, je voulais aussi profiter pour eux. Si tu sors tous les soirs et que tu n’assures pas sur le terrain, il est normal que tu sois critiqué. Quand j’étais à Bordeaux, c’était pareil. À partir du moment où j’ai acheté le bar, j’étais toujours dehors. Le président le savait : après chaque match, j’allais au resto avec des amis, parfois en boîte, mais sur le terrain, je faisais mon travail. Le football, ce n’est pas un homme, c’est tous ensemble. On se connaissait tous, même à travers les femmes des joueurs.
Le succès de votre aventure à Auxerre s’explique avant tout par cette ambiance, non ?Complètement. Regarde, même la nuit de notre deuxième Coupe de France en 1996, alors qu’on joue notre titre à Guingamp la semaine d’après, le club avait organisé un karaoké. On était au Trianon Palace et on se regarde entre nous pour se retrouver après. Le mec du karaoké était en train de craquer, il en avait marre, et nous, on voulait qu’il continue. On est allés se changer et est sortis à sept-huit. On avait besoin de fêter ça.
Avec du recul, ça serait quoi, le secret de ce titre avec l’AJA ?C’était une histoire de talent et d’osmose de groupe. Même quand tu étais remplaçant, tu avais envie d’en faire partie. L’important était d’être dedans. Les anciens t’apprenaient la rigueur, le contact, l’implication. On répétait les gestes, toujours. Guy Roux nous le disait, une passe, c’est 50 cm à droite, 50 cm à gauche, mais pas plus. Moi, à l’époque, mon pied gauche me servait seulement à monter dans un bus. J’ai bossé et maintenant, je mets où le ballon où je veux.
Comme sur ce geste à Dortmund…Oui, je fais le geste, je ne vois personne à côté de moi et je la tente. Sauf qu’après, à la vidéo, je me rends compte que le défenseur fait semblant que je le touche, alors que le ballon est déjà entré dans le but. C’est Guy Roux que ça a surtout marqué, il en parle encore aujourd’hui. Sur le moment, je pense qu’il y a faute. Ce but aurait pu compter, mais vu qu’il n’a pas compté, je ne le garde pas tellement en mémoire.
À 20 ans, avec ses premiers salaires, il n’y avait pas un risque de dévier ?Je viens d’une famille où un euro, c’est un euro. J’ai eu la chance de basculer du bon côté. J’avais arrêté mes études pour faire un BEP pendant deux ans.
Ce qui m’a énervé, c’était de travailler la journée à l’école et d’avoir des devoirs à faire à la maison. Moi, je voulais travailler, donc j’ai fait un BEP comptabilité, et ma mère voulait me faire entrer dans la vie active. Elle travaillait chez Mouton Rothschild, elle voulait me faire découvrir tous les services, donc pendant huit heures, je mettais des bouteilles dans des caisses, mais en revanche, c’était pareil, on faisait ça avec des copains. On faisait notre travail, mais on rigolait. Je n’ai jamais fait quelque chose tout seul. Même courir tout seul, ça ne m’intéresse pas. Quand tu es deux, tu peux discuter, parler, rigoler…
Par Maxime Brigand et Florian Cadu, à Niort