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Gunnar Nordhal, le pompier était en feu
Trois frères, une victoire historique. En 1948, à l’occasion des Jeux olympiques à Londres, la Suède découvre une génération dorée menée par un pompier de 26 ans, Gunnar Nordhal. Le gamin finira meilleur buteur du tournoi à coups de volées et de filouterie avant de tirer sa révérence, laissant à son pays l'unique titre international de son histoire.
Le passant londonien de 1948 a de quoi être surpris. Huit ans seulement après le bombardement de la capitale par les Allemands, qu’il y croit ou non, les premiers Jeux olympiques post-Seconde Guerre mondiale auront lieu entre les bâtiments en reconstruction et les ruines abandonnées. Une compétition historique qui frôle d’ailleurs le foutoir tant les conditions climatiques sont catastrophiques, obligeant les organisateurs à disputer les deux dernières épreuves de nuit à la lumière des phares de voiture. Mais plus insolite encore, la vraie folie se déroule sous les yeux des spectateurs du tournoi de football. Alors que les Indiens débarquent au premier tour pieds nus face aux Français, c’est une autre équipe venue du grand Nord qui refroidit les favoris. On attendait le Danemark et l’Autriche, c’est finalement la Suède qui enchaîne les branlées. Dans ses rangs : les trois frères Nordhal emmenés par Gunnar, le benjamin : « Ils étaient venus en ferry de Göteborg jusqu’à Londres, pointe au téléphone son fils Thomas, deux ans à l’époque. Et ils étaient repartis par le même chemin, avec leur médaille d’or autour du cou. » La fratrie emmènera la Suède à son unique titre international, avant que Gunnar ne devienne meilleur buteur de l’histoire de l’AC Milan. Un transfert qui signa la fin d’une génération dorée qui aurait dû marquer l’histoire.
Gre-No-Li
« Je ne sais pas si mon père était le meilleur joueur de l’époque, mais le trio qu’il formait avec Gunnar Gren et Nils Liedholm est l’un des meilleurs trios de l’histoire. » Pour Thomas Nordhal, le doute ne dure jamais bien longtemps. Le triptyque en question : Gren-Nordhal-Liedholm, abréviation Gre-No-Li, qui mène l’attaque de la sélection suédoise dans la compétition. Liedholm est à gauche, Henry Carlsson est à droite et les deux Gunnar couvrent l’attaque. Le second, Gren, rappelait quelques souvenirs pour la FIFA à l’occasion du dernier Euro : « (Gunnar Nordhal) marquait aussi bien des buts de raccroc que des petites merveilles. Il arrivait à trouver des espaces là où les autres joueurs n’en voyaient pas. » La complicité de groupe saute aux yeux dès le premier match, où la Suède abat l’Autriche 3-0 sur un doublé de son buteur fétiche. Plus fort encore en quarts de finale, où le bonhomme signe un quadruplé pour une victoire 12-0 face à la République de Corée. Le fils : « C’était un attaquant très très fort sur 10-20 mètres. Il était très rapide, il pouvait tirer depuis plein de positions parce qu’il protégeait très bien la balle. Son geste préféré, c’était la reprise de volée, il me semble qu’il en avait marqué onze sur une saison à l’AC Milan. »
De plus, la fratrie Nordahl ne compte pas un seul représentant, mais trois. Sur les cinq frères que compte la famille, quatre sont footballeurs professionnels et trois sont titulaires lors du tournoi : Bertil, l’aîné, Knut, le cadet, et Gunnar, donc. « Je ne peux pas l’expliquer, soupire Thomas Nordhal, ils ont grandi dans le nord de la Suède, à Hörnefors, il n’y avait pas grand-chose à faire à part s’essayer au sport. Ils venaient d’une famille pauvre. Ils tentaient d’avoir un quotidien normal. » Un quotidien « normal » où les neuf enfants côtoient les parents dans une maison d’une seule pièce, mais qui permet tout de même aux frères de remporter consécutivement trois titres de Guldbollen – Ballon d’or suédois – chacun leur tour entre 1947 et 1949. Destin vermeil pour le petit Gunnar, convaincu de signer dans son premier club en 1944 grâce à un poste offert de pompier intérimaire avant, quatre ans plus tard, de jouer les allumeurs de mèches en demi-finales face au Danemark.
Saut de cabri derrière le gardien
L’histoire du plus fameux but de cette demi-finale devait revenir au fils du héros : « Le Danemark venait de perdre le ballon dans sa moitié de terrain. La Suède récupère le ballon et remonte le terrain, mon père avec. Le jeu se déroule à droite, jusqu’au niveau du point de corner. Là, Gunnar se rend compte dans la surface qu’il est hors jeu et se jette à l’intérieur du but danois, derrière le gardien, pour ne pas être en jeu. » Henry Carlsson conclut alors de la tête en toute régularité, « et mon père a pris le ballon dans les mains pour le reposer dans le rond central(rires) » . Les hommes en jaune et bleu s’imposent 4-2 et filent en finale où la Yougoslavie ne fera jamais le poids : victoire 3-1 et médaille d’or autour du cou. Le Milan a évidemment repéré les exploits du joueur de 26 ans et l’enrôle le 22 janvier 1949, sans savoir encore qu’Il Pompierone deviendra le deuxième meilleur buteur de l’histoire de la Serie A derrière Silvio Piola avec 274 buts en 254 matchs (il est aujourd’hui aussi dépassé par Totti, ndlr).
Un transfert professionnel qui marque par là même la fin de sa carrière internationale – 43 buts marqués en 33 matchs, sympathique -, une règle limitant à l’époque l’accès à l’équipe nationale aux amateurs. Thomas Nordahl : « Bien sûr qu’il était très déçu de ne pas pouvoir jouer, surtout en 1950 au Brésil, il m’a dit qu’il regrettait. À l’époque, il y avait beaucoup de grands footballeurs suédois. Il était reconnu comme Zlatan l’est aujourd’hui. C’est notre second meilleur joueur de l’histoire, oui, son héritage a été un peu dur à porter parfois. » La Suède décrochera encore une troisième place au Mondial 1950, puis une deuxième en 1958 à la maison, mais sans jamais réunir la fratrie Nordhal au complet. Une équipe présumée meilleure que la Hongrie légendaire, et dont le sélectionneur George Raynor pointait toute la subtilité en 1950 : « Ce sont des gens très studieux, ils analysent tout. Par exemple, quand vous hurlez « Vous allez courir oui ou non ? », les Anglais se mettent à courir sans poser de questions. Les Suédois, eux, vous demandent où est-ce que vous voulez qu’ils courent… » Derrière le gardien, pour les plus fous.
Par Théo Denmat