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Guinée équatoriale-Espagne, l’amical qui fait tache
Pour la Roja, la trêve automnale devait être une grande fête avec le déplacement pour un match amical « souvenir » en Afrique du Sud. Le hic, c'est qu'en chemin, la sélection espagnole fait un stop en Guinée équatoriale, un pays pas vraiment modèle en matière de démocratie et de droits de l'homme. Récit d'une polémique.
L’Espagne avait prévu de longue date d’aller jouer un amical en Afrique du Sud en mémoire de sa victoire à la Coupe du monde 2010. Comme il y avait une date internationale de libre avant cette rencontre, la Fédération espagnole a cherché un adversaire « sur le chemin » . De l’aveu même d’Ángel María Villar, son président, les négociations étaient avancées avec le Gabon et surtout avec l’Angola, mais celles-ci ont finalement achoppé, car les fédérations respectives des deux pays ont refusé de payer l’indemnité d’environ deux millions d’euros que demandait la Roja pour participer à la rencontre. À la suite de ces deux refus, c’est finalement la Guinée équatoriale qui a obtenu, un peu à la dernière minute, le précieux sésame : recevoir à la maison les populaires champions du monde. Une rencontre amicale cette fois-ci officiellement organisée sans aucune contrepartie financière. Les officiels de la Fédération championne du monde sont allés jusqu’à se féliciter de ce geste philanthropique envers « une Fédération amie en difficulté économiquement » .
Comme un air d’Espagnafrique
À part un favoritisme un peu douteux, rien de dramatique dans ce choix. Le problème, c’est que la Guinée équatoriale n’est pas un pays vraiment fréquentable. Dirigé depuis 34 ans par Teodoro Obiang, le pays est classé 163e sur 176 sur l’échelle de la corruption établie par Transparency International. Un pays au sein duquel « les libertés et les droits fondamentaux sont quotidiennement bafoués » , selon Amnesty International. Un pays avec un PIB par habitant qui frôle les 20 000 dollars, mais dans lequel 76% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Deux chiffres qui donnent une idée des inégalités qui ravagent ce minuscule pays pétrolier. Longtemps en marge des institutions africaines, la Guinée équatoriale a depuis quelques années entamé une vaste entreprise visant à redorer son image écornée. Pas tellement branché football jusqu’alors, Obiang a compris l’importance de la diplomatie du ballon rond lorsqu’il a obtenu que la Guinée co-organise la CAN 2012. Pour l’événement, le président guinéen s’est offert, grâce au fric du pétrole et à une politique de naturalisation avantageuse, une équipe de mercenaire qui est parvenue à atteindre les quarts de finale de la compétition, alors qu’elle n’en avait jamais atteint la phase finale jusque-là. C’est donc dans la lignée de cette politique de séduction que s’inscrit le match de gala contre les Champions du monde.
La France a eu Omar Bongo, l’Espagne a Teodoro Obiang. Ancienne colonie espagnole, la Guinée équatoriale est le seul pays africain dont la langue officielle est celle de Cervantes. Côté football, la Nzalang Nacional, 119e nation au classement FIFA, est aujourd’hui entraînée par Andoni Goikoetxea, ancien international espagnol, défenseur central de l’Athletic Bilbao dans les années 1980 et ami de longue date du président de la RFEF, Ángel María Villar. En plus du sélectionneur, neuf internationaux guinéens jouent actuellement en Espagne dans des clubs de seconde zone. Les liens qui unissent les deux pays vont cependant aujourd’hui au-delà de la linguistique et du football. Deuxième partenaire économique du pays derrière les États-Unis, l’Espagne a les yeux rivés sur la manne pétrolière contrôlée par le clan Obiang. Suffisant pour fermer les yeux sur les sujets qui dérangent et pour organiser une petite visite surprise de la Roja ? C’est en tout cas l’avis de Severo Moto, président du gouvernement guinéen en exil : « Ce match ne s’est pas organisé sans contreparties. Cette rencontre fait une publicité indécente à Obiang et à son régime. Cette publicité se paie. Si la Roja ne reçoit pas d’argent, c’est qu’il passe par d’autres canaux. »
« Un coup de pouce à une dictature corrompue et sanguinaire »
La Fédération et le gouvernement espagnol se renvoient la balle quant à la responsabilité de la rencontre. Si au sein de la Fédé, on affirme avoir demandé l’aval du gouvernement avant de signer le contrat, le ministère des Affaires étrangères espagnol nie toute responsabilité en affirmant que la RFEF est seule compétente en ce qui concerne le choix de ses adversaires. Du pur Ponce Pilate. Le porte-parole dudit ministère a néanmoins bien du mal à se dépatouiller lorsqu’on lui demande si la visite que le secrétaire d’État au Développement a effectuée à Malabo (la capitale de la Guinée équatoriale) en début de semaine avait un rapport avec le match de samedi. « Vous essayez de politiser un événement qui ne l’est pas » , se défend-il. Cinq partis politiques (principalement des petits partis de gauche et des partis indépendantistes) se sont publiquement indignés de ce déplacement suspect, sommant lors de la séance de questions au gouvernement les responsables politiques de s’expliquer sur ce qu’ils présentent comme « un coup de pouce à une dictature corrompue et sanguinaire » .
Et les joueurs dans tout ce micmac ? Titillées sur la question en conférence de presse, les ouailles de Vicente del Bosque ont botté en touche avec la langue de bois habituelle du footballeur. Quelque chose qui ressemble à « nous ne sommes que des footballeurs, nous allons simplement là-bas pour jouer au foot » . Du grand classique. En off cependant, le quotidien AS croit savoir que le groupe a exprimé son malaise quant à ce déplacement. Si aucun événement officiel avec le chef d’État n’est au programme, les joueurs verraient d’un mauvais œil d’être utilisés comme objet de propagande par le régime. Ils seraient particulièrement hostiles à l’idée de poser pour une photo souvenir avec le dictateur. Un événement qui nuirait forcément à leur image de gentils garçons et d’étendards nationaux et publicitaires. Pour certains joueurs comme Xavi, Torres ou Llorente, ambassadeurs de l’Unicef, un cliché au côté du tyran serait désastreux et les ferait passer pour des monstres d’hypocrisie. Après tout, rien de vraiment nouveau au sein d’une planète football qui, en 1966, avait attribué le Mondial 1982 à une Espagne alors franquiste. Et qui vient d’accorder son édition 2022 au Qatar…
Par Pablo Garcia-Fons, à Madrid