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Guillem Balague : « Footballistiquement, Mauricio Pochettino est un gros cerveau »
Le PSG a décidé de miser sur Mauricio Pochettino pour succéder à Thomas Tuchel. Un entraîneur au palmarès encore vierge, mais qui a fait de Tottenham un club vice-champion d'Angleterre et finaliste de la Ligue des champions. Le profil idoine pour enfin mener Paris au sommet de l’Europe ? Éléments de réponse avec le journaliste Guillem Balague, qui a côtoyé le technicien argentin de près pour son livre Brave New World : Inside Pochettino's Spurs.
Quelle relation entretenez-vous avec Mauricio Pochettino ?Je suis un fan de l’Espanyol, j’étais abonné quand je vivais en Espagne. Il a d’abord été mon capitaine, il a remporté la Coupe (en 2000, N.D.L.R.), alors que le club n’avait rien gagné depuis une soixantaine d’années (à l’exception d’un titre de champion de D2 en 1994, N.D.L.R.). J’ai suivi son travail en tant que manager de l’Espanyol, je l’appréciais vraiment en tant que fan. L’Espanyol n’était pas au top, mais il nous a fait croire en quelque chose de différent, en une autre façon de jouer, avec un pressing haut, un effort d’équipe et beaucoup de jeunes joueurs. Ensuite, en tant qu’expert du football espagnol au Royaume-Uni, j’ai eu l’opportunité de faire des interviews, dont la première en anglais pour la télévision. Il était curieux par rapport à l’Angleterre, et quand il était à Southampton, je suis allé le voir plusieurs fois, on a passé du temps ensemble, partagé des repas. Idem quand il était à Tottenham. Après avoir fini mon livre sur Cristiano Ronaldo, j’en ai suggéré un autre sur la manière de travailler de Pochettino. Je les ai convaincus, lui et sa femme Karina, de faire ce livre ensemble. C’est une relation faite de respect, de professionnalisme et d’amitié.
Comment avez-vous travaillé pour ce livre sorti en 2017 ?Pour moi, si je faisais ce livre, c’était avec lui et les Spurs. Je lui ai dit que je voulais être là chaque semaine et parler à tout le monde, même aux joueurs et au président Daniel Levy. Il a tout accepté. Il y avait une part de naïveté que j’ai appréciée, il n’avait rien à cacher. J’étais au centre d’entraînement des Spurs chaque lundi, je lui parlais, et s’il était occupé, je pouvais discuter avec Harry Kane, Dele Alli ou l’un de ses adjoints. J’avais tellement de matière, y compris des photos exclusives de son histoire, que j’ai décidé de faire un carnet de bord en utilisant ses mots, ceux de ses assistants et de sa famille. Ça a permis d’expliquer qui il était à une époque où son anglais n’était pas top.
Vous le connaissez dans son intimité, alors qui est vraiment Mauricio Pochettino ?C’est quelqu’un qui a une idée claire de ce qu’il fait et une capacité fantastique de se connecter aux gens, de les emmener là où il veut. Il est passionné par ce qu’il fait et très bon en matière de communication, c’est un plaisir de l’écouter. Il est comme on le voit, ce qui n’est pas toujours le cas dans le football. Il a mis en place des choses relativement nouvelles à Southampton par exemple, des choses qu’on n’avait pas vues auparavant en Premier League : ce pressing haut, cette intensité, ce travail physique, ces transitions rapides où tout le monde est impliqué… Footballistiquement, c’est un gros cerveau. Mais pour moi, la première chose, c’est la manière dont il se connecte aux gens. Je vous donne un exemple du livre : j’étais là chaque semaine, mais je n’assistais pas à ses conversations personnelles avec les joueurs. J’essayais de découvrir comment il travaillait avec eux et j’ai eu les explications de tout le monde. Mais un lundi matin, il me demande ce qui ne va pas. « Rien, pourquoi ? » « Qu’est-ce qui ne va pas ? Quelque chose ne va pas, ton visage, etc. » On a parlé pendant une heure, et après, il est allé à l’entraînement. Je ne pensais rien tirer de cette conversation, puis j’ai réalisé : « Ah, c’est comme ça qu’il fait. » Il ouvre son esprit, il a cette forme de proximité. Il fait ça avec tout le monde. Cette manière de se connecter aux gens, c’est pour moi sa plus grande qualité.
Comment a-t-il géré ses treize mois sans club ?Il a passé beaucoup de temps à Londres. Au début, il était en contact avec Toni Jiménez et Miguel D’Agostino, deux de ses assistants, mais ensuite ils ont fait un break. Il y avait des discussions, évidemment, mais pas aussi constantes qu’avec Jesús Pérez, avec qui il échange presque quotidiennement. Avec son fils Sebastiano (préparateur physique dans le staff de son père à Tottenham, N.D.L.R.), c’est facile, évidemment, parce qu’ils sont toujours ensemble. Toute son équipe a travaillé sur le développement d’une application afin de rassembler toutes leurs méthodes de travail en une seule application. Je ne crois pas qu’ils l’ont encore présentée, mais ils devraient l’utiliser dans leur prochain club pour rendre leur travail plus efficace. Ils ont investi beaucoup de temps là-dedans. Pochettino a aussi beaucoup pensé aux rapports avec les jeunes aujourd’hui. Tous les quatre ou cinq ans, il y a une nouvelle génération avec ses propres inquiétudes, son propre rapport au monde, etc. Il est resté cinq ans aux Spurs, donc une nouvelle génération émerge, et certains joueurs qu’il dirigera en feront partie.
Quel regard portez-vous sur son arrivée à Paris ?Je trouve cela fascinant pour plusieurs raisons. J’entends beaucoup de gens dire qu’il n’a jamais eu à diriger de Mbappé ou de Neymar dans son équipe, mais il était capitaine d’équipes qui avaient des Mbappé ou des Neymar. Pas aussi bons qu’eux, mais des joueurs qui avaient besoin d’être traités différemment, qui aidaient à gagner des matchs. Toutes les équipes, même quand il était à Southampton, ont ce genre de joueurs. Et ça s’est bien passé. Il a joué avec Ronaldinho au PSG, avec Iván de la Peña à l’Espanyol… En tant que coach, il a dû gérer la plus grande légende de l’Espanyol, Raúl Tamudo, et même s’en séparer. C’est quelque chose de difficile pour un entraîneur, surtout face à un joueur qui a tant d’expérience. Donc je ne vois pas de problème. Il sait que chaque joueur a besoin d’un traitement différent. Beaucoup de gens résument le PSG à des individualités. Mais du match retour contre le Borussia Dortmund jusqu’à la finale de la Ligue des champions, on a vu une équipe. S’ils l’ont fait une fois, ils peuvent le refaire. Ils ont juste besoin que soit créée une culture où le collectif aide les individualités. C’est sa tâche principale. Il a la passion et la mentalité pour convaincre ce groupe de travailler ensemble, d’être généreux. Et ainsi de retrouver cette atmosphère qui a permis au PSG de réussir la saison dernière.
À quoi doit-on s’attendre avec ce PSG version Pochettino ?Pochettino propose un football offensif, mais pas seulement. On a appelé le livre Brave New World parce qu’il propose quelque chose de nouveau, mais aussi de courageux. Pendant très longtemps, il a été le manager qui amenait le plus de nouveaux joueurs en équipe d’Angleterre. De nombreux jeunes passés entre ses mains sont devenus internationaux. Si un jeune de 17 ans est assez bon, il jouera. Il ne regarde pas l’âge. Si vous donnez assez à l’entraînement, il vous fera jouer. Et les fans peuvent s’identifier à ce genre de choix. Qu’importe ce qu’il a, il va façonner ses joueurs pour proposer quelque chose d’attrayant, puisque le football qu’il aime est attrayant. Offensif, oui, mais collectif. Tout le monde travaille pour les autres. Bien sûr, tu ne peux pas demander la même chose à Bernat et à Mbappé. Des individualités brilleront, mais le plus grand défi sera de trouver cette harmonie qui rendra cette équipe attrayante, parce que ce sera un collectif.
Après Unai Emery et Thomas Tuchel, on aurait pu imaginer que le PSG choisirait un coach qui a déjà gagné des trophées majeurs, par exemple Massimiliano Allegri.C’est vrai, mais les trophées sont une conséquence. Si vous croyez que Pochettino a quelque chose, que sa philosophie et sa méthodologie peuvent vous faire réussir, c’est le bon moment pour le faire venir puisqu’il n’a pas d’équipe. Il a été approché par Barcelone, le Real Madrid, le Bayern, Manchester United… Tous ces clubs ont estimé, à un moment ou un autre, qu’il pouvait leur permettre d’aller de l’avant. Il veut une équipe qui peut lui permettre de gagner, il a faim, et le groupe du PSG a tellement de qualités ! Le principal n’est pas de regarder ce qu’un manager a gagné, mais comment, et de savoir s’il peut rendre cette équipe meilleure.
En 2017, vous disiez que Mauricio Pochettino parlait beaucoup de l’opportunité de se tromper, de l’importance d’apprendre de ses erreurs. Mais est-ce compatible avec les attentes de résultats immédiats du PSG ?Il faudra voir. Clairement, il a appris de ses erreurs, comme n’importe qui. C’est ce qui permet de grandir plus vite. Je pense qu’il aura de la marge compte tenu de la qualité de l’effectif. S’il commet des erreurs dans les premières semaines, il pourra se rattraper. Mais il n’y aura pas autant d’occasions en Ligue des champions. Il faudra attendre quelques semaines pour commencer à vraiment voir l’équipe de Pochettino. L’équipe qui affrontera Barcelone aura des principes amenés par Pochettino, mais aussi beaucoup de choses déjà présentes avant. C’est sans aucun doute un club qui a besoin de gagner, mais je pense qu’il a une marge de manœuvre. Si son contrat dure deux ans et demi, c’est que le club ne pense pas seulement à battre Barcelone et à gagner la Ligue des champions, mais à créer et développer quelque chose, et cela nécessite évidemment du temps.
Aura-t-il assez de pouvoir et de liberté pour mettre en place ce qu’il souhaite ?Pochettino est le choix de Leonardo, donc ils devraient aller dans la même direction. Sous Tuchel, on a vu un manque de clarté en matière d’autorité et beaucoup de gens qui semblaient penser différemment concernant le chemin à suivre. Pochettino devra s’assurer que tout le monde adhère à la même vision. Il a appris pas mal de choses en matière de gestion aux Spurs, mais aussi à l’Espanyol, comme joueur et comme entraîneur. Tuchel a parlé de « politique » , appelez ça comme vous le voulez : relations avec le propriétaire, le président, le directeur sportif… Tout ce que Pochettino veut, c’est comprendre quel est le rôle de chacun, savoir ce que l’on fait, ce que l’on a, et de la loyauté par rapport à ce qu’on dit. Le PSG a de la qualité, ils ont montré qu’ils pouvaient être généreux dans l’effort, tous travailler dans le même sens, etc. Mais c’est comme si tout avait disparu cette saison. Le défi est de faire en sorte que cela dure. Il aurait pu attendre un peu plus pour voir l’évolution de certains grands clubs, mais il a choisi d’y aller maintenant. C’est qu’il sent que cette harmonie peut se créer.
Pochettino débarque en cours de saison, ce qui n’est pas évident. Pensez-vous qu’il a demandé des conditions, par exemple des renforts cet hiver ? Le nom de Christian Eriksen a notamment circulé dans la presse britannique.Non, surtout pour Eriksen. Ils le connaissent très bien, mais selon moi, Eriksen est peut-être le genre de joueurs qui ne passent pas le cap mentalement à un moment où on s’attend à ce qu’ils atteignent le niveau supérieur. Donc pourquoi le PSG le recruterait ? Je doute qu’il ait imposé des conditions, il doit savoir ce qu’il a. Son effectif est riche, et beaucoup de joueurs peuvent jouer mieux, ou être plus réguliers. Il va peut-être suggérer un type de joueurs dont il aurait besoin, mais je ne suis pas sûr que ce soit dès cet hiver.
On peut conclure en disant qu’un grand nombre d’ingrédients semblent réunis pour voir Mauricio Pochettino réussir à Paris ?Il a assez d’énergie, de connaissances, de charisme, de passion, pour faire face à ce qu’il rencontrera. Je suis très heureux qu’on lui donne l’opportunité d’entraîner un tel club. J’ai toujours cru en lui… sauf au moment où il y avait des discussions pour venir en Angleterre. Je lui ai dit : « Tu ne réussiras pas là-bas, ils ont besoin de gens qu’ils connaissent, avec de l’expérience en Premier League, etc. ». Il me rappelle très souvent qu’il m’a donné tort. (Rires.) C’est un mec spécial, un professionnel spécial, une personne à laquelle beaucoup de gens pourront s’identifier. Et quand vous suivez un club, même dans les médias, vous appréciez d’avoir quelqu’un comme ça.
Propos recueillis par Quentin Ballue