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Guillaume Warmuz : « Je pensais que je n’allais jamais quitter Lens »
Il a écrit certaines des plus belles pages du RC Lens, s'est aperçu outre-Manche qu'on pouvait ne pas jouer mais nager en plein bonheur, puis les mines lui manquaient, alors il est allé leur dire bonjour à Dortmund. Flashback avec Guillaume Warmuz - « Gus » pour les intimes - sur ses années en sang et or, en jaune et noir, mais jamais en Bleu.
Vous avez joué à Lens et à Dortmund, et vous avez déclaré avoir trouvé une ferveur semblable dans les deux stades. En quoi ces deux publics se ressemblent-ils ?C’est l’identité. La Ruhr est principalement un monde ouvrier. Lens, c’est un monde de mineurs. C’est le public populaire, des gens qui sont de classe ouvrière, humbles.
Quelques décennies après la fermeture des mines, vous ressentiez encore cela chez les gens ?Ha oui, carrément ! Il y a un style, un mode de vie. Quand on arrive à Lens, on voit que c’est les corons. On voit qu’il y a une tradition de mineurs. À Dortmund, pareil. Ce n’est pas tout a fait comme Lens, mais on sent que c’est une ville ouvrière.
À votre époque, l’âme lensoise était incarnée par des joueurs historiques. Vous, Jean-Guy Wallemme, Frédéric Déhu, Éric Sikora… Ce n’est plus le cas aujourd’hui, ça manque à ce club, une figure de proue ?Oui, c’est ça. Il y a eu pas mal d’évolutions suite à l’époque qu’on a connue avec nos générations. Derrière, il y a eu pas mal de changements d’idées. Des choses ont été très bien faites, d’autres ont été moins bien faites, mais force est de constater qu’aujourd’hui, le club est en difficulté. C’est dommage. Garder quelques identitaires, quelques locaux, des personnes qui restent longtemps, quelques années, c’est toujours intéressant dans un club comme Lens où il y a une tradition de supporters qui ne bougent pas, qui sont immuables.
Vous avez encore des contacts avec ces gars ? Par exemple, quand Jean-Guy Wallemme est devenu entraîneur d’Auxerre en 2012, il vous avait demandé de le rejoindre pour entraîner les gardiens et vous aviez répondu oui. Les liens restent forts ?Oui, c’est ça. J’étais à Canal, et Jean-Guy m’avait demandé d’aller avec lui. Quand c’est comme ça, j’y suis allé parce que c’était Jean-Guy. Je n’ai pas réfléchi 30 secondes, j’y suis allé parce que ça m’intéressait. Il y a des gens avec qui on s’entend mieux, mais il reste malgré tout des liens indéfectibles quand on fait des choses pendant dix ans ensemble et qu’on gagne des trophées. On passe le cap du joueur, on est dans le cadre des hommes. Du coup, j’ai fait mon année avec lui. Bon, c’était une année chaotique, mais ce n’est pas grave, on l’a fait. Il est allé au bout de ses idées et moi aussi, puis après on est rentrés chacun chez nous.
Surtout qu’il est resté peu de temps à Auxerre, il a juste eu le temps de vous appeler en fait !Oui, il y avait un coup à jouer, il m’a dit : « J’aimerais bien que ce soit toi. » C’était après la fin de saison (en 2012, ndlr), il était descendu à la dernière journée, du coup je lui ai dit oui. Le club était descendu, on savait que ça allait être compliqué, on a essayé de faire du mieux qu’on a pu. Ça ne s’est pas aussi bien passé qu’on l’avait espéré, mais on a essayé de faire des choses. Ça ne marche pas toujours.
Vous avez même été élu, dans la région de Lens, conseiller municipal à Wanquetin en 2001. C’était naturel de vous faire élire sur ces terres que vous connaissez bien ?Je venais d’acheter une maison là-bas, je comptais y rester. Ceux qui étaient en place à la mairie sont venus me voir et je suis entré dans la liste. Mais je suis aussi dans la liste municipale dans mon village, là. Mais ça s’est fait comme ça, c’était surtout pour que les gens qui étaient en place restent en place. L’idée, c’est qu’une usine allait être construite, un truc qui allait faire de la pollution, et les maisons allaient perdre de la valeur.
Et aujourd’hui, quelles sont les activités de Guillaume Warmuz ?Guillaume Warmuz aujourd’hui, il fait toujours un petit peu de consulting au niveau de la télé, et je fais pas mal de choses locales dans ma région, la Bourgogne, sur Chalon-sur-Saône, Beaune. J’ai un fils qui joue dans l’équipe de Chalon, l’autre à Gueugnon, donc je navigue un peu dans cette région bourguignonne du Sud. J’ai eu quelques propositions qui n’étaient pas assez intéressantes pour pouvoir me lancer, ce n’était pas ce que j’espérais. Du coup, je suis comme ça, et je reste disponible !
Vous êtes également actif dans les aumôneries de la région.Oui, on m’a demandé de prendre certaines responsabilités à ce niveau-là. Je donne un coup de main quand j’ai des après-midis de disponible, mais ça reste intime, personnel. C’est quelque chose de bénévole.
La foi était importante pour vous quand vous étiez joueur ? À quel moment ça vous a le plus aidé ?Oui, oui. C’est dû à mon éducation, à mes origines. Après mes graves blessures, c’est quelque chose où j’ai puisé profondément cette ressource nécessaire, pour essayer de comprendre quel est le sens, quel est le but de notre vie, et aussi quel est le but, s’il y en a un, de ces blessures. De ces choses graves, où on est sur un lit d’hôpital et on ne pourra peut-être plus jamais jouer. Là, oui, ça a été déterminant pour moi.
Au-delà des blessures, la fin de votre histoire avec Lens a été très difficile pour vous. La foi a aussi été un refuge à ce moment-là ? Il paraît que vous avez presque pensé à arrêter le football.Arrêter le football définitivement, non. Je savais qu’il fallait que je quitte Lens, mais je ne pensais pas à arrêter le foot. À la suite de Lens, je pensais retrouver un club modeste, j’étais plus parti pour retrouver un club qui montait de Ligue 2 en Ligue 1, quoi ! Je me suis dit : « Pourquoi ne pas laisser passer la fin de saison, puis rebondir dans un club qui remonte ? » Et c’est Arsenal qui est venu, donc pour un club qui remonte, c’est pas mal ! (Rires)
On a l’impression qu’à Arsenal, vous étiez plus là pour vous vider l’esprit que pour vous imposer sur le terrain.C’est très bien vu, vous connaissez bien votre sujet. Carrément, j’étais très touché, très atteint, c’était une période très très dure dans ma vie d’homme et dans ma vie de sportif. J’ai eu des moments plus durs dans ma vie d’homme, mais dans ma vie de sportif, c’était la pire époque. Le fait de quitter Lens… Déjà, je pensais que je n’allais jamais quitter Lens. Le fait de partir de cette manière, ça m’a foudroyé. C’était bien de signer à Arsenal, même si à l’intérieur, j’étais dévasté. J’ai dû jouer un match ou deux, avec la réserve. Je n’arrivais plus à jouer gardien.
Cette peine était-elle aussi liée au fait de jouer gardien, poste qui implique une certaine solitude et où la confiance est encore plus importante ?Je pense qu’il y a eu deux choses. J’étais capitaine, et le capitanat a été difficile et délicat cette saison-là. Notamment dans la relation avec les entraîneurs et les dirigeants. J’étais toujours passé par-dessus toutes les difficultés jusqu’à présent, mais là, j’ai dû constater que c’était trop lourd et trop dur pour moi et ça s’est payé cash sur le terrain. Donc c’était à moi de m’en aller.
À Arsenal, vous jouez avec le légendaire David Seaman. Il ne vous a pas donné envie de changer de look ? De laisser pousser moustache et queue de cheval ?(Rires) Je le dis franchement, c’était un gentleman. Le mec parfait. Je regrette très sincèrement de ne pas être arrivé en pleine possession de mes moyens, quelques mois avant, quand je n’avais pas eu ce gros couac, cet énorme doute. Je n’étais pas du tout apte, mais d’aller là-bas m’a fait le plus grand bien. C’était un baume, un baume de bien-être. À la suite des événements de Porto, au niveau des performances j’étais incapable de relever le défi. Et un mec comme Seaman, c’était excellent. Avec lui et l’autre gardien Stuart Taylor, on s’est éclatés. Seaman aussi était en fin de carrière, donc c’était plutôt cool. J’ai passé 6 mois qui m’ont retapé.
À cette époque, Arsenal cherchait à préparer la succession de Seaman. Vous pensiez que vous auriez eu votre chance si vous aviez été en meilleure forme ?Oui. En fait, les choses s’emboîtent. Je suis allé à Arsenal parce que j’ai quitté Lens de cette façon-là, en ayant fait ce que j’ai fait et supporté ce que j’ai supporté. Si j’avais fait une super saison à Lens, si ça se trouve je ne serais pas parti. J’aurais fait encore une année, peut-être qu’Arsène m’aurait appelé, peut-être pas. Arsène a eu l’opportunité de me prendre. Il me connaissait bien, et ne pensait pas que j’allais être dans cet état de faiblesse, on va dire. Et je pense que lui, il pensait sincèrement qu’il allait retrouver celui qui l’avait battu quelques années plus tôt à Wembley. Il l’espérait, il m’a dit : « Je te prends, on fait 6 mois, et si ça fonctionne tu auras ta chance. » Moi, mon regret c’est qu’à ce moment-là j’étais trop faible, je n’ai pas pu relever le défi. Après, je m’en suis remis, puisqu’à Dortmund j’ai piqué la place de Weidenfeller pratiquement un an après, à la régulière. Mais il m’a fallu du temps.
Arsenal reste lié à vos plus belles heures en Coupe d’Europe avec Lens. Vous avez gagné à Wembley lors d’un match mythique en phase de poules de Ligue des champions en 1998, mais sans vous qualifier derrière, puis perdu là-bas en 2000, mais en demi-finales de Coupe de l’UEFA. C’est quoi le plus beau souvenir ?Le plus beau, c’est Wembley, indéniablement. On est la première équipe française qui gagne là-bas. Personne ne l’a fait avant nous, et l’équipe de France le fait peu de temps après. Mais aucun Français n’avait gagné à Wembley. Et moi, en tant que gardien, c’était un de mes matchs les plus accomplis. J’ai fait, peut-être pas le plus beau match, mais je sors deux ou trois balles, je sors devant Anelka à 30 mètres, on gagne 1-0… Voilà, c’est un de mes plus beaux souvenirs.
Vous avez vécu plusieurs campagnes européennes, si vous deviez n’en retenir qu’une ?La Coupe de l’UEFA (celle de 2000 où Lens atteint les demi-finales et perd contre Arsenal, ndlr). Le match à Wembley c’est bien, ça reste gravé. Mais la Coupe de l’UEFA, c’était énorme. On est tout prêt, au match retour Pascal Nouma a une occase aux 5 mètres, on est à 1 partout, et il tire juste à côté. S’il la met, il reste 10 ou 15 minutes… Je reste persuadé que s’il la met – à cette époque-là, Lens c’était le feu -, je suis presque sûr qu’on met le troisième et qu’on se qualifie pour la finale. Après, c’est écrit comme ça, on prend deux buts, voilà. Mais cette campagne… On élimine le Celta Vigo, l’Atlético de Madrid, on était à deux matchs de la soulever !
L’autre instant incroyable de votre carrière, c’est ce but contre-son-camp de Franck Queudrue, qui est complètement fou. Qu’est-ce qui lui a pris ?(Il explose de rire) C’est invraisemblable ce qu’il fait, je ne sais pas quoi dire en fait. J’étais tellement surpris. Je sais pas, si je la joue à fond, peut-être que je peux la sortir, mais elle est vraiment parfaite. Sur le coup, c’était pas marrant. Il était jeune à l’époque, il faisait partie des jeunes, nous on était quelques anciens, je peux vous dire qu’il s’en rappelle. Vous imaginez bien que sur le coup, je lui ai dit ce que je pensais ! À la mi-temps, puis à la fin du match aussi. Après, ça fait des bons souvenirs !
À Dortmund, après avoir gagné votre place de titulaire, vous repassez sur le banc la saison suivante. Un choix plus politique que sportif, le Borussia voulait un gardien allemand et jeune. Ça vous a déçu ?J’avais quoi, 33, 34 ans. Je n’étais quand même pas très content, je l’ai fait savoir. Mais bon, avec Roman Weidenfeller, on s’est mis dans les meilleures conditions après. Ce qui comptait, c’était lui. Il avait sa carrière, il était jeune, il avait 25 ans, et les dents longues. Moi, j’ai fait tout ce que je pouvais. Avec Van Marwijk, le coach, il y a eu pas mal de petits soucis. Il voulait lancer les joueurs locaux, donc j’ai bien compris que ça ne mènerait à rien d’entrer en guerre. J’ai dit ce que je pensais à l’entraîneur, puis avec Roman, on s’est très bien entendus. Et je suis content de voir toute la carrière qu’il a faite à Dortmund.
Les soucis de hiérarchie des gardiens, vous les avez aussi connus avec l’équipe de France. Vous avez souvent été pressenti pour être numéro 3, y compris pour 1998, sans jamais être appelé.J’avais été blessé en 1997, mais je faisais un peu partie de la liste d’Aimé Jacquet. Lionel Charbonnier était dans le bon wagon, il a toujours été présent, donc Aimé Jacquet est resté fidèle. Je n’ai pas de regrets, cette saison je reviens de blessure et on est champions de France, et Aimé Jacquet a fait son choix.
Au niveau du timing, vos blessures sont quand même souvent arrivées à des mauvais moments…Oui, mais ce que j’ai perdu d’un côté, je l’ai gagné de l’autre. Je n’ai pas été sélectionné et je ne le serai jamais, mais j’ai gagné d’autres choses. On ne peut pas tout gagner, et être gagnant partout et tout le temps.
On parle souvent d’à quel point le poste de gardien a évolué ces dernières années. Quelles sont les principaux changements selon vous ?Le principal, c’est que le gardien est vraiment un joueur à part entière maintenant, au niveau de son jeu au pied. À l’époque, nous, on a connu la transition, on s’adaptait. Maintenant, le gardien ne s’adapte plus. Il faut qu’il soit un bon joueur de football. Mais cette évolution est au détriment d’autres choses. Je trouve que les gardiens sont moins bien formés dans le poste de gardien de but. Sur les placements, il y a des erreurs. Comme ils sont joueurs de champ, il y a des moments où ils ne sont pas à leur place de gardien. Moi, j’ai connu la formation de gardien de but, pas de joueur de champ. Maintenant, ils sont formés aux deux, et parfois le joueur de champ oublie le gardien de but.
Vous avez été un des premiers footballeurs à ouvrir son site internet. Aujourd’hui, l’homme qui est à la pointe de la communication en ligne et qui révolutionne le web, c’est Marcel Desailly et son compte Twitter hallucinant. On peut s’attendre à quelque chose de similaire de votre part pour revenir dans le coup ?(Rires) C’est pas le style, non ! Je suis plutôt classique, moi ! Je ne vais rien lancer d’innovant. Je m’étais même posé la question de garder ou non mon site internet, mais on a pas mal de gens du Nord qui regardent les pages régulièrement. Il y a quand même pas mal de monde, du coup je le garde. Mais je n’ai pas de compte Twitter perso, c’est via mon site internet qu’on communique gentiment au jour le jour les infos qui sont les nôtres. Quand je l’ai ouvert, le fils de la personne qui s’en occupe avec moi travaillait à l’EDHEC à Lille, c’était innovant. On s’était branché, c’était le début d’internet quoi. Il avait créé le site, et depuis il évolue. J’ai une amie, du Nord aussi, qui s’y connaît en informatique et qui a toujours pris les rênes de tout ça et on travaille en étroite collaboration.
Propos recueillis par Alexandre Doskov