Pourquoi partir à plus de 9000 kilomètres de l’Hexagone ?
Après pas mal de temps en National et L2, notamment avec Romorantin, je suis parti en CFA 2 pour un projet sérieux à la DDJS (Direction départementale de la jeunesse des sports, ndlr). Mais ça ne s’est pas du tout goupillé comme je le voulais. Après, j’ai reçu un coup de fil de Jean-Marc Guillou qui dirige une académie et travaillait avec l’un de mes anciens coachs. Il m’a proposé de partir en Thaïlande pour voir si ça me plaisait et s’il pouvait m’engager. J’ai passé deux mois là-bas, j’ai adoré et on m’a engagé à l’académie. Celle du Vietnam s’est ouverte en juin 2007. Alors que je n’avais plus trop d’issue en France, je suis là-bas à la base d’un projet et avec un CDI. Le financier qui a investi ici est assez riche, la tête sur les épaules, a déjà un club et possède une société de plus de 20 000 employés. Je ne suis pas parti à l’aventure.
Comment s’est déroulée votre intégration à votre arrivée en 2007 ?
J’ai eu la chance d’avoir un traducteur, de 50 ans environ, un ancien guide touristique. Je l’ai placé comme intendant et il traduit sur le terrain. Ça m’a énormément aidé, notamment pour apprendre et passer des messages aux enfants. Au début, ce n’était pas évident, surtout quand il ne pouvait pas être là… Je ne vis pas à Hanoi ou Hô Chi Minh, mais en plein cœur des montagnes du Vietnam, sans école anglaise ou française, ni même d’étrangers dans la ville. Les seuls étrangers sont des joueurs de foot ou des entraîneurs comme moi. Mais, aujourd’hui, parler est moins compliqué. Je me suis marié avec une Vietnamienne qui m’a permis d’apprendre plus facilement et plus rapidement. Je comprends mieux que je ne parle. La prononciation est extrêmement difficile, avec des accents partout… L’avantage, c’est d’avoir le même alphabet que chez nous. Ce n’est pas comme en Thaïlande, Corée ou Japon. Disons que je me débrouille maintenant ! Puis le mode de vie est complètement différent ici. Depuis mon arrivée, en sept ans, la ville où je vis s’est énormément développée. Il y a un supermarché, des cinémas, etc. Le climat est tropical, donc les gens vivent au rythme du soleil et ne se prennent pas la tête, ont toujours le sourire, sont assez chaleureux dans l’ensemble. Et quand vous faites l’effort d’apprendre la langue, l’intégration se fait beaucoup plus vite. En revanche, quand vous arrivez avec une rigueur de travail extérieure et étrangère, c’est difficile pour les personnes vivant ici de se mettre au niveau.
Vous êtes depuis novembre 2014 à la tête de l’équipe de Hoang Anh Gia Lai, actuellement 10e de V-League (championnat vietnamien) après huit journées. Quel regard portez-vous sur le niveau du championnat ?
C’est beaucoup moins technique qu’avant et c’est plus porté sur les duels, les contacts. Nous ne sommes pas encore assez efficaces. Mon équipe doit avoir 20 ans de moyenne d’âge. Notre style de jeu est très axé sur la possession, 70% la plupart du temps. Je connais ces gamins depuis qu’ils ont 12 ans. Ici, même si les clubs ont le droit à deux étrangers et un naturalisé, on joue parfois sans. On a recruté deux étrangers, que je n’ai pas choisis, mais ils sont moins bons que mes joueurs, donc remplaçants. Je joue essentiellement avec onze Vietnamiens. Mon gardien a 28 ans et mon plus vieux joueur de champ doit être, quand il joue, mon défenseur central de 27 ans. Le reste a entre 17 et 20 ans. Quant au niveau du championnat, c’est assez hétérogène : un bon CFA pour les petites équipes, proche du National pour d’autres et une seule équipe pourrait avoir le niveau Ligue 2. Elle a gagné le championnat l’année dernière (Becamex Bình Dương Football Club, ndlr) et la Champions League asiatique cette année. Ils n’atteignent le niveau L2 que lorsqu’ils jouent avec leurs quatre étrangers. À mon sens, le niveau n’est pas très bon.
À quoi se résume votre quotidien aujourd’hui ?
Je pars à 7h30 du matin de chez moi et je rentre vers 18h30. L’académie est à 15 kilomètres de chez moi, à l’extérieur de la ville, dans un super cadre : au calme, retiré de tout. Je mange là-bas et je rentre ensuite à la fin de la journée. Ce sont des bonnes journées. Je suis sur le terrain avec les pros du club, mais quand ils n’ont pas entraînement, je m’occupe de la promo 3 et 4 à l’académie. Je passe minimum 4 à 5 heures sur le terrain, le matin et l’après-midi. Le reste du temps, je fais le suivi de la comptabilité, tout le boulot administratif pour l’académie. Idem pour l’équipe professionnelle, même si je ne voulais pas trop au début. Mais comme ça n’avance pas trop… Récemment, j’ai relancé pour avoir survêtements et équipements. J’ai par exemple fait les tableaux pour commander les chaussures en fonction des pointures des joueurs. Le vrai travail administratif bien casse-couilles (rires). Normalement, ce n’est pas à moi de faire tout ça, puisque le manager général du club a quand même 4 secrétaires pour lui. Je suis obligé d’envoyer des mails à mon traducteur et directeur sportif, qui parle anglais, pour que les choses avancent. C’est assez usant… Dernièrement, j’ai fait une réunion pour relancer le docteur à propos du suivi médical. Deux joueurs ont une hépatite B et des prises de sang à refaire, d’autres joueurs doivent consulter pour leurs yeux, mais rien n’a été fait. J’ai exactement la même base de travail et de suivi pour l’académie et le club. En France ou en Europe, j’aurais juste à demander où cela en est. Ici, ce n’est pas bien structuré. Le problème, c’est que le président est entouré de gens qui n’ont jamais joué au foot, aucun diplôme de management d’entreprise. Le manager, ici, à part signer des papiers, je ne sais pas trop ce qu’il fait à côté. Ils ont quand même la belle vie ici… (rires)
Le président m’a refusé un gardien de 32 ans par crainte qu’il puisse être corrompu et qu’il fasse un dernier coup avant d’arrêter sa carrière.
Avant de prendre la tête de Hoang Anh Gia Lai, vous avez donc entraîné les U19 de l’équipe nationale du Vietnam…
C’était génial. En 2013, il y avait environ 80% de joueurs issus de l’académie. J’ai gardé l’ossature des enfants que j’avais formés durant sept années. En toute modestie, on a rencontré un grand succès, notamment sur le style de jeu, l’attitude des enfants. On s’est qualifié pour la Coupe d’Asie, chose ici qui n’était pas arrivée depuis longtemps. Après, on a raté la qualif’ pour le Mondial, car on était dans un groupe de la mort avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud. À côté de mes académiciens, les joueurs des clubs extérieurs ont apporté des profils différents. Ce qui était jouissif, c’est dès qu’il y avait moins d’académiciens sur le terrain, le style de jeu n’en pâtissait pas. J’ai gardé un super contact avec les joueurs qui m’envoient des messages de temps en temps, surtout qu’ils ont appris l’anglais pendant une année. En fait, en club, les jeunes font beaucoup de physique. Pour moi, le physique se travaille à partir d’un certain âge. Il y a un critère technique à acquérir d’abord et beaucoup de plaisir. Les joueurs ont eu complètement autre chose et ils le rendaient vachement dans la vie de tous les jours ainsi que sur le terrain. J’ai pris l’équipe en août 2013 et on a fini en octobre 2014, nous sommes partis en Europe pendant deux mois, au Japon un autre mois. Le président du club nous a payé beaucoup de stages à l’étranger, de tournées. Il y avait pas mal de boulot, notamment dans l’organisation avec l’obtention des visas. Mais, sinon, c’était sympa de partir avec un groupe qui n’avait jamais voyagé. On a fait la France, l’Angleterre, la Belgique, la Malaisie, l’Indonésie… Les joueurs ont aussi énormément gagné en expérience. Ça reste une aventure vraiment marquante. Depuis mon passage, des joueurs non issus de l’académie arrivent à jouer plus souvent dans leur club respectif. Je suis fier d’avoir réussi à montrer des joueurs parce qu’avant, il était rare de voir des jeunes jouer. Il fallait attendre leurs vingt-trois ans. Maintenant, c’est différent.
Vous êtes également manager de projet à l’académie de football JMG (créée par l’ancien international français Jean-Marc Guillou, ndlr), laquelle est en partenariat avec le club anglais d’Arsenal. En quoi consiste concrètement cette académie ?
L’objectif de base, c’est de former des joueurs et des hommes. L’éducation prend une part prépondérante. Après, tu dois faire un bon recrutement pour réussir. On a fait tout le pays, vu 40 000 gamins pour n’en garder qu’une vingtaine, sur deux promotions. Quand un club est partenaire de l’académie, le but est de composer en majorité le futur de l’équipe du club. Au-delà de ça, fournir l’équipe nationale est aussi un objectif. En ce qui concerne le club, on commence à atteindre ce que l’on souhaitait. Tout comme chez les U19. Parmi l’équipe olympique des U23, j’ai dix joueurs sélectionnés, soit la moitié de mon équipe. C’est pas mal. Sauf que l’entraîneur ne les fait pas jouer ensemble… Ça sert à rien de prendre une génération si tu fais jouer seulement que deux ou trois joueurs par à-coups. Comme me disait mon capitaine : « Coach, on est beaucoup plus forts quand on est tous ensemble » . Ils se connaissent depuis 7-8 ans et se trouvent sur le terrain les yeux fermés désormais. Mais c’est également une bonne expérience pour eux. Dans le futur, si les meilleurs doivent trouver un club en Chine, au Japon ou en Europe, ils vont bien être obligés de s’adapter. Toute proportion et modestie gardée, on procède un peu de la même façon que Barcelone avec la Masia. Les joueurs arrivent en équipe première, jouent sans difficulté, car ils connaissent exactement la philosophie du club. La transition est beaucoup plus facile quand vous connaissez l’équipe ainsi que tous les rouages tactiques et techniques. Les styles de jeu sont similaires chez les jeunes et chez les adultes. Notre challenge, à moi et au staff, est qu’aussi bien la promotion 3 que 4 aient le même succès que les 1 et 2. On voudrait au moins faire aussi bien.
En juillet 2013, vous disiez que les milliers de jeunes candidats testés commençaient par jouer pieds nus et ne chaussaient les crampons qu’après avoir atteint un certain niveau technique…
C’est exactement ça. C’était pareil dans certaines académies en Côte d’Ivoire d’où sont issues les grandes stars comme Yaya Touré. Un système de jonglerie est mis en place, neuf exercices tactiques et après il y a trois degrés, des exercices en mouvement à valider avant de mettre les chaussures. Pour les meilleurs, ça prend 3-4 ans, 5 pour les moins bons. D’autres n’ont jamais validé, mais ont bien été obligés de se chausser un jour… On a fait évoluer ce système-là, car les exercices de jonglerie se sont énormément durcis. On a intégré un certain quota de joueurs. Quand il y avait 7-8 joueurs avec les chaussures, on commençait à faire des oppositions. Ça oblige les autres à stimuler l’esprit de compétition. Pour nous, commencer par jouer pieds nus est bénéfique, mais si oui, il y a parfois quelques orteils retournés (rires). Sur le toucher de la balle, l’agilité, la vivacité, tout est fait plus vite qu’avec des chaussures. Que ce soit techniquement, les déplacements ou les changements de direction. Puis, sans les crampons, il y a aussi moins de coups reçus. J’ai pu essayer une semaine et je m’en suis très vite rendu compte.
Ce projet mis en place détonne avec l’état tant décrié du football vietnamien. Dès la création de la V-League en 2000, des dizaines de joueurs, arbitres et responsables ont été emprisonnés ou sanctionnés pour leur implication dans divers scandales de corruption et achat de matchs. Depuis, la situation a-t-elle sensiblement évolué ?
Ça a évolué. Le président de la fédé n’est plus le même. Ils ont aussi créé une ligue professionnelle indépendante de la Fédération. Certains clubs et présidents se sont soulevés pour remettre un peu d’ordre. Ça n’a pas empêché un club de parier et de finir la saison à dix joueurs, il y a 2 ans. Ça concernait un match de la Ligue des champions asiatique. Ils étaient partis jouer à Hong-Kong et avaient tous parié sur une défaite. Tout ça pour gagner 2000 ou 3000 euros. Le retour financier n’était pas énorme. Alors que sur des gros paris, un ou deux joueurs peuvent lâcher le match et commettre des erreurs et prendre des billets jusqu’à 50 000 ou 80 000 dollars. Ça vient de Singapour, autour d’une mafia organisée. Mais cette année, on ne ressent pas de corruption. Les arbitres ont changé, beaucoup ont sauté car ils étaient corrompus. Personnellement, le président m’a refusé un gardien âge de 32 ans par crainte qu’il puisse être corrompu sur un ou deux matchs et qu’il fasse un dernier coup avant d’arrêter sa carrière. La crainte est encore présente, principalement chez les anciennes générations. Les gens préfèrent ainsi voir beaucoup plus de jeunes que de vieux.
Pour éviter de tomber dans la routine, j’ai emmené mes jeunes dans un hôpital à Hô Chi Minh voir des enfants atteints d’un cancer, en phase de chimio. Ça a mis des claques à certains.
Malgré les difficultés et le faible rayonnement du Vietnam à l’international (130e au dernier classement FIFA, ndlr), sentez-vous un réel engouement dans ce pays pour le ballon rond ?
Ce pays vit pour le football et ne connait pas trop les autres sports, hormis le volley. Les gens se lèvent pour regarder les matchs de Ligue des champions, de Coupe du monde. Les cinq championnats majeurs en Europe sont diffusés. Par exemple, lors du dernier Mondial, le championnat s’est arrêté pendant un mois. Quant à l’engouement, ce n’est pas rempli dans tous les stades. Mais dans certains de 20 000 places, ils sont tout de même 10 000, 15 000. Les jeunes jouent dans la rue, au milieu des routes. Là où je vis, il n’y a pas assez de terrains vagues ou abandonnés et de structures pour qu’ils soient libres de jouer. Mais depuis 3-4 ans, on commence à voir beaucoup de terrains synthétiques. Du mini-foot, comme le futsal. Ce sont des 4 contre 4 avec gardiens. Pas mal de jeunes s’y mettent et s’inscrivent. Ça doit coûter à peine 20 000 đồng, soit dix euros par mois. L’éducateur fait sa liste et réserve les terrains pendant deux heures le dimanche. Il achète les ballons, les chasubles et leur fait faire différents exercices.
Y a-t-il des jeunes que vous avez formés qui ont réussi à percer en Europe ?
Pour l’instant non, car ils sont encore trop jeunes. Mais 4 sont suivis par Arsenal. On a joué deux fois contre eux en U17 et on avait gagné un match 1-0 il y a quatre ans. Ils n’avaient pas trop vu le ballon et s’étaient posé des questions. Athlétiquement, ils étaient supérieurs et ont commencé à être plus rugueux en seconde période. Malgré cela, ils ne voyaient toujours pas le ballon (rires)… L’entraîneur d’Arsenal était agréablement surpris. L’année dernière, on a rejoué contre Arsenal, mais l’équipe bis des U19. On y trouvait quand même quelques joueurs de la Youth League et on a gagné 3-0. Ces quatre jeunes ont du potentiel et peuvent sans doute jouer en Europe. J’ai un défenseur central, un arrière gauche, un attaquant et un milieu de terrain.
Après votre carrière de joueur (313 matchs en Ligue 2, National et CFA), vous êtes directement devenu entraîneur. C’est une vocation pour vous ?
Lorsque j’avais vingt ans, je m’occupais des poussins et benjamins durant mon temps libre le mercredi et je jouais le reste du temps. Après, j’ai eu la section sportive d’un collège pendant 2-3 ans, les mardis et jeudis soir. Ensuite, j’ai pris les U18 d’une équipe de DH. Entraîner, ça s’est fait naturellement, donc je pense que c’est une vocation. Je ne me suis jamais posé de question quand j’allais donner des cours à des débutants ou des poussins à Romorantin. C’était un réel plaisir, quelque chose de naturel. Quand les gamins tombent dans une forme de routine, j’essaie de leur rappeler la chance qu’ils ont. Je les ai emmenés dans un hôpital à Hô Chi Minh où il y avait des enfants atteints d’un cancer, en phase de chimio. Ça a mis des claques à certains. Lorsqu’il y a un coup de moins bien et qu’ils sont un peu blasés, je leur rappelle qu’on est allés dans un hôpital, qu’ils sont en bonne santé, qu’ils profitent du soleil, qu’ils jouent avec un ballon tous les jours et qu’ils ont la chance de faire ce qu’ils aiment. La passion est mon moteur. Ici, j’ai connu quelques polémiques parce que je suis étranger et que j’ai eu pas mal de succès avec les U19. Ça a généré pas mal de jalousie au sein de la Fédération et autour. Des journalistes m’ont attaqué lors de défaites pour me dire que je n’étais qu’un éducateur et non un entraîneur. Ils ne me considéraient pas assez bon pour diriger une équipe professionnelle. Ça fait dix-sept ans que j’entraîne, je ne suis pas rentré dans ce jeu-là. Ceux qui ont salué mon travail ont suivi l’équipe nationale quand on partait disputer des tournois.
Vous êtes désormais au Vietnam depuis près depuis près de huit ans. Qu’est-ce que vous aimeriez accomplir ici ?
J’aimerais vraiment gagner un titre avec le club pour donner du bonheur au président qui a investi beaucoup, est passionné et suffisamment intelligent pour être patient. Ce qui n’est pas donné à tout le monde dans le football… Après, un bon coup en Ligue des champions asiatique si on arrive à se qualifier, je ne serais pas contre. Cela permettrait aux enfants de se mettre en valeur et d’avoir une opportunité de jouer à l’étranger. Sur les trois années à venir, ce sont vraiment les objectifs fixés. Après, sur du très long terme, pourquoi pas prendre l’équipe nationale et obtenir une qualification pour la Coupe du monde. On a le droit de rêver hein (rires)…
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