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Guillaume Gillet : « J’envoyais des messages à Leca et Squillaci pour essayer de revenir »
Lors de la saison 2014/2015, Guillaume Gillet a un coup de foudre. Prêté par Anderlecht, il tombe amoureux du Sporting Club de Bastia, avec lequel il s’éclate et joue une finale de Coupe de la Ligue. Les dirigeants corses ne lèvent cependant pas l’option d’achat et lui brisent le cœur. Alors qu’il retrouve Furiani ce soir avec Nantes, le roi des Belges évoque ce transfert avorté, ses relations avec Yannick Cahuzac et Sergio Conceição ainsi que sa carrière au plat pays.
Ça te fait quoi de retourner en Corse avec Nantes ? Ça fait un petit pincement au cœur. C’est un endroit où j’ai vraiment pris énormément de plaisir, que ce soit sur le terrain ou en dehors. Ça a été difficile de quitter Bastia. Ça a été un épisode assez compliqué pour moi. Il y avait une option d’achat de 500 000 euros. Bastia aurait pu la lever, même plus tôt dans la saison. Finalement, on a attendu la fin, et le dernier jour, on s’est dit au revoir. Comme si de rien n’était. C’était un peu bizarre. J’ai dû retourner à Anderlecht, et là-bas, j’ai continué à faire le maximum pour revenir, mais il n’y avait plus aucun signe de vie de l’autre côté. C’était difficile.
Pour toi, ça ne faisait aucun doute que tu allais rester ?Dans ma tête, c’était clair, oui. Je pense que j’avais prouvé que je pouvais être une bonne plus-value pour le groupe. Ça me paraissait logique que le club lève l’option. Ensuite, on connaît tous les problèmes… DNCG, le financier, on sait que c’est jamais évident. Est-ce qu’il y a vraiment eu un problème à ce niveau-là ? Est-ce que c’était vraiment impossible de lever l’option ? Je ne sais pas. Ensuite, il n’y avait pas franchement de communication. On s’entendait bien, mais on ne s’est jamais mis autour de la table pour discuter.
Après ça, tu refais une demi-saison à Anderlecht. Mais en décembre, on reparle de toi à Bastia. J’avais croisé François Modesto dans l’avion qui était furieux à l’annonce de ta signature à Nantes. Il s’est passé quoi ?Il n’y a rien eu ! C’était du jamais-vu. C’était moi qui devais envoyer des messages à Jean-Louis (Leca), à Toto (Squillaci) pour essayer de revenir. Ils me disaient de parler à la direction. C’était un peu le monde à l’envers. J’étais prêt, Anderlecht m’avait donné mon bon de sortie. À un moment donné, vu que les dirigeants ne donnaient pas signe de vie, j’ai dû prendre une décision… Si le club avait pu repartir avec l’équipe qu’on avait, je crois qu’on aurait pu passer un palier.
Tu as donné un prénom corse à ta fille, pourquoi ?Elle est née là-bas, le 16 octobre. C’était le début de notre aventure corse, mais on se sentait déjà bien. Sinon, on n’aurait pas eu cette idée-là. On aimait bien le prénom Victoria, alors on a cherché le mot « victoire » en Corse et c’est « Vittoria » . On lui expliquera plus tard pourquoi elle a ce prénom-là et je suis sûr qu’elle sera ravie de retourner sur sa terre natale. Ce sera une belle chose à lui raconter.
Comment tu expliques ton attachement à la Corse ?Bah ! (avec une intonation corse) J’avais toujours voulu y aller en vacances, mais ça ne s’était jamais fait. Quand on m’a proposé d’être prêté je me suis dit que c’était parfait : je vais aller jouer sur la plus belle des îles. Tout était réuni pour que je sois heureux et ça a été le cas immédiatement. Dès le début du championnat, on commençait contre Marseille. Un match de folie qui restera toujours dans ma mémoire. On finit à 3-3, le stade était rempli. On m’avait prévenu que, pour le public bastiais, c’était un des matchs les plus chauds de l’année. C’était vraiment incroyable. Je me suis régalé sur le terrain, donc j’ai senti tout de suite que le public allait m’adopter et me pousser à donner beaucoup. Ça m’a donné beaucoup de force pour la suite, directement. Et pour un Belge, vivre sous le soleil, c’est le top aussi. Notre souhait, à ma femme, aux enfants et moi, c’est d’acheter quelque chose à Bastia pour y vivre plus tard. Je pense que je vais passer les diplômes d’entraîneur. Donc pourquoi pas retravailler un jour à Bastia…
Sur le terrain, on aurait dit que Yannick Cahuzac et toi vous connaissiez depuis longtemps. Ça a de suite bien fonctionné ?Oui, super ! Cahu, c’est quelqu’un. Quand on voit les derniers matchs, ça fait beaucoup de mal de le voir comme ça. C’est quelqu’un de tellement gentil. De tellement calme. Très ouvert, très respectueux. C’est vraiment dommage. Quand on a collaboré tous les deux au milieu de terrain, c’était vraiment parfait. On était très complémentaires. Dès les matchs de préparation, on voyait qu’il ne lâchait rien, mais ce n’est pas seulement ça. Il a une bonne vision et une intelligence de jeu. Il ne court pas n’importe où. Ce qu’il fait, c’est avec une idée bien précise, il permet à l’équipe de récupérer la balle assez haut. S’il est bien mentalement, c’est une valeur sûre de Ligue 1. J’ai joué avec beaucoup de joueurs, c’est rare d’avoir quelqu’un avec une telle rage de vaincre. Ça fait du bien.
Comment expliques-tu qu’il soit néanmoins en tête du nombre de cartons rouges depuis 2013/2014 ?(Il rit brièvement, puis souffle.)Ça fait partie de son caractère. Il ne fait pas ça méchamment. J’ai essayé de parler avec lui. Mais quand il est sur le terrain, on dirait Hulk. Il est normal, puis se transforme au moindre problème. C’est quelque chose qui va l’empêcher de viser plus haut. Il est trop impulsif. Des clubs pourraient être intéressés, c’est un bon travailleur de l’entrejeu, mais ça peut les refroidir. C’est un point sur lequel il doit évoluer. Il en fait trop.
Tu aurais sûrement pu le faire progresser. Tu étais le leader technique, alors que depuis il n’a eu personne pour l’épauler. Oui, c’est pas facile. Si on commence à lui demander d’être à la récupération, à l’organisation, à la finition, il est débordé. Quand il prend son premier carton jaune, c’est aux coéquipiers d’aller le trouver. On doit le sentir, savoir que selon le déroulement du match, il peut y en avoir un deuxième. Il faut être vigilant et c’est là qu’il faut parler avec lui. Discuter après le rouge, ça sert à rien. C’est sur le moment même, quand le match s’envenime, quand le match devient un peu plus chaud, qu’il y a des duels plus durs. Il faut aller vers lui.
Quel souvenir gardes-tu de la finale de Coupe de la Ligue perdue face à Paris ?On va dire que ça reste un bon souvenir. Quand on entre sur le terrain, qu’on voit tout ce virage bleu qui commence à chanter, c’est des frissons. J’en aurai toujours en y pensant, pour le reste de ma vie. Mais pour moi, la finale s’arrête là. C’est comme si on n’avait pas commencé le match. Ce penalty, ce carton rouge (dès la 21e, Squillaci est expulsé, ndlr), ça laisse un goût très amer.
Sur le carton rouge, l’écran géant diffuse une image de Frédéric Thiriez en train de rire. Vous l’aviez vu ?Non. J’ai appris à connaître le problème qu’il y avait avec cette personne. Je ne le connais pas, lui. Mais ce penalty, déjà pas évident, doublé d’un carton rouge, c’était aberrent. Ça nous a fait mal.
Après ta saison à Bastia, tu claques trois buts en Ligue Europa avec Anderlecht. Ce n’était pas envisageable de rester ?Contre Tottenham et Monaco, oui ! Ça a été six de mes meilleurs mois. Mais j’avais déjà décidé de partir en janvier, c’était le moment. Pour terminer sur une bonne note. Avant d’être prêté à Bastia, j’étais sur le banc pour les play-offs. Chose qui ne m’était jamais arrivée. J’étais parti sur la pointe des pieds, sans hommage. En revenant ces six mois, j’ai pu avoir ça. Terminer en boulet de canon et recevoir une ovation pour mon dernier match. C’était fantastique, c’est ce que je voulais.
En signant à Nantes, l’idée c’était de retrouver la sélection ? Ouais et ça a fonctionné. Sur la lancée de ma première partie de saison avec Anderlecht, je suis élu joueur du mois de février en Ligue 1. Alors je suis repris en mars pour le dernier match amical avant la préparation pour l’Euro. Il venait d’y avoir les attentats de Bruxelles. On nous dit qu’on ne peut pas y jouer et qu’on devait aller au Portugal. Beaucoup de joueurs sont blessés, je suis titulaire au poste d’arrière droit. C’est une bonne nouvelle, mais ça fait quatre mois que je n’ai pas joué à ce poste et je me retrouve face à Cristiano Ronaldo… On perd 2-1, je ne fais pas un mauvais match. L’entraîneur m’avait laissé comprendre qu’il comptait sur moi. J’étais serein. Au moment où il dévoile la sélection, je vois que je suis encore réserviste. Comme pour la Coupe du monde. Grosse déception. Ça a été deux moments très difficiles.
Tu étais l’un des tauliers de l’équipe de Belgique, et d’un coup, ta génération s’est fait dépasser par une autre, pleine de jeunes talents. Comment tes coéquipiers habituels et toi avez-vous vécu ça ?On l’a bien pris parce qu’on galérait il y a une dizaine d’années. Le fait d’avoir du sang neuf, c’était la meilleure chose qui puisse arriver à la Belgique. On a tout de suite vu la différence, il y a eu une nouvelle dynamique avec les supporters. J’étais vieux, mais on s’entendait tous super bien avec eux. Wilmots a fait du bon travail sur ce point-là, il a réussi à former un groupe. Pas de clans wallons et flamands, jeunes et vieux. C’était une super ambiance.
André Breton disait que Nantes était la seule ville avec Paris où il se sentait vivant. Sergio Conceição, il te fait te sentir vivant ?Ouais ! C’est vraiment une résurrection pour toute l’équipe, et pour moi particulièrement. J’ai connu un début de saison assez difficile. Psychologiquement, c’était pas évident d’être 19es, de prendre un 0-6 à domicile, c’est des choses qui ne me sont pas arrivées souvent. Il a tout changé. J’ai une super relation avec lui. On s’est rencontrés en tant que joueurs. Je suis tellement vieux que j’ai joué contre lui en 2007, quand il était au Standard et moi à La Gantoise. C’est quelqu’un qui m’a toujours fasciné. Par sa rage, sa personnalité, son caractère. Quand il est arrivé en Belgique, c’était un dieu. Il avait fait sa carrière en Italie, un Euro extraordinaire avec un triplé contre l’Allemagne. Tout le monde le connaissait. C’était un super beau joueur et tout le monde avait peur de lui sur le terrain. Parce qu’il était très nerveux. Mais entre nous, il n’y a jamais eu de problème. Moi, je ne m’accroche avec personne…
À Bastia, il me semble que tu t’étais accroché une fois ou deux…Ouais, mais à Bastia, on me montait la sega ! (plus ou moins « monter le bourrichon » en corse, ndlr) Je prenais un peu plus de confiance qu’ailleurs…
C’est quel type d’entraîneur, tu penses que ça peut être le bon homme pour faire passer une étape à Nantes la saison prochaine ?Je pense qu’il a un bel avenir. C’est quelqu’un qui arrive à transmettre son envie et qui est très pointilleux au niveau tactique. On travaille beaucoup sur cet aspect, sur les points forts et faibles de l’adversaire. Chaque joueur connaît son rôle. Et c’est toujours des entraînements avec ballon. Jamais aller courir dans le bois. Et c’est un gagnant, un battant.
Il y a une espèce de pression du beau jeu qui existe moins ailleurs, à Nantes ? On vous fait souvent l’éloge du jeu à la nantaise ?Oh, il est loin le jeu à la nantaise ! Il ne faut pas se voiler la face. On essaie d’être efficaces et objectifs. On se bat avec nos armes. C’est pas le jeu d’il y a quinze ans et le public en est conscient. Mais c’est pas mal ce qu’on est en train de mettre en place. On a pas mal de jeunes du centre de formation qui sont titulaires et ça, c’est important pour la pérennité du club.
Et à Bastia, il y avait une pression du beau jeu ?(Il rit) À Bastia, c’était bien. Il suffisait de se donner à 100%. Le beau jeu, c’est du bonus. Je me souviendrai toujours de Julian Palmieri avant notre premier match amical contre le Gazélec, à Corte. Il me dit : « Ici c’est simple, tu vas faire un gros tacle, tu vas pousser un joueur d’Ajaccio, les supporters vont t’adorer. Ils vont crier. Tu vas être leur dieu. » J’ai dit : « Parfait, c’est bon pour moi ça. »
Propos recueillis par Thomas Andrei