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Guerbert : « Les footballeurs sont des marchandises »
Cette semaine, Thomas Guerbert a annoncé qu'il mettait fin à sa carrière à seulement 29 ans. Alors qu'il ne pensait jamais devenir footballeur professionnel, l'ascension inespérée du joueur de Clermont a été stoppée net un soir de novembre 2013, et sa rencontre avec Kurt Zouma. Un tacle assassin, et cinq ans de combat pour remettre son corps à l'endroit. Aujourd'hui, ce même corps lui dit stop.
Tu as annoncé ta retraite cette semaine, à seulement 29 ans. Comment tu en es arrivé à prendre cette décision ?C’est simple. En février 2017, je me suis blessé à l’entraînement au niveau du genou. Finalement, c’était plus grave que prévu. On a essayé d’opérer, j’ai fait beaucoup de thérapies, mais au bout d’un an, j’ai été convoqué à la sécu, puis à la médecine du travail, et j’ai été déclaré inapte. Ce n’est pas moi qui ai pris directement la décision d’arrêter ma carrière. Il n’y avait pas d’autres issues, quoi. À chaque fois que je rentrais en phase de ré-athlétisation, je ne supportais pas l’intensité sur le terrain. Le genou gonflait et les douleurs revenaient.
Dans la vie de tous les jours, tu ressens encore des douleurs ?Bien sûr, j’ai tout le temps mal. Je ne peux pas monter des escaliers. Parfois quand je marche, je dois m’arrêter parce que ça gonfle. Aujourd’hui, je suis en train de voir pour une opération de confort, pour essayer d’être soulagé.
Qu’est-ce que tu as de prévu pour la suite ?Je retourne dans ma région d’origine, à Toulouse, pour passer le diplôme d’entraîneur. En tout cas, je veux rester dans le milieu. Même si ce n’est pas dans le monde pro, ce n’est pas grave. Je viens du monde amateur à la base, je suis content de retourner aux sources.
« Nous, footballeurs, sommes des privilégiés et malheureusement nous nous en rendons compte souvent quand il est trop tard. » C’est ce que tu as dit en annonçant ta retraite. (Il coupe.) C’est indiscutable. On est des privilégiés. Le matin, on va à l’entraînement, on vit de notre passion, on est en bonne santé, on a la tête libérée. Quand tout va bien, c’est super. Et quand tout va mal, on se rend compte que c’était vraiment génial. Je pense que c’est partout comme ça, pas que dans le foot. On ne se rend compte de la valeur des choses que quand on les perd.
Qu’est-ce qui va te manquer le plus dans ta vie de footballeur ?La compétition. Le match du week-end qu’on attend toute la semaine. C’est la cerise sur le gâteau. On travaille toute la semaine pour jouer, et à la fin, il y a toujours une finalité, un but précis. C’est ça qui va me manquer, le match dans des beaux stades. Ressentir cette adrénaline, ce plaisir de gagner.
Qu’est-ce qu’un gars qui vient du monde amateur comme toi a de plus qu’un mec de centre de formation ?La fraîcheur, je pense. Les joueurs des centres de formation, qui sont la tête dans le guidon depuis tout petits peuvent manquer de fraîcheur mentale à un moment donné. Nous, quand on vient du monde amateur et qu’on arrive à un certain niveau, on est frais, on a envie de tout casser. C’est que du bonus, c’est inespéré. Pour les joueurs du centre de formation, quand ils deviennent pros, c’est bien, mais c’est presque logique. C’est la finalité de la formation. Alors que nous, quand on vient nous chercher pour un contrat, c’est un rêve qui se réalise, on arrive avec beaucoup de joie et d’ambition.
Tu disais aussi que tu étais content d’avoir pu vivre ton adolescence normalement.C’est sûr que je ne regrette rien du tout. J’ai pu rester avec mes potes d’enfance jusqu’à mes vingt ans. J’ai pu vivre la même jeunesse que n’importe qui. J’ai fait mon bac éco tranquillement, et puis j’ai pu enchaîner des études – un DUT gestion d’entreprises –, prendre une coloc avec mes potes à Auch comme n’importe quel étudiant. Ça n’a pas de prix de pouvoir vivre ça.
À tes vingt ans, tu pars à Luzenac en National. C’est à ce moment-là que tu as commencé à te voir footballeur ?Même pas. Il y a eu ce match de Coupe de France avec Auch contre Luzenac. Ils m’ont contacté juste après pour voir ce qu’était le monde semi-pro en National. Mais j’avais déjà vingt ans, je pensais avoir beaucoup trop de retard pour finir pro. À cet âge-là, il y a déjà des mecs qui jouent en Ligue 1. Quand je suis parti en National, j’allais pour essayer, mais jamais je ne me serais douté de la finalité. Le National, c’était déjà énorme pour moi. La première année, j’ai eu un peu de mal, mais la deuxième année, j’ai eu la confiance totale du coach Christophe Pélissier. C’est un super coach, il fait du super boulot. On le voit aujourd’hui, ce qu’il fait avec Amiens, ce n’est pas du hasard.
Après Luzenac, tu t’engages avec Dijon en 2011. Ce qui veut dire qu’en deux ans, tu passes de la DH avec Auch à la Ligue 1 avec Dijon. Comment tu gères ça ?Quand je suis arrivé à Dijon, ça m’a fait un choc. Je suis arrivé directement dans un monde hyper professionnel, très structuré. Je leur avais donné mon accord alors qu’ils étaient encore en Ligue 2. Ils étaient bien placés, mais leur objectif n’était clairement pas de monter. C’est une énorme surprise quand je débarque là-bas et qu’en fait, ils jouent la Ligue 1. Je me suis dit : « Bon, j’arrive de National, le coach va me prêter, ce n’est pas grave. » Mais non, Patrice Carteron me fait tout de suite confiance. Je fais la prépa avec eux, tout se passe bien, je reste et je deviens assez vite titulaire. Mes proches étaient super fiers, j’avais des étoiles dans les yeux.
Qu’est-ce que tu ressens lors de ton premier match de Ligue 1 ?C’était incroyable. Le premier match contre Rennes, on prend une branlée 5-1, mais moi, c’était mon premier match de Ligue 1. J’en garde quand même un super souvenir, j’avais les frissons, le stade était rempli, c’était fou. Deux ans avant, je jouais devant 200 personnes maximum. Je me souviens de tous les moments. Mon premier but avec Dijon, c’était contre Valenciennes en Coupe sur une passe de Younousse Sankharé, ma première passe décisive contre Lorient lors de la deuxième journée, et mon premier but en Ligue 1 à Montpellier. C’est gravé. Mais sur le moment, on ne se rend pas compte, on est trop dans le vif de l’action. Ce sont des moments à chérir plus tard.
Tu files à Sochaux dans les derniers jours du mercato 2013. Tes débuts se passent bien avec deux buts en six matchs, puis arrive ce 2 novembre 2013 et ce match contre Saint-Étienne. Kurt Zouma te découpe sur un tacle et te blesse gravement.(Il coupe.) C’est un fait de jeu. En y repensant, c’est sûr que c’est dommage. Ça me coupe dans mon ascension, j’arrivais tout frais avec énormément de motivation. J’étais en pleine forme. Mais une blessure comme ça, c’est sûr que c’est dur de récupérer avec une longue rééducation, une grosse opération, une saison entière blanche. À ce niveau-là, on n’a pas trop le temps de rester de côté.
Kurt Zouma prend dix matchs de suspension, et toi, tu ressors de ce tacle avec une luxation de la cheville et une double fracture tibia-péroné. Tu as pu échanger avec lui après ça ? Oui, j’ai échangé avec Kurt sans problème. Je sais très qu’il n’a pas fait ça volontairement, il ne voulait pas me casser la jambe. Sur le moment, je lui en ai voulu, je me suis dit : « Mais pourquoi il a fait ça ? Pourquoi il a taclé ? » Mais après, en échangeant avec lui, je l’ai senti touché aussi. Aujourd’hui, je pense que je suis frustré par rapport à ça. Même par rapport à moi. Je me dis que peut-être, je n’aurais pas dû faire cet appel, peut-être que j’aurais dû sauter avant. Mais voilà, on n’y repense que quand c’est fait. Tout joueur qui se blesse gravement ressasse. C’est dur de travailler tout seul pour revenir, on perd trop de temps. Et dans ce milieu-là, on n’a pas le temps d’être blessé.
Cette blessure, c’est le déclencheur de tes futurs nombreux pépins physiques. Tu lui en veux encore aujourd’hui ?Je ne lui en veux pas personnellement à lui. Ou alors, pas consciemment. C’est compliqué comme sentiment. C’est plus de la frustration. S’il n’y avait pas eu ce tacle, tout aurait été différent. Je ne suis pas spécialiste, mais c’est sûr que quand on a subi une grave blessure, tu compenses et tu forces ailleurs, alors tu te blesses plus souvent. Et c’est ce qui m’est arrivé ensuite tout le long de ma carrière. Mais avec des « si » , on change le monde. Je peux aussi me dire : « Si j’avais mis trente buts en Ligue 1 avec Dijon, je n’aurais pas signé à Sochaux. » Je ne lui en veux pas, mais c’est sûr que j’aurais préféré qu’il ne tacle pas à ce moment-là, c’est tout. (Rires.) Surtout qu’après, Sochaux descend sans que je ne puisse rien y faire. C’est une année noire, clairement.
Tu ne t’es pas senti assez soutenu par le club après ce coup dur ?Je vais être honnête. Sochaux m’a acheté, ils ont investi. Je me pète après sept matchs et leur investissement est foutu d’entrée. Ils ont espéré que je revienne, mais ça a traîné. On redescend en Ligue 2, j’ai encore un salaire de Ligue 1, mais personne ne me veut, alors je reste un an de plus. Ils me mettent à l’écart et là, on me dit : « Allez, faut partir maintenant. » C’est logique, mais c’est une logique froide. Celle du monde pro. Le problème de ce monde pro, c’est que nous, les footballeurs, on reste une marchandise. Il ne faut pas l’oublier. On a une valeur marchande et quand t’es blessé, que tu ne joues plus trop et que tu es moins performant, tu perds de la valeur. Et ça, je l’ai ressenti pour la première fois à Sochaux quand j’étais blessé. Certaines personnes ont été derrière moi après cette blessure, mais d’autres m’ont lâché.
Ensuite, tu trouves donc cette porte de sortie à Clermont. C’était un soulagement ?Oui. Mais attention, je n’ai pas de rancœur envers tout le club de Sochaux. C’était compliqué là-bas, on changeait de coach tous les ans… En 2016, je me sentais vraiment de trop là-bas et heureusement, Corinne Diacre m’appelle. Je pars tout de suite, je retrouve un peu mon niveau. Je suis replacé numéro 8 et tout se passe bien. Puis mon genou me lâche en février 2017. J’ai joué à peine douze matchs avec eux, mais cette fois-ci, le staff médical a toujours été là et a tout fait pour me mettre dans des conditions favorables. Je pense que le club était aussi triste que moi que ça se finisse comme ça. C’était simplement la blessure de trop.
Par Kevin Charnay