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Guardiola est-il inexportable ?

Par Nicolas Jucha
Guardiola est-il inexportable ?

Dieu vivant à Barcelone, Pep Guardiola n'a pas su créer l'adhésion totale au Bayern Munich malgré des sommets atteints en matière de niveau de jeu. Alors qu'il semble en passe de faire désormais monter Manchester City très haut, toutes les voix ne lui sont pas favorables en Angleterre. Parce que l'entraîneur catalan serait trop exigeant et radical pour fédérer loin de ses terres ?

« Il y aura sept joueurs sur le banc cette fois-ci, Gary Neville peut être content. » Drôle d’ambiance en conférence de presse d’avant-match la semaine dernière, à Manchester. Pep Guardiola est un homme bourré de mémoire et qui n’oublie pas les détails, comme les commentaires. Quelques jours plus tôt, Gary Neville s’était ironiquement dit « impressionné » en plein débat d’après-match sur Sky Sports par le choix de l’entraîneur catalan de n’avoir que six joueurs sur son banc pour affronter Burnley. L’ancien entraîneur du Barça doit avoir aussi mémorisé quelque part la levée de boucliers après la victoire « écrasante » des siens contre Newcastle le 27 décembre. 1-0, seulement, mais avec une possession de balle étouffante (83% en première période) et une emprise totale sur la rencontre. « Une blague » , selon l’autre consultant vedette de la chaîne, Jamie Carragher, soutenu dans son propos par Gary Neville, considérant la situation comme « inacceptable » . Parce que le jeu de City était indigent ? Au contraire, la virtuosité de De Bruyne and co a atteint ce jour-là un niveau extrêmement élevé, mais aurait, selon les vieux de la vieille de la Premier League, tué l’indécision sportive qui fait l’essence du foot anglais.

Les Harlem Globe Trotters et Jupp Heynckes

Quelques saisons plus tôt, c’est pour avoir gueulé après Bastian Schweinsteiger – coupable d’avoir tiré de l’extérieur de la surface au lieu de chercher une passe – que Pep Guardiola avait été tancé par Franz Beckenbauer en personne, avant d’être invectivé en mondovision par Thomas Müller, visiblement peu partisan du jeu imposé par son entraîneur. Un mauvais procès selon Patrick Guillou, le consultant Bundesliga de beIN Sports. « Je me souviens avoir commenté plusieurs matchs du Bayern de Guardiola, et, parfois, c’était les Harlem Globe Trotters. Je sais que l’émotion, l’incertitude du match, le suspense, ce sont des composantes essentielles du football, mais parfois, c’est beau aussi de voir une équipe tutoyer la perfection. » Des moments de plaisir non considérés à leur juste valeur en Bavière, car « Guardiola a dû subir la comparaison avec l’équipe de Jupp Heynckes, qui a fait le triplé en 2013. » Mais la Ligue des champions en moins, Guillou estime pourtant que « le Bayern de Guardiola était supérieur, avec un fonds de jeu beaucoup plus élaboré » . Mais probablement moins allemand que quand Heynckes prônait un jeu plus direct, avec des binômes ultra performants sur les côtés, là où celui du Catalan « construisait plus, maîtrisait le ballon » . Quitte à faire quelques matchs tout seul. Mais pour Guillou, la progression du jeu sous Guardiola était mathématique : « Là où les remontées de balle du Bayern de Heynckes se faisait avec deux solutions pour le porteur de balle, dans celui de Guardiola, le porteur avait jusqu’à quatre ou cinq options, c’était fantastique. »

Les entraînements à huis clos de Munich

Karl-Heinz Rummenigge n’a d’ailleurs pas hésité, depuis le départ de Guardiola, a parlé d’un réel héritage de beau jeu laissé au FC Hollywood. Forcément un peu ternis par « le malentendu culturel, puisqu’en Allemagne, on n’hésite pas à frapper de loin, plutôt que de faire circuler le ballon jusqu’à trouver un déséquilibre dans la défense adverse. » En Angleterre, on aurait donc tendance à reprocher au City de Guardiola de trop dominer son adversaire par la technique, plutôt que d’accepter un vrai combat physique. L’arrivée d’Aymeric Laporte pour 65 millions d’euros, couplée au prêt à Everton d’Eliaquim Mangala, tend à prouver que le Catalan fait fi des compromis et va continuer à faire les choses à sa manière. Sans surprise. « Quand vous recrutez Guardiola, vous devez être prêt à ce qu’il pousse les meubles, car il vient avec des idées et une philosophie très claires. C’est pour cela aujourd’hui qu’il exige des joueurs très précis. Et des méthodes qui peuvent paraître radicales : par exemple au Bayern, qui est une combinaison des Beatles et des Stones en matière de popularité, mais avec un esprit assez familial, il a imposé des bâches sur les grillages et des entraînements à huis clos. C’est certain que des choses de ce type ne lui ont pas apporté la sympathie, mais c’est le prix à payer pour un entraîneur à ce niveau d’exigence. »

Carte blanche à Manchester City

Reste à Guardiola de réussir à imposer totalement sa vision à Manchester, ce qu’il n’a pu faire pleinement à Munich faute « d’aller au bout en Ligue des champions » . Car pour le reste, au Bayern, « il a poussé son équipe au maximum, comme partout où il passe » . Pour Guillou néanmoins, il n’est pas impensable que la mayonnaise prenne sur le plus long terme malgré les réticences de certains conservateurs. « À Manchester City, ils ont un fonctionnement plus adapté à ses exigences, alors qu’au Bayern, ce n’était pas forcément lui qui avait le final cut. En Angleterre, c’est culturel que le manager soit au sommet de la prise de décision, cela lui va bien. Après, les plaintes sur le déséquilibre des forces qu’il engendre avec son équipe, c’est une nécessité pour que City puisse aller au bout en Ligue des champions. D’ailleurs, les dirigeants ont été intelligents de le maintenir la saison passée malgré son échec en C1. C’est la seule fois où il a perdu aussi tôt en Coupe d’Europe, et ils ont pris le parti de lui laisser du temps. On constate qu’en lui donnant du temps et les joueurs qu’il demande, il crée quelque chose de fort. » Fort déplaisant diront les mauvaises langues.

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Par Nicolas Jucha

Propos de Patrick Guillou recueillis par Nicolas Jucha.

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