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Guangzhou : premier arrivé, premier servi
Samedi, Shanghai SIPG défie Guangzhou Evergrande Taobao au stade Tianhe. L'ambitieux tente de prendre le pouvoir face au sextuple vainqueur de la Chinese Super League et seul club chinois à avoir remporté deux fois la Ligue des champions d'Asie. Une écurie qui a su investir avant les autres pour se préparer quelques coups d'avance...
Un contrat en or pour André Villas-Boas, 60 millions d’euros à destination du Zénith Saint-Pétersbourg pour s’offrir Hulk. Environ 70 de plus, dans les caisses de Chelsea, pour sortir Oscar de sa cave dorée. Depuis le printemps 2016, Shanghai SIPG incarne bien la démesure qui a gagné le football chinois. Des investissements massifs pour recruter des talents du Vieux Continent et espérer ainsi faire plaisir au pouvoir politique chinois, soucieux de développer son soft power à travers le ballon rond. Mais dans cette galaxie de grands groupes privés – en l’occurrence ici Shanghai International Port Group (SIPG), l’opérateur de l’intégralité du port de Shanghai –, Shanghai SIPG est presque comme tout le monde : dans l’ombre de Guangzhou Evergrande Taobao, qui rafle tous les titres depuis 2011. Une équipe à laquelle les hommes de Villas-Boas rendent visite ce samedi pour tenter de briser leur plafond de verre depuis le rachat du club fin 2014 : une deuxième place en 2015 et une troisième en 2016, avec au passage un quart de finale en Ligue des champions. Honorable, mais un peu trop modeste quand on a claqué pas loin de 200 millions d’euros, et qu’on doit avaler – toute ressemblance avec une équipe française serait fortuite – une sortie de route continentale sur une claque 5-0 contre un poids lourd extrême oriental, le Jeonbuk Hyundai Motors (Corée du Sud).
Guangzhou Evergrande Taobao champion depuis six ans
La visite au stade Tianhe de Guangzhou, avec ses 50 000 supporters chauffés à blanc, a donc valeur d’épreuve de vérité pour Shanghai. Avec les arrivées d’Oscar et de Villas-Boas comme principaux arguments inédits. Motif d’espoir pour le SIPG, après deux journées, il a fait carton plein quand Guangzhou a déjà essuyé une défaite sur la pelouse de Shandong Luneng, équipe phare des années 2000 et de l’ère pré-Evergrande. Un peu maigre pour espérer faire bouger les lignes si vite face à un adversaire qui domine outrageusement les débats depuis six ans pour des raisons aussi simples qu’imparables : le Evergrande Real Estate Group, l’une des grandes entreprises immobilières du pays, s’est investi dans le football plus tôt que les autres, et s’est appuyé sur une stratégie privilégiant le rationnel au clinquant. Et a ainsi pu se bâtir une confortable avance pour maintenir la concurrence en respect.
Recruter chinois d’abord
Aujourd’hui co-détenu par le Alibaba Group – société de commerce en ligne chinoise qui possède Taobao, l’équivalent chinois de Ebay –, Guangzhou Evergrande Taobao prend forme fin février 2010. Le club de Canton est alors la propriété de Guangzhou Pharmaceuticals – un groupe pharmaceutique – et se voit condamné au purgatoire de la seconde division chinoise pour une affaire de matchs arrangés datant de 2006. Un gros bordel à l’image de tous les troubles gangrenant le foot chinois de l’époque. Ce qui, pour Xu Jiayin, le grand patron d’Evergrande, signifie opportunité pour rebâtir de zéro. Et quand la plupart des investisseurs chinois actuels misent sur des grands noms étrangers pour espérer tirer leur équipe vers le haut, le projet cantonais s’attache dans sa phase A à recruter les meilleurs joueurs chinois disponibles, et surtout disposés à venir en deuxième division. Pas con quand on sait que les places de joueurs non chinois sont limitées, quatre plus un Asiatique à l’époque. Signent Gao Lin, buteur de Shanghai Shenhua, Zheng Zhi, en fin de parcours au Celtic, ou encore Sun Xiang, premier Chinois à avoir goûté à la Ligue des champions européenne, sous les couleurs du PSV Eindhoven. Point commun entre les trois ? Ils ont leurs habitudes en sélection et sont donc censés survoler la compétition.
La bonne affaire Paulinho, la confiance de Lippi et Scolari
À cette base « nationale » , Guangzhou Evergrande ajoute une touche d’exotisme en s’offrant le Brésilien de l’Atlético Mineiro Muriqui à l’été 2010. Pour environ 3 millions d’euros, une grosse somme à l’époque, qui illustre parfaitement le grand bon économique vécu en moins de sept ans par le football local. Pour Evergrande sont établies les bases d’une stratégie payante : promotion sereine en 2010, titres de champion dans l’élite depuis 2011, sans oublier deux coupes nationales (2012 et 2016) et surtout le double triomphe en Ligue des champions asiatiques en 2013 et 2015. Pas étonnant que Forbes ait positionné le club parmi les grands économiques de ce monde du ballon rond, ou que le groupe Alibaba se soit ramené pour associer le nom de sa plus grosse marque, Taobao, à la réussite sportive des magnats de l’immobilier. Preuve de l’efficacité stratégique du groupe, l’un des tauliers de l’équipe, Paulinho, n’a coûté « que » 15 millions d’euros alors qu’il joue en Seleção (il a d’ailleurs planté un triplé en Uruguay la semaine dernière) quand les autres clubs chinois surpayent quasiment toutes leurs recrues étrangères. Pas un hasard donc que deux techniciens champions du monde – hier Marcello Lippi, aujourd’hui Luiz Felipe Scolari – se soient associés à un projet qui voit à très long terme.
Bientôt une usine à footballeurs chinois
Conscient que les investissements lourds ne suffiront plus à assurer sa domination, Guangzhou Evergrande Taobao a investi ses dernières billes dans un centre de formation qui se veut d’avant-garde. Avec son architecture façon Disneyland, ses 3 000 jeunes résidents et sa double dizaine de formateurs envoyés par le Real Madrid, l’Evergrande Football School veut former les prochaines stars du football chinois, dans l’espoir, d’ici une décennie, de ne plus se contenter d’acheter ses meilleurs joueurs, mais de les former… Ironie de l’histoire, Shanghai SIPG est bâti sur les restes de Shanghai Dongya (Grand Est), club dont l’essence reposait sur la Genbao Football Base, le centre de formation le plus réputé du pays. Pour détrôner Guangzhou, plutôt que de casser sa tirelire, SIPG aura peut-être intérêt à se pencher sur les anciennes recettes.
Par Nicolas Jucha