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Guangzhou Football School : ramenez la coupe en Chine !
Nouvel eldorado, la Chine a affolé le marché ces dernières années en réalisant des transferts de folie et en promettant des salaires mirobolants. Enfin ça, c’est pour les gros titres. Car pendant ce temps, discrètement, la Guangzhou Football School s’évertue à façonner une équipe capable, à terme, de rafler le trophée suprême : la Coupe du monde.
« En Chine, ce que Xi dit, Xi l’obtient généralement » , a-t-on coutume d’énoncer dans l’Empire du Milieu. En mars 2015, le président chinois Xi Jiping posait les jalons d’un fabuleux projet. Voilà que l’actuel 76e du classement FIFA s’est retrouvé chargé, le temps d’un discours, d’organiser une Coupe du monde et de se hisser au rang des meilleures nations du ballon rond. Et en trente ans, s’il vous plaît. Du jour au lendemain, toutes les écoles du pays reçoivent l’obligation d’inscrire le football au programme, la construction de 45 000 centres dédiés au foot est planifiée sur dix ans et, dix mois après le discours de Xi, une immense académie à la gloire du ballon rond sort de terre : la Guangzhou Football School (GFS).
22 entraîneurs des jeunes du Real Madrid
Une réplique de douze mètres du trophée de la Coupe du monde à son entrée, un immense château tout droit sorti d’un Walt Disney pour héberger 2800 gamins, 50 terrains de football, 9000 m2 de salles de cours, des cantines de la taille de rectangles verts : la GFS, avec son goût de la démesure, est une immense fabrique à talents. Côté terrain, 150 instructeurs veillent sur les nombreux bambins. L’espagnol est de mise. Il faut dire que les dirigeants asiatiques, en accord avec le Real Madrid, sont allés chiner vingt-deux entraîneurs des jeunes pousses de la Casa Blanca qu’ils ont prié d’exporter leurs talents dans l’Empire du Milieu. Et si, en plus des infrastructures, une quantité immense de matériel est mise à disposition des éducateurs, la tâche n’est toutefois pas aisée.
L’usine à tas lents
Une culture du football ne s’improvise pas. Dans un pays où rares sont les enfants qui jouent au football dans la rue et où le tennis de table reste le sport numéro un, il faut de la patience pour inculquer ses idées. « Les enfants ont un bon niveau technique, mais la grande différence se fait tactiquement, notamment dans les prises de décision » , confie Sergio Zarco Diaz, chargé des U11. « Si tu ne leur dis pas exactement quoi faire sur le terrain, ils sont perdus » , abonde Ibon Labaien, un autre coach espagnol qui a dirigé les U10 pendant trois ans avant de revenir au pays l’été dernier. Des obstacles inhérents à la société chinoise se chargent de compliquer une tâche déjà ardue. Il y a par exemple cette éducation traditionnelle et cet enseignement quasi militaire qui produisent des gamins surdisciplinés, mais bloqués dans leurs initiatives et leur créativité. Il y a aussi la politique de l’enfant unique et les « petits empereurs » qu’elle a engendrés : comme le constatent de nombreux sociologues et observateurs réguliers de la scène chinoise, l’égoïsme exacerbé et le manque de confiance en l’autre caractérisent nombre de gamins. « Si on perd 20-1, ils s’en moquent pourvu qu’ils aient marqué le but de leur équipe » , confie Mikel Lasa, en charge de l’équipe réserve. Ce manque de coopération se reflète sur le terrain, où les joueurs communiquent trop peu. Et puis, si le pays a vu émerger une flopée d’athlètes avec l’organisation des JO 2008, nombre de Chinois ignorent encore les vertus de l’activité physique et les parents souhaitent avant tout voir leurs enfants réaliser de belles études. Même au sein de la GFS, seul un cinquième des enseignements est consacré au football. Enfin, quand ils se focalisent sur le sport, les enfants sont encore très loin d’être sélectionnés selon leurs seuls mérites. La GFS est avant tout constituée de gamins gâtés dont les parents peuvent s’acquitter d’exorbitants frais de scolarité (50 000 yuans, soit le salaire moyen d’un Chinois).
China (at)tend
Alors que face aux caméras, les jeunes du centre confient qu’ils rêvent de marcher dans les pas de Messi et Ronaldo, que les écuries européennes placent leurs billes dans le pays pour y dénicher la perle de demain, le football chinois et sa formation restent « mauvais » et « en manque cruel de talent » , aux dires de Lasa. Les quelques-uns qui ont déjà fait le saut vers le Vieux Continent sont voués à l’anonymat des divisions et championnats inférieurs. Si Liu Jiangnan, le directeur de l’académie, annonce des premiers progrès visibles pour 2020, les coachs espagnols, parfois un tantinet désabusés, donnent rendez-vous dans « vingt, quarante voire soixante ans » . Mais si la volonté politique ou, comme ce fut le cas au basket avec Yao Ming, l’ascension inespérée d’une star, pourraient faire office d’accélérateurs, le football ne résistera pas éternellement à un pays qui se rêve puissance totale.
Par Pierre-Henri Girard-Claudon