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Guam over
Menacée par le régime de Kim Jong-un, l’île de Guam, territoire non incorporé des États-Unis, doit à nouveau faire face à la Corée du Nord. La première fois, c’était le 11 mars 2005 et la sélection de l’île s’était fait pulvériser 21-0. Depuis, les Guamaniens n’ont toujours pas lavé l’affront.
Perdue au milieu du Pacifique, l’île de Guam pensait vivre des jours heureux. Et puis ce bout de terre s’est retrouvé au centre des tensions entre les États-Unis et la Corée du Nord. Ce mercredi 9 août, soixante-douze ans après le bombardement de Nagasaki, Pyongyang annonçait que la Corée du Nord était prête à faire feu grâce à ses missiles balistiques sur ce territoire non incorporé des États-Unis. Mais ce n’est pas la première fois que Guam fait face au pays de Kim Jong-un. À cinq reprises, Matao, surnom de l’équipe de football de l’île, a rencontré la sélection de la Corée du Nord. Bilan : cinq défaites. Et comme pour beaucoup de monde, la première fois a été difficile. Le 11 mars 2005, à Taïpei, les Nord-Coréens écrasent les Guamaniens 21-0 en Coupe d’Asie de l’Est. Un score sans appel qui reste la plus grosse victoire de l’histoire des uns et la plus large défaite de l’histoire des autres. Ce jour-là, il n’y avait de pacifique que l’océan, et l’île de Guam s’était bien fait atomiser.
« Ils auraient dû nous mettre 40-0 »
Quand l’équipe de Guam se retrouve face à la Corée du Nord, l’outsider est déjà au fond du trou. Une défaite 9-0 du côté de Taïwan en apéritif, un cinglant 0-15 contre Hong Kong pour continuer et un honorable 4-1 en Mongolie : autant dire que les Guamaniens n’attendent plus grand-chose de ce dernier match. « En 2005, ce n’était que la deuxième fois que Guam participait à une compétition d’Asie de l’Est et c’est la première fois que Guam rencontrait la Corée du Nord. À l’époque, la Corée du Nord était 125e au classement FIFA, avec plus de 110 000 licenciés, alors que Guam n’était classé que 204e avec seulement 2 000 licenciés, tente d’expliquer Jill Espiritu, responsable média et marketing de la sélection. La Corée du Nord était un membre officiel de la FIFA depuis 1958, alors que Guam ne l’était que depuis neuf ans. Dans les joueurs sélectionnés pour la compétition, près de la moitié de l’équipe de Guam avait 18 ans ou moins. Alors que la moyenne d’âge de l’équipe coréenne était de 24 ans. »
Au coup de sifflet final, ça fait quand même 21-0. Un score lourd qui a forcément marqué Elias Merfalen, buteur de la sélection et retraité depuis 2012. « C’était un sentiment étrange de se retrouver à affronter ces équipes. J’avais remplacé un type plus vieux de l’équipe comme attaquant de pointe et je me sentais honoré. J’ai fait de mon mieux. Mais quand on a affronté la Corée du Nord, je sentais vraiment qu’on était impuissants. Je n’avais que 15 ans à l’époque, je me sentais dépassé sur le terrain à cause de leur taille, leur vitesse, leur force » , raconte Elias, qui estime que sa sélection a été bien payée ce jour-là. « Vu les circonstances, j’ai l’impression qu’ils auraient dû nous mettre 40-0. Mais on s’est battu jusqu’au bout. »
Plaisir et infidélité
Ce n’est qu’à partir de 2011 que Guam a commencé à rivaliser un minimum. « Avant, quand on jouait ces mecs, on avait toujours en tête que notre but était d’en prendre le moins possible » , assure Elias. L’équipe de Guam a donc progressé. Lentement, mais sûrement. Et cela se voit dans ses résultats face à la Corée du Nord. « Depuis 2005, Guam a joué la Corée du Nord quatre fois. À chaque fois, Guam a été plus compétitif. En 2009, seulement quatre ans après la première rencontre, l’équipe n’a perdu que 9-2. Lors du match le plus récent, Guam n’a perdu que 2-0, avec deux buts en fin de match. Malheureusement, c’est le score du premier match qui restera dans le livre des records » , rappelle Jill. En 2012, pour sa dernière compétition, Elias retrouve la Corée du Nord face à lui, mais ne perd cette fois que 5-0. « Ils n’étaient pas aussi bons que dans mes souvenirs. Je me rappelle même avoir eu l’occasion d’ouvrir le score en première mi-temps, mais j’ai tiré au-dessus de la cage » , se remémore-t-il. Une nouvelle défaite donc, mais l’attaquant parle avant tout du « plaisir » de se mesurer à nouveau aux Nord-Coréens et préfère voir la défaite de 2005 comme une belle leçon de football qui lui a permis de progresser.
« On a rarement notre mot à dire sur le destin de notre île »
Car pour Elias, il n’y avait aucune tension particulière lors de ces matchs, aucune animosité, malgré les différends entre la Corée du Nord et les États-Unis. « Dans l’ensemble, on a toujours su qu’il y avait beaucoup de tensions entre la Corée du Nord et les États-Unis. À Guam, nous sommes des citoyens américains, mais on est un peu traités comme un enfant non désiré. On ne vote pas pour le président, et au niveau du Congrès, on a rarement notre mot à dire sur le destin de notre île. Donc, il n’y a pas vraiment de rivalité avec la Corée du Nord, on est assez indifférents à cela. Malgré le fait qu’ils nous considèrent comme des « Américains » et donc peut-être, dans leur esprit, nous sommes des « infidèles ». » Aujourd’hui, on ne retrouve plus aucun joueur présent sur la feuille de match en 2005 dans l’effectif de la sélection. Tous sont rentrés chez eux avec cette grosse valise qui les suit malgré eux. Aux nouveaux venus de relancer la partie.
Par Robin Richardot
Tous propos recueillis par RR