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Grossophobie, coffee-shops en folie, FC Utrecht au pilori : les Pays-Bas dans tous leurs états

Par Douglas de Graaf
6 minutes
Grossophobie, coffee-shops en folie, FC Utrecht au pilori : les Pays-Bas dans tous leurs états

Vendredi dernier, l'Eredivisie est devenu le premier championnat européen à signer l'arrêt de sa saison. Avec un flot de décisions controversées qui en découle : pas de champion désigné, des places européennes attribuées en fonction du classement actuel et surtout le gel du système de relégation en D2/promotion en D1. Dans ce capharnaüm où chacun voit midi à sa porte, les grosses écuries comme l'Ajax semblent avoir tiré leur épingle du jeu, alors que les lésés continueront la lutte. Mais comment être uni dans un pays qui ne l'est pas davantage dans sa lutte contre le coronavirus, entre débordements sur le thème de la grossophobie ou dans la queue des coffee-shops ?

« Il n’y aura pas de football professionnel jusqu’au 1er septembre aux Pays-Bas. » Mardi dernier, à l’occasion de son point presse consacré au coronavirus, c’est le Premier ministre Mark Rutte en personne qui a tiré un trait sur la saison de football. Vendredi dernier, la KNVB (la Fédération néerlandaise, qui organise l’Eredivisie) lui a emboîté le pas, douchant les derniers espoirs des fans. Emballé, c’est pesé, rendez-vous la saison prochaine ? Pas si vite ! En étant le premier championnat à franchir le Rubicon en signant l’arrêt de ses compétitions nationales, l’Eredivisie a aussi ouvert une belle boîte de Pandore. Et si certains fléaux n’étaient pas voués à rester au fond de la boîte, d’autres auraient largement pu rester derrière le verrou.

Vendredi dernier, lors d’une réunion qui fait déjà date, la KNVB n’a pas fait que proclamer l’arrêt de la saison en cours et la non-attribution du titre de champion. Elle avait aussi invité les 34 clubs professionnels du pays à s’exprimer sur la question des promotions/relégations. Dépouillement du scrutin : 16 clubs ont voté « pour » (que les montées/descentes se fassent), 9 ont voté « contre » et 9 ont voté blanc. Le début de la descente aux enfers pour l’ADO Den Haag (avant-dernier du classement) et le RKC Waalwijk (lanterne rouge) ? Raté ! La KNVB, à qui on reprochait (comble de l’ironie) de ne pas avoir le courage de faire des choix forts, a finalement officialisé une décision qu’elle avait déjà prise secrètement la veille : De Graafschap, deuxième de D2, et Cambuur, rugissant leader, devront se coltiner l’antichambre au moins une saison supplémentaire. La conséquence d’un résultat de vote « pas assez probant », se justifiera la KNVB. L’entraîneur de Cambuur verra les choses autrement au micro de NOS : « C’est le plus gros scandale de l’histoire du sport néerlandais. »

La marionnette KNVB

Une décision d’autant plus absconse que les tickets européens ont eux bien été décernés, au mérite (le classement actuel en l’occurrence). Tant mieux pour l’Ajax (leader à la différence de buts et qui ira en playoffs de C1), pour l’AZ (deuxième tour de qualification de C1), pour Feyenoord et le PSV (phase de groupes de la C3) et pour Willem-II (deuxième tour de qualification de C3). Mais tant pis pour Utrecht, sixième… avec un match en moins, et qui aurait pu accrocher le bon wagon en cas de victoire. Sans mentionner sa finale de Coupe des Pays-Bas qu’il devait disputer contre Feyenoord, une compétition qui propulse son vainqueur directement en C3.

Des victimes, des clubs qui crient à l’injustice, il devait nécessairement y en avoir – et il y en aura certainement davantage dans les semaines à venir en Europe. Mais l’issue était-elle vraiment inéluctable ? Pour certains, les coupables sont tout trouvés : les grosses cylindrées du pays, au premier rang desquelles l’Ajax. Dès la fin mars, son directeur technique Marc Overmars avait été le premier à lancer les hostilités en réclamant l’arrêt définitif de l’Eredivisie, et le figement du classement en l’état, évidemment. Une sortie qui n’avait pas été du goût d’autres clubs moins bien lotis sportivement, ainsi que de Louis van Gaal, qui a chargé son ancien joueur dans AD en accusant « certains clubs d’abuser de la crise pour leur propre bénéfice ».

Mais le mal était fait. Rapidement rejoint par ses homologues du PSV et de l’AZ, Overmars a réussi son coup : prendre en otage la KNVB, qui n’a pas de pouvoir décisionnaire sur les clubs et que ses pourfendeurs n’hésitent pas à qualifier de marionnette aux mains des gros du pays. N’est-ce qu’une coïncidence si la KNVB s’est rangé du côté du vote minoritaire (mais porté par l’Ajax et l’AZ) en faveur du sauvetage de l’ADO La Haye et Waalwijk, beaucoup plus « bankables » que les « petits » De Graafschap et Cambuur ? N’est-ce qu’un hasard si l’un des directeurs de l’Eredivisie n’est autre que l’ancien directeur exécutif de l’ADO ? Cambuur, Utrecht et compagnie auront beau intenter des actions en justice et continuer de crier à l’injustice, la partie semble perdue d’avance.

Freedom never dies

Mais au fond, comment espérer un football uni dans un pays qui ne l’est pas davantage dans sa lutte contre le coronavirus ? À l’instar de leurs instances footballistiques, les Pays-Bas ont longtemps été tiraillés entre la préservation de leurs intérêts économiques et la santé. Dans ce pays de tradition libérale, le fond de la pensée du célèbre présentateur Jort Kelder a certes profondément choqué, mais sa substance ne se limite pas à une poignée d’ultraconservateurs. « Nous sommes en train de sauver des octogénaires, trop gros, et qui ont fumé. À un moment donné, il serait temps de penser à équilibrer les intérêts. Combien de dégâts économiques pour sauver des personnes qui auraient sûrement fini par mourir au cours des deux prochaines années ? » a-t-il craché sur Omrop Fryslân.

Ne pas laisser dégringoler le PIB : un leitmotiv qui explique que l’État ait tant tardé à décréter le confinement, se reposant derrière le mirage de l’immunité collective. Un libéralisme économique qui va de pair avec son petit frère politique : hors de question d’imposer un confinement à l’italienne, le gouvernement mise plutôt sur un « lockdown intelligent » où la responsabilité individuelle est le maître-mot. Un confinement qui va même être adouci dès mercredi avec la possibilité pour les enfants de faire du sport en groupe dans les parcs, tandis que la réouverture des écoles élémentaires est prévue pour le 11 mai. Mais avec 4500 morts du coronavirus (contre 6000 en Allemagne et 430 au Danemark), la stratégie ne ressemble pas à un franc succès en matière de bilan humain. Dès la mi-mars, à la suite de l’annonce de la fermeture de certains commerces, des images ont prêté à sourire ailleurs dans le monde : celles d’une procession de Néerlandais faisant la queue devant des coffee-shops pour s’approvisionner en cannabis avant le confinement. On ne renonce jamais à sa liberté au pays du football total.

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