- Foot et mysticité
Grigris, la chasse est ouverte
Le lundi 3 octobre, le match retour du troisième tour des qualifications pour la CAN 2017 des moins de dix-sept ans, qui opposait la Guinée au Sénégal, a été interrompu pendant de longues minutes pour une bonne raison : trouver les grigris des Sénégalais. Au bout de cette chasse, une qualification pour les Guinéens, mais surtout une vraie question : et si cette histoire farfelue était à prendre beaucoup plus au sérieux ?
« Il y avait quelque chose au niveau du poteau, je l’ai pris et je l’ai donné au petit qui ramassait le ballon » , avait juré l’attaquant et capitaine guinéen, Sekou Camara, au site Foot224.net, après un match qui, entre arbitrage douteux et chasse aux fétiches, restera dans les annales du football africain. En effet, cette rencontre avait déjà tout pour rester dans la légende. Après une victoire 1-0 de la Guinée au Sénégal, le match retour avait dû être décalé de vingt-quatre heures parce que « les arbitres de la rencontre [avaient] raté leur vol de connexion » , avaient annoncé les médias guinéens. Ce décalage de dernière minute n’empêche pas les Guinéens de maîtriser leur sujet. Dominateurs, ils pensent ouvrir le score grâce à un penalty, mais le gardien sénégalais répond présent. Dans la foulée, les Lions de la Téranga se permettent même d’ouvrir le score. Décidément, le mauvais sort s’abat sur les Guinéens. Ou plutôt, il ne s’abat étrangement pas sur les Sénégalais. Les coéquipiers de Sekou Camara en sont alors convaincus : leurs adversaires ont placé des grigris dans les cages, ce qui empêche les locaux de marquer. Commencent alors dix minutes de Ghostbusters version fétiches, jusqu’à la fameuse trouvaille du capitaine guinéen. Une fois l’objet balancé au loin, mais aussi grâce à une dizaine de minutes de temps additionnel, Sekou Camara égalise sur coup franc. Comme par hasard. Score final : 1-1, qualification de la Guinée, désillusion pour le Sénégal.
Déviations mystiques
Mais alors un objet, somme toute anodin, peut-il réellement empêcher le ballon de rentrer ? Selon « Papa Vodou » , il n’y a aucun doute à avoir là-dessus. « Une fois le grigri placé dans les cages, les autres ne pourront plus du tout marquer. Ça a le pouvoir de rediriger le ballon dans un mauvais sens, quelle que soit la façon dont le joueur va tirer. Il ne pourra jamais y avoir de but » , affirme celui qui se présente comme « grand maître occulte, medium voyant et sorcier noir » . Mais quand il s’agit d’expliquer pourquoi, « Papa Vodou » est un peu plus embêté. « Ce n’est pas quelque chose de naturel, c’est quelque chose de mystique » , reconnaît-il. Sur ce point, Emmanuelle Kadya Tall, anthropologue chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et membre de l’Institut des mondes africains, rejoint le marabout. « Il n’y a pas que la force physique, évidemment il y a aussi la force mystique. » Mais c’est sur l’explication de l’égalisation guinéenne que les avis divergent. « Si on enlève le grigri, automatiquement, ça empêche de dévier le ballon et ça ne bloque plus le mauvais sort. Une fois le grigri enlevé, l’équipe adverse a, à nouveau, la chance de pouvoir marquer » , assure le sorcier. Emmanuelle Kadya Tall se veut plus rationnelle. « Tout ça, c’est de l’ordre de la croyance et de l’imaginaire. Ils sont revenus au score parce que, à partir du moment où vous découvrez le fétiche de l’autre équipe, ça anéantit sa puissance. Donc ils se sont sentis plus vaillants, plus libérés et du coup, ils ont marqué. » Finalement, le fétiche n’est jamais aussi puissant que quand il reste caché.
Totems et cadavres
Mais ce genre d’événements est loin d’être inhabituel. Ces histoires de sorcellerie sont prises très au sérieux en Afrique et le football, en tant que sport populaire, est forcément concerné. « Ça peut se manifester de manière individuelle, chacun a son marabout qui lui prescrit un certain nombre de choses à faire. Cela peut aller du sacrifice d’une bête au sacrifice de denrées alimentaires. Cela peut aussi relever du collectif puisqu’il n’est pas rare que dans certaines sélections africaines, il y ait un budget spécialement voté et alloué à cette pratique » , révélait Pape Diouf au micro de TV5MONDE. Les témoignages de joueurs sont pourtant rares. Benjamin Diboué, ancien joueur, avait accepté de revenir sur ces pratiques de sorcellerie pour justement les dénoncer. « J’ai toujours eu une chaîne autour du cou. C’était mon totem. Pendant le match, lorsque j’avais le ballon, les joueurs de l’équipe adverse voyaient mon totem, un serpent. En lieu et place du ballon. C’est cela le football. Tu ne peux rien sans cela. Certains footballeurs louent les cadavres à la morgue pour faire des pratiques à la veille des matchs » , racontait-il. Plus intrigant encore, le joueur avait révélé que la mort de Marc-Vivien Foé, joueur camerounais mort sur le terrain en 2003, n’était en rien liée au hasard. Celui-ci aurait été puni par des forces mystiques pour avoir refusé de sacrifier sa mère, après avoir demandé plus de pouvoir à son maître spirituel. Un Ballon d’or ou une maman, il fallait choisir.
La compétition des fétiches
Fausses ou avérées, ces révélations montrent toutefois combien la culture africaine est marquée par l’idée de sorcellerie et de fétichisme. Encore une fois, Emmanuelle Kadya Tall apporte son éclairage. « La représentation du succès, elle se fait toujours avec l’aide de forces mystiques. Dans toutes vos aventures, qu’elles soient sportives ou non, si vous êtes en échec, ce n’est jamais de votre faute. C’est une espèce de vision persécutive de la malchance, du malheur. Vous perdez, non pas parce que vous n’êtes pas entraîné, ni parce que vous êtes inférieur physiquement à l’autre équipe ; vous perdez parce que les autres ont des fétiches plus forts que les vôtres » , assure la spécialiste. Blanche ou noire, la magie a bon dos pour les mauvais perdants.
Par Robin Richardot