- Espagne
- Liga
- 24e journée
- Grenade/FC Barcelone
Grenade et la famille
A priori, le Grenade CF ne devrait pas avoir grand-chose en commun avec un club italien ou anglais. Mais en réalité, il possède le même propriétaire. Un type qui profite de ses différentes plateformes pour faire tourner ses jeunes acquisitions. Et Giampaolo Pozzo, initialement président de l’Udinese, en fait beaucoup, des acquisitions.
Grenade est un club un peu à part, en Espagne. Pas parce qu’il est présidé par un investisseur étranger, ce qui est désormais assez commun dans le monde du foot, mais parce que ce proprio possède également deux autres clubs importants en Europe. Ça, c’est un peu plus rare. Giampaolo Pozzo, propriétaire de l’Udinese depuis 1986, a en effet fait l’acquisition du club espagnol en juillet 2009, avant de racheter l’été dernier celui de Watford, qui milite en Championship, la deuxième division anglaise. Trois clubs liés à une même famille, un même système. Système très rentable, que la multiplication de clubs peut faire prospérer davantage.
Le modèle Udinese
Mais quel système, alors ? Pour l’expliquer, il faut revenir à son fondement, et donc, à l’Udinese. Gino Pozzo, fils du patriarche Giampaolo, en énonçait le principe récemment au Times : « Il y a deux parties dans notre projet. Il y a le choix des joueurs, et le développement de ces joueurs. Nous investissons plus d’argent sur des footballeurs de 17 à 23 ans qu’aucune autre équipe en Italie. » Tout est dit. La stratégie des Pozzo est simple : un recrutement basé sur la jeunesse, qui s’appuie sur un vaste et très efficace réseau de scouts, établi aux quatre coins du globe. De ce recrutement massif, on peut ainsi expliquer le nombre assez dingue de joueurs sous contrat dans le club frioulan : pas loin de 100. Ces jeunes pousses sont alors prêtées, avant, éventuellement, de revenir au bercail. Et à chaque saison, même topo, dans le Frioul : l’un de ces jeunes-là (et « un » est un minimum), explose. Dans ce cas, la loi du Pozzo, également dictée par un salary cap, est encore plus simple : la star en devenir est vendue au plus offrant. C’est ainsi qu’un Felipe, découvert sur une plage au Brésil, rejoindra la Fiorentina contre 9 millions d’euros, ou qu’Alexis Sánchez, déniché au Chili, terminera au Barça contre plus de 30. Les cas sont nombreux, des cadres partent à chaque mercato estival. Mais durant cette même période, d’autres jeunes débarquent. Et ainsi de suite. « Prenez Samir Handanović (ancien gardien de l’Udinese, parti l’été dernier à l’Inter contre un chèque de 14 millions d’euros, ndlr). Nous savions qu’il allait partir, alors deux ans avant que cela n’arrive, nous avons signé son remplaçant. Quand Handanović est parti, ce dernier a intégré l’équipe. C’est pour cela que nous minimisons l’impact des départs. Nous signons les joueurs longtemps avant d’avoir besoin d’eux. »
Mais où est l’intérêt de cumuler les clubs, dans ce cas ? Gino Pozzo continue : « Notre système repose sur l’achat de nombreux joueurs, et l’Udinese ne peut en compter que 24 ou 25 par saison. C’est là que Watford et Grenade peuvent en bénéficier : nous pouvons leur prêter de meilleurs joueurs que ceux qu’ils pourraient avoir. » Refiler de jeunes talents ou joueurs en perte de vitesse à un autre de ses clubs, vrai que c’est avantageux. Cela permet à tout ce bon monde de jouer, d’expérimenter de nouveaux championnats, tout en pouvant faire grimper la valeur marchande. D’autant que, dans l’hypothèse où l’une de ces équipes serait à la ramasse en championnat, elle pourrait être renforcée considérablement durant le mercato hivernal, via un bon nombre de prêts… En tout cas, si le but du jeu est de revendre les talents pour permettre au système de perdurer, les Pozzo se défendent de décrire l’Udinese comme une sorte de « maison mère » . De celle qui utiliserait ses succursales pour révéler ses acquisitions, avant de les rapatrier dans le Frioul : « Pas de malentendus, ce sont des clubs à part entière, des projets indépendants. Watford et Grenade ne sont pas des filiales de l’Udinese. Ils peuvent profiter du lien et en suivre le modèle, en revanche. » Implanter leur système tout en conservant les valeurs propres aux différents clubs, voilà le but avoué des Pozzo.
Business rentable, dans tous les sens du terme
« Ce n’est pas du business pour nous. Nous ne voyons pas le football comme du business, c’est une passion. » Ils ont beau s’en défendre, les faits sont là. Les achats de clubs sont bien vite rentabilisés (Watford a coûté 17 millions d’euros, à peine plus cher qu’un Handanović…), les revenus générés par la revente de joueurs énormes. Mais ce que l’on peut constater, c’est que les résultats sportifs suivent également : à la prise de fonction des Pozzo en 1986, l’Udinese était au bord de la Serie C. Aujourd’hui, elle se qualifie très régulièrement pour les compétitions continentales, et reste LE club emmerdeur du haut de tableau de Serie A. Même topo pour Grenade, qui végétait en troisième division en 2009, et qui, avec les prêts de nombreux joueurs frioulans, a pu monter deux fois d’affilée pour retrouver l’élite espagnole et s’y maintenir. Le petit dernier de la famille, Watford, suit les traces de ses aînés. Le club est actuellement 4e de Championship sous la houlette de coach Gianfranco Zola, et se positionne déjà en prétendant pour la montée en Premier League. Au sein du club anglais, évoluent cette saison 12 joueurs en provenance des deux « frères » , dont une révélation, Matej Vydra, jeune attaquant tchèque de 20 ans, élu joueur du mois de janvier en championnat. En gros, tout va bien, sur tous les fronts. Et Grenade et Watford devraient s’attendre à encore mieux, dans les années à venir. Car voilà la devise d’un Pozzo : « C’est la longévité, la clé du succès. »
Par Alexandre Pauwels