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Grégory Thil : « Je bois beaucoup, beaucoup d’eau »
À 39 ans, Grégory Thil n’a pas encore rangé les crampons. L’ancien capitaine et buteur emblématique de l’US Boulogne joue numéro 10 au Racing Besançon, en National 3. Entretien foot amateur et plaisir.
Quels sont tes premiers souvenirs de foot du dimanche ?Je me souviens d’un match à l’extérieur en moins de treize avec Balagny-sur-Thérain (Oise), mon premier club. On avait perdu une voiture sur le trajet et on s’était retrouvés à huit sur le terrain. Un parent s’est complètement paumé. Il n’y avait pas de téléphone. Heureusement qu’il y avait quand même le compte pour ne pas annuler le match.
Finalement, on gagne 4-0 et je mets les quatre buts… Et puis, j’ai joué avec mon père ! J’avais dix-sept ans, lui une bonne quarantaine. Il jouait ailier gauche. Même à 45 ans, il prenait de vitesse les petits jeunes. J’ai fait une mi-temps avec lui, il me semble qu’il m’avait même fait une passe décisive. (Rires.)
Quel rôle a joué ton père dans ton parcours ?C’est lui qui m’a transmis la passion. Le dimanche, après le déjeuner à la maison, il m’emmenait dans ses bagages pour le match de 15h. Nous, les gamins, on ne regardait pas vraiment le match des seniors, on préférait jouer sur les terrains annexes.
À quinze ans, tu t’imaginais faire carrière dans le foot ?Non, absolument pas ! Je me voyais devenir prof’ de sport. Même en moins de dix-sept. Même à vingt ans, je ne m’imaginais pas faire une carrière pro !
Pourquoi tu as réalisé aussi tard que tu pouvais faire carrière dans le foot ?Parce que je jouais dans des niveaux improbables ! À 18 ans, je joue dans un club de village en promotion de première division de district. À 20 ans, je joue en DH. En jeune, je n’ai jamais connu le niveau régional. Le monde pro, c’était à des années-lumière !
Je signe mon premier contrat pro avec Beauvais en août 2001, à 21 ans, alors qu’en juin, je jouais encore en DH à Mouy. En deux mois, tu passes du club amateur typique à l’ASBO, le club phare du département qui jouait en Ligue 2 (Division 2, à l’époque, N.D.L.R.). Lors de ma première saison, je n’ai pas joué beaucoup, mais j’ai marqué le but le plus rapide du championnat. On a même failli monter en L1 ! (En 2001-2002, Beauvais termine 7e, à un point du MUC, 5e, et à huit points du HAC, 4e et promu, N.D.L.R.)
En quoi ton parcours amateur a été bénéfique ou au contraire une faiblesse quand tu as débarqué au plus haut niveau ?En ayant vécu aussi longtemps dans le monde amateur, tu as des lacunes que tu mets longtemps à effacer dans l’analyse tactique, la gestion des émotions… Ça prend du temps d’emmagasiner tout ça. Le positif, c’est que j’ai toujours eu conscience que je faisais un métier formidable et qu’il fallait tout faire pour le prolonger le plus longtemps possible. C’est aussi pour cela que je dure encore. Parce que c’est fabuleux. Quand tu fais des efforts en préparation physique, c’est dur, OK, mais c’est relatif par rapport à un mec qui va faire les trois-huit et porter des sacs de sable.
Avant de rejoindre Boulogne-sur-Mer, tu vivais des allocations chômage…Je suis vite monté et vite redescendu. Mon premier contrat pro, je gagnais 12 000 francs. Après, je prolonge d’une année, je touchais 15 000 francs, déjà, je trouvais ça fabuleux. Puis, je prolonge encore de trois ans et je gagne 40 000 francs ! Le problème, c’est qu’on est descendu deux saisons de suite et mon contrat est devenu caduc.
Le club vient de perdre son statut pro et tu te retrouves sans contrat professionnel, donc au chômage. Et là, ce n’est pas simple, parce que tu n’as encore rien prouvé. Je faisais des essais à droite, à gauche. J’ai failli signer à Compiègne en CFA 2 – j’aurais quasiment dit adieu à une carrière pro. Ma chance, c’est de me relancer à Beauvais en CFA (16 buts marqués en 24 matchs, N.D.L.R.).
À l’issue de cette saison, tu signes à l’été 2005 à Boulogne-sur-Mer. Tu montes du National en Ligue 2, puis en Ligue 1, en 2009. Est-ce que tu considères que tu as complètement réalisé ton rêve en jouant en Ligue 1 ?Ma blessure contre Valenciennes, c’est un gros regret. J’étais en pleine ascension, j’étais mature. C’est dommage. J’aurais aimé vivre une saison pleine à Boulogne en Ligue 1 pour voir ce que ça aurait donné. (Blessé à la cheville lors d’un derby face à Valenciennes au mois de septembre, le buteur et capitaine est revenu à la compétition trop tard pour empêcher la relégation de Boulogne à l’issue de la saison 2009-2010, N.D.L.R.)
Tu as 39 ans. Après une saison à Jura Sud, en National 2, tu as signé cet été au Racing Besançon, en National 3. Qu’est-ce qui t’anime encore à un âge où la plupart de tes anciens collègues ont déjà pris leur retraite ?Le plaisir de jouer au foot. Au quotidien, la passion, c’est l’envie de se dépasser. Plus tu vieillis, plus tu as besoin de faire des efforts pour t’entretenir physiquement. Moi, même en vacances, je suis actif. Je cours, je joue au foot, au tennis.
Où est-ce que je suis parti cet été ? En Sicile, dans les Caraïbes et dans le Sud de la France. Parce qu’on a plus de congés dans le foot amateur que dans le foot pro. (Rires.)
Sur les terrains de N3, ça t’arrive de croiser des têtes connues de Ligue 1/Ligue 2 ?J’ai joué avec Lionel Bah à Boulogne, et aujourd’hui, il est coach à Saint-Priest, en N2. On s’est croisés l’an dernier. C’est un petit monde, mais il y a une différence d’âge avec les joueurs actuels.
Qu’est-ce qui a changé dans le monde amateur par rapport à ce que tu as connu il y a 20 ans ?Beaucoup de clubs amateurs fonctionnent désormais comme des clubs pros. L’an dernier, à Jura Sud, en National 2, on s’entraînait tous les matins. Tu as un contrat fédéral, tu ne te consacres qu’au foot. De toute façon, ce n’est pas compatible d’avoir un autre boulot à côté. Ceux qui travaillent en plus sont éducateurs au club.
Tu gagnais combien à Jura Sud ?
La moyenne salariale, c’est grosso modo 2 000 euros. Et il y a des clubs qui offrent des revenus bien plus importants. T’as des joueurs en National 2 qui gagnent 5 000 euros !
Si tu t’entraînes tous les matins, forcément, tu ne vas pas descendre des bières tous les soirs…Je ne le fais pas, ça ! Je bois beaucoup, beaucoup d’eau. Je leur dis aux gamins : « Mon secret, c’est de ne pas boire de sodas. » Il y aura toujours des moments dans la saison où tu pourras faire la fête, mais pas la veille d’un match. Ce qui est traître, c’est que quand tu fais des excès, ton corps ne te le fait pas ressentir tout de suite. Mais, après, les blessures musculaires arrivent, tu prends du poids… À 18 ans, je ne sortais pas la veille des matchs comme tous mes potes. C’est comme ça que je concevais le sport. Même, en évoluant dans le milieu amateur, j’avais une mentalité professionnelle.
Pourquoi tu aimes toujours autant le foot ?Ça a toujours été comme ça dans ma vie. Quand j’avais quatre ans, je suivais déjà mon père sur les terrains. De 6 à 18 ans, je jouais dans un petit club de district. Aujourd’hui, je retrouve de la fraîcheur dans le monde amateur.
Tu prends le même plaisir à jouer un Rochefort Amange-Racing Besançon qu’un match de Ligue 1 devant 40 000 personnes avec Dijon ?Ce qui me manque le plus, c’est ça : les supporters et la qualité des pelouses. Tu vois, il y a deux semaines, on est allé jouer à Jura Dolois, ils ont un nouveau terrain hybride, j’étais super content. C’est con, hein, mais j’avais un surplus de motivation.
Tu joues toujours attaquant ?Je suis numéro 10. J’ai toujours eu un profil de milieu de terrain, finalement. Jamais très explosif, mais endurant, avec une bonne vision du jeu. J’adore faire des passes. Mais j’étais adroit devant le but, donc j’ai fait carrière comme attaquant.
Un jour, comme ton père, tu joueras avec ton fils en match officiel ?Il est passionné, mais ça va être dur : Alessandro, il n’a que quatre ans et demi. (Rires.)
Le prénom, c’est en référence à Nesta ou Del Piero ?Non, même pas… La maman est d’origine italienne.
Pour le plaisir, tu peux nous raconter – encore une fois(1) – l’anecdote d’Ibiza 2009… On devait être en mars. On venait de gagner un match important pour la montée en Ligue 1 avec Boulogne, mais on n’avait pas le droit à l’erreur si on voulait finir dans les trois premiers. Dans l’avion du retour, je dis à l’équipe que si on monte en Ligue 1, je les emmène à Ibiza ! Et j’ai tenu parole. Je me souviens avoir bataillé avec certaines femmes de joueurs. (Rires.)
On était une bonne douzaine qui partait une petite semaine. J’avais réservé les chambres d’hôtel à Ibiza. Le soir, on allait manger en ville, et la nuit, on partait s’amuser. Cela nous a tellement plu, qu’on est revenu en France et on y est retourné deux jours plus tard avec ceux qui n’avaient pas pu venir la première fois !
Pendant ces vacances, un soir, en boîte, tu tombes sur Steven Gerrard.C’est magique : j’ai rencontré mon idole ! On était à côté de lui et ses potes dans l’espace VIP de la boîte. Je l’ai vu, direct, je suis allé l’aborder. J’avais un peu bu, donc je trouvais le vocabulaire facilement en anglais. Je lui ai expliqué que c’était mon idole – j’avais fait le parallèle Boulogne/Liverpool : deux villes ouvrières au bord de la mer. Il a été super sympa, il est venu me dire au revoir en partant. J’en ai gardé une belle photo souvenir. Elle est dans un cadre chez moi… Bon, j’ai pas l’air très frais sur la photo. (Rires.) Un jour, j’irai à Anfield sur les pas de Steven Gerrard.
Propos recueillis par Florian Lefèvre
(1) cf : SO FOOT #155 - numéro spécial écrit par les joueurs.