- Rétro
- SC Bastia
Greg Vanney, un Américain à Bastia
Pour la troisième fois en quatre ans, Greg Vanney va disputer ce dimanche une finale de MLS avec Toronto. Sur son CV de joueur, une ligne interpelle entre Los Angeles Galaxy et FC Dallas : trois saisons au SC Bastia. Récit d’une aventure américaine en Corse.
Au mercato hivernal de la saison 2001-2002, le Sporting Club de Bastia obtient trois renforts improbables. Il y a le Croate Danijel Popović, prêté par le Vukovar ’91. L’attaquant disputera seulement un match, il rentre au pays à la fin de la saison et décède tragiquement dans un accident de la route quelques semaines plus tard, à l’âge de 20 ans. La deuxième recrue est un autre attaquant : Ishmael Addo ; fait d’armes : meilleur buteur de la Coupe du monde des moins de 17 ans 1999. Mais le Ghanéen n’apparaîtra qu’à deux reprises avec Bastia. Encore un fiasco. La troisième recrue ? Greg Vanney, un latéral gauche, qui arrive en provenance de Los Angeles. L’Américain va rester trois ans en Corse, où il jouera une soixantaine de matchs de Ligue 1 avec le Sporting. Pas mal pour un mec qui venait d’un championnat de soccer ultra mineur à l’époque.
« Putain, je me souviens pas ! Je sais même plus à quel poste il jouait. Ça fait un paillon, hein ! » Robert Nouzaret a la mémoire qui flanche, pourtant, c’est bien lui l’entraîneur du SCB quand le natif de South Boston, Virginie, débarque en janvier 2002. Il faut dire que Vanney est du genre à se fondre dans le décor. « Il ne faisait pas de vagues, il était ponctuel aux entraînements, c’est pour ça que le coach ne s’en souvient pas » , expose Ali Boumnijel, qui a partagé le vestiaire bastiais avec Vanney pendant un an et demi. Au-delà de la personnalité discrète du bonhomme, c’est surtout la barrière de la langue qui bloquait les échanges lors des premiers mois.
Lost in translation
Tony Vairelles, qui l’avait à la bonne, rembobine : « Il n’y avait pas d’interprète, alors t’essayais de baragouiner trois mots, mais quand t’es nul en anglais, t’oses pas de peur d’avoir l’air bête. Pourtant, j’aurais adoré parler du championnat américain avec lui. » Un dîner chez Vanney et sa femme ? Vairelles se marre. « T’imagines la soirée ? Après « good morning« , j’aurais été dans la merde. » Un petit-déjeuner, à la limite, alors…
Sur le terrain, en revanche, l’Américain n’a pas de soucis pour se faire comprendre. Il remplace Christophe Deguerville, blessé, au poste de latéral gauche. « C’était un joueur dur à l’impact sans être méchant, plutôt intelligent, discipliné tactiquement, très rigoureux dans tous les sens du terme » , expose Laurent Vincensini, journaliste pour France 3 Corse ViaStella, qui suivait déjà le Sporting à l’époque. Revenu cet été au SCB, en National 2, Chaouki Ben Saada a côtoyé Vanney au début de sa carrière. Et il n’a pas oublié les coups francs du gauche de l’Américain à l’entraînement : « Il pouvait en mettre cinq d’affilée. Ça partait fort, c’était précis, en lucarne ! » Mais pas de trace de roquettes qui finissent au fond en match.
La finale de la Coupe France en tribune et les longueurs entre les arbres
Quelques semaines seulement après son arrivée en Corse, Vanney fait connaissance avec la ferveur corsa un soir de Bastia-Sedan. Les supporters portent en triomphe Tony Vairelles sur la pelouse : dix ans après le drame de Furiani, le SC Bastia est qualifié pour la finale de la Coupe de France 2002. Mais Vanney ne verra que les tribunes du Stade de France. Après avoir joué le huitième, le quart et la demi-finale, il n’est pas retenu dans le groupe à la dernière minute. La semaine précédant la finale, Nouzaret a emmené 20 joueurs au domaine de Chantilly (Oise). Seuls 18 peuvent être alignés sur la feuille de match. Ce sera sans Vanney et sans l’Argentin Manso. « Quand il a appris ça, Greg est allé courir. Il se faisait des longueurs entre les arbres, il devait être tellement dégoûté » , rembobine Vairelles, qui a vu la scène depuis sa chambre du château, avec de la peine et un peu d’admiration pour son coéquipier. « Il est resté vachement digne, le mec ne dit rien, il évacue sa frustration. Il venait de si loin ! » Annoncés favoris face à des Lorientais déjà relégués en Ligue 2, les Bastiais passent à côté de leur finale et s’inclinent 1-0 sur un but de Darcheville venu du côté gauche de la défense. Ironiquement.
Pas de finale, pas de Mondial
Pour l’international US, la plus grosse déception reste à venir. Retenu comme réserviste avec la sélection américaine en vue de la Coupe du monde, il est rappelé pour suppléer un coéquipier blessé, avant de se blesser à son tour lors du stage de préparation à Boston. Verdict : entorse de la cheville. Vanney ne verra pas la Corée du Sud et le Japon.
Retour à Bastia, où Gérard Gili a succédé à Robert Nouzaret. Vanney joue par intermittence. Ni très bon, ni mauvais, il laisse une trace « neutre » à son coach, qui évoque « un homme tranquille, assez effacé » . En dehors des entraînements, c’est un type plutôt casanier. Et, quand il sort en ville, l’Américain se balade avec son gros chien à l’arrière de son 4×4. Il fait aussi de la concurrence au VidéoFutur : « Greg, c’était mon livreur de DVDs. Le film qu’il m’a passé que j’avais adoré, c’était Mo’ Money avec Damon Wayans. Ça me permettait d’apprendre l’anglais » , sourit Frédéric Mendy, qui évoluait à ses côtés en défense.
« Sa bouffe pourrie lui manquait »
Mendy et Vanney déjeunent souvent ensemble. Au menu : des spécialités italiennes Chez Claudius ou mexicaines au Café WHA ! Mais en bon Américain, Vanney préfère les hamburgers. « Sa bouffe pourrie lui manquait » , chambre Frédéric Mendy. Justement, il ne va pas tarder à rentrer. La saison 2004-2005 est celle de la descente en Ligue 2 pour le Sporting. Trois ans après son arrivée à Bastia, Vanney retourne en MLS, en janvier 2005. Direction le FC Dallas, avant de poursuivre sa carrière entre Colorado Rapids, D.C. United et un point final à Los Angeles. La MLS, il la gagnera en tant que manager avec Toronto, en 2017, et compte remettre le couvert cette année. Alors, à quand un retour à Bastia de Vanney, l’entraîneur ?
Par Florian Lefèvre
tous propos recueillis par FL