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Greg Frite : « Le foot était peut-être un sport trop lent pour le rap »
Il est un bon tiers de Triptik, mythique formation tenant d'un rap fun et positif. Il est aussi le maître Capello des Gros mots, gros délires visuels et d'exégèse argotique, ainsi qu'un artiste solo à l'occasion. Black boul', aka Greg Frite, a le sens de la formule et aime y mettre la forme. Discussion avec un esthète du hip-hop qui se pose plus qu'il ne prend la pose.
Avec Les Gros Mots, tu dissèques les « hypes » du vocabulaire d’aujourd’hui (swagg, boloss, etc..). Dans le cas du foot, quelle expression pourrait te servir de prochaine victime ? « Zlataner » sans conteste. Comment passer à coté franchement. Tout le monde veut zlataner, j’entends plus que cela, quelle que soit la direction où je porte mon oreille. Cela déborde dans tous les sens et tous les domaines. J’ai toujours trouvé passionnant d’observer comment ce genre de néologisme urbain apparaît, se vulgarise et se banalise. En 2010, le temps d’un Mondial, tout le monde n’avait que le mot « vuvuzela » sur la bouche. Et maintenant, qui l’emploie encore ? Les mots naissent et meurent aussi. C’est le sens de mon travail dans les Gros mots, je recense, j’explique et j’archive.
Les soirées Can I Kick it, c’est une référence au foot ou bien juste un hommage au meilleur morceau des À tribe called quest ? C’était simplement le reflet d’une envie. C’est Dabaaze qui a trouvé le slogan. La seule idée en commun avec le foot, c’est la volonté de travailler en équipe, autour d’un certain état d’esprit dans le rap qui revient aujourd’hui, quelque chose de plus musical, artistique, moins obsédé par la street cred. Après niveau ballon rond, on a eu Flynt, à Paris au Bataclan. Finalement, je ne suis que moyennement le foot. Je ne regarde vraiment que la Coupe du monde et la Champions League. Contrairement à ce que pensent beaucoup qui critiquent facilement, j’aime quand des grosses équipes arrivent – comme actuellement celle du PSG – et qui remettent du rêve sur le terrain. Moi, les affaires de mœurs autour des joueurs ne m’intéressent pas, ce n’est pas mon trip. Je ne me reconnais pas dans le délire bling bling, dans le rap comme dans le foot. Je préfère promouvoir une esthétique. C’est subjectif forcément, c’est mon goût. Après je respecte des gars comme Booba qui possède un vrai sens de la punchline, qui ont bossé comme des charbonniers pour en arriver où ils en sont. C’est juste pas mon délire.
Toi qui semble attacher tant d’importance au style et aux fringues, comment t’expliques-tu que les joueurs soient si mal habillés ?Il ne faut pas généraliser. Je pense que tu trouves chez les footeux autant de bon style que de mauvais. Quelqu’un comme Samuel Eto’o m’a toujours semblé aussi classe sur le terrain qu’en dehors. Et évidemment, David Beckham a parfaitement su capitaliser sa notoriété là-dessus justement. Après, pour abonder dans ce sens, tu peux toujours avancer que les joueurs souffrent peut-être souvent du complexe du nouveau riche. Ce que je veux dire, c’est qu’ils gagnent beaucoup d’argent de plus en plus jeune. Et après ils vont peut-être au plus cher, au plus clinquant, pas forcément au plus sûr en matière de goût. Un peu comme de posséder une belle BM, mais rien de ce qui va avec quand tu rentres chez toi.
Justement ce coté bling-bling, n’est-ce pas quelque chose qui rapproche les rappeurs des footeux ?Certes, tu peux voir Booba à coté de Benzema, mais cela ne va plus loin. Je ne sais pas trop comment l’expliquer. Le rap français reste d’abord dans la zone de gravité des States, les réseaux et le feeling penchent plutôt vers la connexion basket, voire, aujourd’hui, tout ce qui tourne autour du MMA. En fait, il est presque possible d’établir une sorte d’analogie. Tout comme il s’est avéré dur pour nous de faire swinguer la langue française, avec beaucoup de termes quadriphoniques, alors que l’anglais fonctionne avec davantage de mots en deux sons, donc plus rapide. Peut-être que le foot se révélait un sport trop lent pour la culture hip-hop, contrairement au basket. Il y avait une inadéquation de tempo tant sur le plan sportif que linguistique. Heureusement aujourd’hui, nous y arrivons bien mieux. Plein de jeunes parviennent très bien à couler la langue de Molière dans le flow du rap. C’est déjà cela de gagné.
Avec Triptik, tu as sorti un titre très « générationnel » appellé Papa sur les nouveaux daddys trentenaires post-hip-hop. Si ton fils désire faire carrière dans le ballon rond, tu réagirais comment ? J’ai essayé, mais il n’a pas trop accroché. Après s’il désire se lancer dan cette aventure, qu’il en ressent l’envie, je ne vais pas y mettre de véto. Trop de gens vivent sans passion, il ne faut pas brider les rêves de tes gosses. Je veux juste son épanouissement. Ce qui prime, c’est l’intégrité dans ce que tu fais, que cela te corresponde.
Propos recueillis par Nicolas Ksiss-Martov