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Grèce : Alkis Kambanos, mort pour rien
Un jeune homme de 19 ans a été tabassé à mort par des hooligans du PAOK dans les rues de Thessalonique, deuxième ville de Grèce. Son tort ? Supporter le club rival de l’Aris FC.
« S’il vous plaît, arrêtez de me frapper. » Les derniers mots d’Alkis Kambanos résonnent encore dans les rues de Thessalonique, où le jeune homme de 19 ans a été lynché à mort par un groupe de hooligans dans la nuit de lundi à mardi 1er février. Qu’ils hantent à jamais ses agresseurs et les responsables d’un football grec rongé par la haine et la violence et qui continue de creuser sa tombe.
Couteaux, barres de fer, pelles et fourches
Dans la nuit de lundi à mardi, un groupe d’individus est descendu de deux voitures, a approché les jeunes victimes, âgées de 19 et 20 ans, aux abords du stade de l’Aris, et « les a agressés avec des objets pointus » après leur avoir « demandé quelle équipe ils soutenaient », d’après les premiers éléments de l’enquête. Selon la même source, Alkis Kambanos a été poignardé à la cuisse et est décédé des suites de ses blessures, alors que les deux autres ont été légèrement blessés et hospitalisés. Au moins six agresseurs ont pour l’heure été identifiés. Un homme de 23 ans, membre d’un groupe de supporters du PAOK et connu des services de police pour des faits d’arme similaires, est accusé du meurtre. Selon plusieurs médias grecs, il avait notamment participé aux affrontements d’une violence inouïe entre hooligans du PAOK et de l’AEK lors de la finale de coupe en 2017.
Les descentes de police dans les locaux de groupes de supporters de Thessalonique se sont multipliées ces derniers jours. Casques de motos, couteaux, barres de fer, pelles et fourches ont été saisis.
À la tristesse du communiqué de la Fédération grecque de football se mêle l’indécence d’avoir maintenu les matchs de championnats prévus les jours suivants. Show must go on, même vidé de sa substance et de son intérêt. Vingt-quatre heures après le meurtre, l’Aris accueillait l’AEK Athènes, à quelques centaines de mètres du lieu où le jeune supporter a été poignardé. Minute de silence, photos en noir et blanc et banderole ont constitué le fébrile hommage d’un milieu gangréné. « Ton sourire ne s’éteindra jamais, et on te donne notre parole qu’on marchera fièrement dans les rues de cette ville, on marchera fièrement dans les rues de Charilaou, et quiconque nous demande, aussi nombreux soient-ils, quoi qu’ils tiennent dans leurs mains, on répondra toujours qu’on supporte l’Aris », a exprimé le principal groupe de supporters de l’Aris, Super 3.
De son côté, l’association des supporters du PAOK a appelé à « un changement profond dans la rivalité entre supporters, pour que plus jamais une mère en Grèce ne doive pleurer son enfant ». L’Iraklis, troisième club de Thessalonique, a quant à lui changé son logo aux couleurs jaune et noir de l’Aris. Plusieurs groupes de supporters et de personnalités à travers le pays ont rendu hommage au jeune homme décédé, exprimant leur tristesse et leur ras-le-bol.
Un meurtre qui s’ajoute à une liste macabre
Le meurtre d’Alkis n’a malheureusement rien d’un acte isolé. Arbitre agressé à Rafina, affrontements à Perama, bagarres à Kerkyra… Les dernières semaines ont été marquées par de multiples incidents aux abords des stades grecs et s’ajoutent à l’interminable liste de violences liées au football depuis plus de dix ans. Écrire sur le football grec ne se résume plus qu’à des affaires de bagarres et de tribunaux, d’agents véreux et de dirigeants corrompus. L’université de Thessalonique publiait récemment une étude révélant qu’un joueur sur trois dans le championnat pensait avoir déjà participé à un match truqué. Le désintérêt croissant des amoureux du ballon rond s’accompagne d’une radicalisation de la minorité assoiffée de violence, s’appropriant le terrain sous le regard complice de dirigeants accrochés au pouvoir.
En miroir de la société, le football en Grèce reflète l’état d’un pays biberonné au virilisme, où les petits arrangements et la loi du plus fort font partie intégrante des codes sociaux. Un pays qui ne sait pas quoi faire de sa jeunesse désœuvrée dont le taux de chômage atteint 31%, record en Europe.
Dans un entretien accordé à So Foot en mai 2018, le ministre des Sports de l’époque Giorgos Vassiliadis établissait le constat suivant : « Il faut comprendre la violence comme un phénomène social qui dépasse le cadre du football. Dans un pays qui se trouve depuis dix ans en récession, de facto vont se développer des réactions violentes. Et celles-ci s’expriment par les supporters, où les conditions sont réunies, où s’exerce une manipulation par des acteurs économiques qui s’intéressent au football comme produit et non comme sport. » Trois ans, un changement de gouvernement et trois présidents de Fédération plus tard, le football grec continue de couler. L’exemple donné par les institutions et les dirigeants du pays crée les conditions favorables à une agressivité permanente. La violence banalisée s’exprime dans toutes les sphères de la société, des stades de foot aux sièges du parlement. À Thessalonique, l’actualité des derniers mois a été marquée par des attaques répétées de groupuscules d’extrême droite dans des établissements scolaires et par le viol collectif d’une jeune femme de 24 ans dans un hôtel huppé de la ville. Le meurtre d’Alkis s’ajoute à cette liste macabre. À la demande de son père, un match amical en hommage au jeune homme devrait être organisé entre l’Aris et le PAOK dans les prochaines semaines. Une goutte d’eau dans un puits sans fond. Car si « l’espoir meurt toujours en dernier » selon l’adage grec, il s’est aujourd’hui éteint avec Alkis Kambanos.
Par Alexandros Kottis, à Athènes