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Grandeur et décadence d’Anatoliy Tymoshchuk
Il était un milieu défensif de renom, ayant arboré et défendu le Tryzub ukrainien aux quatre coins de l'Europe durant seize ans, en plus d'avoir tout gagné en club. Sourd et muet depuis le début de l'invasion russe, Anatoliy Tymoshchuk est devenu un ilote en Ukraine, celui dont on ne prononce le nom que pour lui cracher au visage. Déchu de ses lettres de noblesse, « Tymo » aurait même pensé sa reconversion en intégrant un nid d'espions.
« Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants », nous disait Jean Cocteau. Anatoliy Tymoshchuk n’y aura sans doute pas droit, le jour de son ultime soupir. Recordman d’apparitions avec le maillot de la Zbirna (144), loin devant son (ex ?) ami Andriy Shevchenko (111) ou encore Andriy Yarmolenko (106), l’ancien élégant milieu du Bayern Munich n’existe plus, depuis ce vendredi 11 mars, dans les livres d’histoire du football ukrainien. Un statut de persona non grata que le vainqueur de la Ligue des champions 2013 doit à un assourdissant silence radio de 13 jours, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie dans la matinée du 24 février, jusqu’à ce post Instagram simpliste, du 9 mars. Durant ce laps de temps, aucune condamnation explicite de « l’opération spéciale » , aucun appel à fermer le ciel aux bombardiers barrés d’un Z, et encore moins une envie d’emboîter le pas au tennisman Serhiy Stakhovsky, jeune retraité enrôlé dans la Force de défense territoriale comme bon nombre d’anciens sportifs de renom. Non, aux yeux des Ukrainiens, Anatoliy Tymoshchuk (42 ans) s’accroche à son chèque et à son poste d’entraîneur adjoint au Zénith Saint-Pétersbourg, et mérite d’être jeté dans la fosse de l’oubli. Mais comment le natif de Lutsk, près de la frontière polonaise et à l’opposé de la sphère d’influence du Kremlin, a-t-il pu en arriver là ?
De Hall of Famer à paria
« Nous avons besoin de la PAIX. Pour le bien de nos enfants et de nos parents, pour le bien de la vie sur Terre », publiait finalement et sobrement Tymoshchuk sur son compte Instagram, en se gardant bien de faire une quelconque allusion à la Russie et à Vladimir Poutine. Quelques heures plus tôt, la Fédération ukrainienne de football (UAF) avait pour la première fois communiqué sur sa volonté de retirer tous les titres collectifs et distinctions individuelles glanés par « Tymo » , entre 1998 et 2013, sur le sol ukrainien. Une décision mûrie faisant office de consensus, et désormais officielle, qui semblait pendre au nez de l’ancien capitaine de la sélection frappée du Tryzub, définitivement exilé en Russie depuis cinq longues années. Joueur du Zénith entre 2007 et 2009, puis entre 2013 et 2015, avec lequel il a notamment triomphé en Coupe de l’UEFA et en Supercoupe d’Europe, Anatoliy Tymoshchuk a gardé des atomes crochus avec le phare de Gazprom (et du maître du Kremlin, par extension).
Au point d’y accepter un rôle d’assistant, en mars 2017. Bras droit de Mircea Lucescu, Roberto Mancini puis Sergey Semak, le soyeux blondinet entre pour de bon dans le collimateur d’un pays tout entier, qui l’a pourtant adulé au Mondial 2006 ou à l’Euro 2012, disputé à domicile. Et pour cause, cet énième retour dans l’ancienne capitale impériale intervient alors que la guerre entre l’Ukraine et les séparatistes prorusses, soutenus par son employeur, fait rage. Dès lors, plus un mot pour froisser le géant gazier. Son silence – déjà – en fait un complice pour l’opinion publique de l’autre côté de la frontière, et son indifférence au sort de la Crimée et du Donbass demeure incomprise. « Depuis sa retraite internationale en 2016, c’est comme si l’Ukraine n’existait plus pour lui. Le sentiment général qui prédomine, c’est que Tymoshchuk est un traître qui s’est accommodé à la vie de pacha en Russie, où il a d’ailleurs ouvert des restaurants de kebab et des galeries d’art, en plus d’exercer ses fonctions au Zénith », relate Andrew Todos, journaliste sportif anglais d’origine ukrainienne, fondateur du média Zorya Londonsk. Contrairement à son ex-coéquipier Andriy Voronin et à un autre élément pourtant très controversé, Yaroslav Rakitskiy, Anatoliy Tymoshchuk a donc choisi de rester en Russie et d’y couler des jours heureux, tout en affirmant aux médias locaux que « la guerre en cours est une tragédie pour toutes les parties impliquées dans le conflit ». Et si cette neutralité en apparence voulue n’était qu’une façade ?
« Tymo » agent du FSB, vraiment ?
Impliqué dans une affaire de fraude et d’évasion fiscale en juillet 2019, celui qui aurait pu voir son numéro 4 retiré pour services rendus à la nation sur la scène sportive, a accumulé les casseroles judiciaires ces derniers temps. La dernière en date, un refus catégorique de payer la pension alimentaire à son ex-femme, pour ses enfants, à cause… des sanctions économiques imposées à la Russie. Nadia Navrotska, la principale intéressée, n’a pas tardé à faire de Tymoshchuk un « lécheur de culs russes » et « une prostituée payant ses taxes auprès des vampires », avant de lui souhaiter de « rêver des enfants qui meurent en ce moment, jusqu’à la fin de ses jours ».
Fraîchement banni du Hall of Fame Viktor Leonenko, le temple mémoriel du football ukrainien, et dépossédé du titre de citoyen d’honneur de sa ville de Lutsk, « Tymo » n’en a pas pour autant fini avec sa descente aux enfers, puisqu’il doit faire face à l’accusation ultime pour un citoyen ukrainien. Ce jeudi, Vitaliy Yurchenko, l’ancien secrétaire personnel d’Anatoliy Tymoshchuk, a dévoilé des documents sur lesquels il est possible de lire noir sur blanc : « Moi, Anatoliy Tymoshchuk, ayant rejoint le ministère de l’Intérieur, je jure fidélité à la Fédération de Russie. Je jure d’exécuter fidèlement les ordres de mes supérieurs et de mener à bien les tâches qui me seront confiées. Je jure d’être un agent honnête, courageux et vigilant, et de garder les secrets d’État. » En clair, même s’il faut raison garder pour l’instant, Tymoshchuk serait depuis déjà dix ans un agent du FSB, le successeur du KGB, place Lubyanka. Datant de 2012, ces documents compromettants, d’après le journaliste d’investigation Kostyantin Andriyuk, portent plusieurs fois le cachet officiel de Moscou, avec l’aigle bicéphale, ainsi que les armoiries des services de renseignement. L’écriture originale et la véracité des signatures restent à confirmer par les analystes, ce qui fait que l’interprétation personnelle de chacun prévaut pour le moment. Nouvelle cible des missiles et des tirs de mortier, Lutsk est en train de servir de témoin vivant : la guerre arrive fort à l’ouest également. Sa personnalité la plus célèbre aurait pu a minima combattre la désinformation, elle n’a désormais plus le droit de cité en Ukraine et trône, empaillée, au rang des idoles déchues.
Par Alexandre Lazar
Propos d'Andrew Todos recueillis par AL.