- International
Grand bazar à Madagascar
À l’été 2019, la belle histoire de la CAN s’appelait Madagascar. Parvenus à se hisser en quarts de finale pour leur première participation au tournoi continental, les Barea avaient fait souffler un vent de fierté et d’espoir sur l’île rouge. Une parenthèse enchantée de courte durée, car le foot malgache traverse actuellement une zone de fortes turbulences. Et si les résultats de la sélection sont en chute libre, c’est sans doute en partie à cause de l’instabilité qui gangrène la fédération. Entre un président emprisonné à l’étranger, un sélectionneur suspendu qui fait son retour en tant que DTN et l’apparition d’une... deuxième page Facebook, plongée dans un déroutant feuilleton.
À l’été 2019, qui n’a pas vibré en suivant l’aventure de Madagascar lors de la CAN ? Novices à ce niveau, les Barea avaient égayé l’édition égyptienne en s’offrant le luxe de sortir en tête de leur poule, avant de se payer la République démocratique du Congo en huitièmes de finale (2-2 ap, 4-2 aux TAB). Tombés avec les honneurs contre la Tunisie (3-0), les partenaires de Jérémy Morel avaient été accueillis en héros à leur retour au pays. Un vent d’espoir avait soufflé, de belles promesses avaient été semées. Aujourd’hui, que reste-t-il de tout cela ? Pas grand-chose, hélas.
Depuis maintenant un an environ, la Fédération malagasy de football (FMF) et la sélection nationale naviguent à vue, plongées en plein brouillard. Fin mars 2021, les Malgaches ratent la qualif’ pour la CAN au Cameroun en terminant troisièmes de leur groupe, derrière la Côte d’Ivoire et l’Éthiopie. Quelques semaines plus tard, le sélectionneur Nicolas Dupuis, déjà aux manettes lors de l’épopée de 2019, est suspendu de ses fonctions. Dans le courrier qui lui est adressé pour lui faire part de cette décision, le Français est accusé de dénigrer« la FMF à travers les réseaux sociaux et par presse interposée », ainsi que de s’être « plutôt investi sur le côté mercantile et ses travers, en vue d’un profit publicitaire personnel, négligeant ainsi le rôle central d’encadreur et le devoir de soutien par excellence au football malagasy. » Si l’on en croit les statuts fédéraux, la suspension d’un entraîneur national ne peut être entérinée qu’en cas de vote à la majorité des membres du comité exécutif. Or, c’est ici qu’il y a un hic : le président de la FMF n’aurait guère tenu compte du résultat du scrutin (majoritairement opposé à la suspension) au moment de décider de mettre Dupuis au placard.
Exil, règlement de comptes et arrestation
Le président en question, élu en août 2019, c’est Raoul Rabekoto. Un curieux personnage qui, accusé d’avoir détourné près de 25 millions d’euros à l’époque où il était directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale, a choisi l’exil – ou la cavale, diront certains – et se serait installé en Suisse. C’est donc à distance qu’il pilote la fédé, tout en commentant régulièrement l’actualité du foot africain sur Twitter et en participant à des réunions de la FIFA en visioconférence. « J’étais sélectionneur, et une certaine personne m’a suspendu, d’un commun accord avec elle-même », souffle aujourd’hui Nicolas Dupuis qui, tout au long de l’entretien, évite soigneusement de prononcer le nom de Rabekoto. L’ancien coach de l’AS Yzeure, qui a aussi pour mission d’aider au développement du football local en créant « l’équivalent de l’Insep à Madagascar », voit Éric Rabesandratana assurer l’intérim à la tête des Barea. Il se fait alors discret dans les médias, mais l’affirme désormais : « Ma suspension n’a jamais été validée. Au contraire, elle a été jugée nulle et non avenue. » Car plusieurs membres du comité exécutif, menés par Alfred Andriamanampisoa, deuxième vice-président de la FMF, refusent catégoriquement de reconnaître cette suspension. « À partir de là, c’est devenu le bordel total », lâche une source, préférant rester anonyme par peur des représailles.
On aurait aimé multiplier les entretiens, confronter les points de vue des uns et des autres afin d’y voir plus clair. Les personnes haut placées au sein de la fédération malagasy qui ont été contactées n’ont toutefois, sauf à de rares exceptions, pas donné suite à nos sollicitations. Alors, on se contentera d’exposer au mieux les faits. Le 6 octobre 2021, une assemblée générale extraordinaire de la FMF vote l’exclusion du président Rabekoto, au prétexte qu’il aurait commis une violation grave des statuts. La veille, ce dernier avait d’ailleurs sévi en révoquant quatre membres du comité exécutif, dont Alfred Andriamanampisoa. Pas de quoi empêcher ceux-ci de réunir le comex le 9 novembre pour notamment suspendre des cadres de la fédération proches du président… qui réplique le lendemain en annonçant à la FIFA la suspension des activités de la FMF jusqu’à nouvel ordre. Vous avez bien suivi ? Si oui, place au coup de théâtre suivant : visé par un mandat d’arrêt international et une notice rouge d’Interpol, Raoul Rabekoto est arrêté à Cotonou le 19 novembre. Tandis que la justice malgache essaie d’obtenir son extradition, la fédération, elle, continue de se demander sur quel pied danser.
Deux pages Facebook pour le prix d’une
À tel point qu’en février, une nouvelle page Facebook intitulée « FMF – Fédération malagasy de football » voit le jour. Elle ressemble à s’y méprendre à la page officielle de l’instance et publie rapidement des appels à candidature, dont un concernant le poste de sélectionneur de l’équipe A et l’autre, celui de directeur technique national. « Il y avait d’autres manières de faire, en saisissant le TAS par exemple, mais ils ont préféré agir comme ça, se désole notre lanceur d’alertes.C’est une histoire d’ego : le président a pris une décision seul, sans écouter, donc les autres décident de foutre le bazar. » Et d’ajouter : « Tout le monde se renvoie la balle, mais, pour moi, les deux camps sont fautifs. » En attendant, le recrutement a semble-t-il été fructueux. « Je viens de signer un contrat de quatre ans comme DTN, révèle Nicolas Dupuis. J’ai été reçu deux fois en entretien et j’ai finalement été choisi parmi 23 candidats. Je n’étais pas intéressé à l’idée de redevenir sélectionneur. »
Et la FIFA, que pense-t-elle de tout ce remue-ménage ? Fin 2021, elle a pris acte de l’arrestation de Raoul Rabekoto, tout en se gardant bien de remettre en question sa place à la tête de la FMF. Le 31 mars dernier, ce sont Victorien Andrianony (premier vice-président) et Solondranja Mahatovo (secrétaire générale), deux proches du dirigeant incarcéré au Bénin, qui ont assisté, à Doha, au 72e congrès de l’instance internationale. Qu’à cela ne tienne, le week-end même, Alfred Andriamanampisoa réunissait une assemblée générale ordinaire, à l’issue de laquelle un autre secrétaire général était nommé. Une nouvelle décision de la FIFA est tombée le 7 avril. Dans ce courrier, que nous avons pu consulter, la fédération siégeant à Zurich affirme que Victorien Andrianony doit assurer l’intérim à la présidence en attendant de prochaines élections. « Une mission conjointe FIFA-CAF sera prochainement dépêchée à Antananarivo dès que possible afin d’accompagner la FMF dans les étapes-clés de sa transition », précise la missive. D’ici là, il y a fort à parier que chacun va camper sur ses positions.
Et le foot, dans tout ça ?
Cette situation ubuesque en coulisses a forcément des répercussions sur le terrain. Madagascar n’a ainsi pas profité de la fenêtre internationale de mars pour jouer. Des matchs amicaux en Turquie, contre l’Afghanistan et le Koweït U23, étaient pourtant calés, avant d’être annulés. Motif : une volonté de faire des économies (selon Nicolas Dupuis) ou un mail de validation envoyé au mauvais interlocuteur (selon notre source). « Aller à Antalya nous aurait coûté plus de 160 000 euros, détaille le nouveau DTN.On s’est dit que ce n’était pas sérieux de dépenser une telle somme pour aller jouer deux matchs, alors que trois cyclones venaient de toucher le pays et que le sud traverse une grave crise. Le côté humain a pris le dessus, on a décidé de tout annuler pour ne pas dépenser l’argent que tant de malheureux avaient pu perdre. » Quant au nouveau sélectionneur, dont l’identité devrait être rendue publique sous peu, on sait d’ores et déjà que ce sera un « coach local ».
Renseignements pris, il pourrait s’agir de Franklin Andriamanarivo, entraîneur de JFC Toliara, dernier de son groupe en championnat malgache (sept points pris en quatorze journées). « C’est un coach qui ne va pas parler et va laisser Nicolas faire l’équipe », grince notre source anonyme. Quoi qu’il en soit, l’heureux élu aura fort à faire pour redresser une sélection qui n’a remporté qu’un seul de ses dix derniers matchs officiels et a terminé derrière la Tanzanie dans son groupe de qualification pour le Mondial 2022. « Tout ça a eu un impact pendant six mois, nous avons vécu les plus mauvais éliminatoires de Coupe du monde de notre histoire, soupire Dupuis. Maintenant, on va se remettre au travail et faire en sorte que tout aille bien. Les joueurs sont très motivés, ils sont tous prêts à revenir, ce qui n’était pas forcément le cas ces derniers temps. Je suis très confiant. » Rendez-vous au prochain épisode.
Par Raphaël Brosse
Tous propos recueillis par RB.