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Grâce à cet homme, l’Argentine a voyagé avec 2630 kilos de viande
En Argentine, faire un asado est une affaire sérieuse. La sélection est donc partie au Qatar avec ses propres parrilla (grils) fabriqués artisanalement par Julian Lanzillota, un homme qui ne badine pas avec la cuisson des steaks. Rencontre.
Depuis sa plus tendre enfance, Julian Lanzillota aime jouer avec le feu. Dans son groupe d’amis, cet ancien rugbyman de 38 ans a toujours été la personne chargée de s’assurer que les braises soient à température parfaite pour préparer l’asado. Passionné de gastronomie et bricoleur à ses heures perdues, Julian décide en 2018 de fabriquer sa propre parrilla. Huit mois de travail de soudure et de ferronnerie plus tard, le puriste dispose de l’instrument parfait pour faire griller sa viande. Séduits, ses amis du club de rugby Mariano Moreno lui demandent d’en construire un autre pour les troisièmes mi-temps du club. Un jour, après un match, il voit une centaine de personnes rassemblées autour de l’asador (la personne chargée de faire griller la viande), qui prennent en photo sa création. Julian se dit alors qu’il a fabriqué quelque chose de grand et que ce qui n’était qu’un hobby pourrait devenir un métier à temps plein.
Ses premiers clients ? Manu Ginobili, Diego Schwartzmann et Martin Palermo
Quelques mois plus tard, alors qu’il vient de lancer sa petite start-up Fuegos JL, il reçoit pour un asado le meneur de la sélection argentine de basketball Nicolas Laprovittola. Le joueur du FC Barcelone est un ami de la femme de Lanzillota. Visiblement conquis, il fait la promotion des grils artisanaux de Julian sur Instagram. Le succès s’enclenche immédiatement. Depuis, les parrillas de Fuegos JL ont attrapé Manu Ginobili, Diego Schwartzmann, Martin Palermo et même Rodrigo de Paul. Un jour, le joueur de l’Atlético lui passe un coup de fil pour passer commande. Julian doit être l’un des seuls Argentins qui n’est pas passionné de football. Il ne connaît même pas le numéro 7 de l’Albiceleste ! Pas plus qu’il ne sait qui est Andrés d’Alessandro qui s’offre lui aussi un barbecue de compète. En revanche, il s’y connaît en maîtrise du feu. Pour expliquer son succès, l’homme qui vend désormais ses créations en Espagne et aux États-Unis vante d’ailleurs sa polyvalence : « Pour construire une belle parrilla, Il faut connaître à la fois la ferronnerie et la gastronomie. J’ai la chance de savoir faire les deux. »
À l’heure de partir à l’étranger, certains décident de voyager léger avec un simple baise-en-ville, d’autres d’emmener toute leur maison avec eux. C’est notamment le cas des Argentins. Incapable de laisser derrière elle leur tradition, la sélection argentine a apporté au Qatar des centaines de kilos de maté, de dulce de leche, mais surtout 2630 kilos de viande ! Pour faire griller toute cette barbaque, il faut des outils adéquats. Il y a trois mois, Julian Lanzilllotta reçoit un message sur Instagram. L’expéditeur est le responsable logistique de l’AFA. L’homme lui propose de répondre à un appel d’offres avec un cahier des charges précis pour que son entreprise ait l’honneur de faire griller les entrecôtes de Messi et les bavettes de Di María. Immédiatement, Julian prépare un devis et un croquis pour la confection du barbecue officiel des champions d’Amérique du Sud. Quelques semaines plus tard, l’entrepreneur apprend qu’il a l’insigne honneur de construire les parrillas de la sélection : « Quand on l’a su, il a fallu se mettre très vite au boulot. Douze personnes ont travaillé d’arrache-pied pendant une semaine de 9h du matin à 22h pour fabriquer quatre parrillas de 2,50 mètres de long et un brasero. » Cinq instruments artisanaux qui permettent de faire manger 150 personnes en même temps sans problèmes. Les parrillas voyagent immédiatement dans la soute de l’avion de la sélection avec 485 kilos de train de côtes, 376,7 kilos de bavette, 119,8 kilos de roast beef, 67,9 kilos d’osso bucco, 233 kilos d’aloyau. Liste non exhaustive.
Maintenant que ses parrillas sont installées dans les jardins de l’université du Qatar où la Scaloneta a pris ses quartiers le temps du Mondial, il ne reste plus à Julian qu’à donner quelques conseils de maestro asador pour exploiter toutes les potentialités de ses engins : « Le plus grand secret, c’est l’expérience. Bien savoir préparer l’asado, tu ne l’apprends pas dans un livre. Après avoir cuisiner tant de côtes de bœuf, tant de travers, tu comprends le type de bois que tu dois utiliser pour préparer le feu, comment orienter laparrillapar rapport au vent ou encore quelle est l’inclinaison idéale de la croix pour préparer un plat de côtes. » Pour cela, la sélection peut compter sur un homme, son chef Diego Iacovone. Un homme qui a la mission sacrée de préparer les asados. Bien plus qu’une formalité, un véritable rituel, comme l’expliquait le chef d’escadrille Lionel Scaloni : « L’asado, ça va au-delà de la nourriture. Cela crée une ambiance d’union et une alchimie collective. Cela fait partie de notre culture, de l’idiosyncrasie argentine. C’est un moment qui nous permet de discuter, de nous connecter. Ça n’est pas juste de la viande. » Prochain test pour les engins de Julian Lanzillota : faire cuire onze filets de kangourou en même temps.
Par Arthur Jeanne, à Buenos Aires
Photos : Instagram Julian Lanzillota et JL Fuegos