- Coupe d'Europe
- Interview
Gourvennec : « L’Europe marque l’histoire des clubs »
Il a vécu de grosses soirées comme joueur avec Nantes et Marseille. A permis à Guingamp d'y regoûter avec brio. L'Europe, pour Jocelyn Gourvennec, c'est la cerise sur le gâteau d'une vie de footballeur. L'entraîneur de Bordeaux reçoit au Haillan pour parler joutes continentales.
Bordeaux est en course pour l’Europe à l’approche de la dernière ligne droite. C’est pour pouvoir jouer à l’échelle continentale chaque année que tu as signé ici ?Pour franchir un palier avec un club plus huppé, plus gros, avec plus de moyens, plus d’ambition, plus d’obligation de résultats aussi. Je ne voulais pas quitter Guingamp pour quitter Guingamp. Ce que l’on a fait là-bas pendant six ans était formidable, mais j’ai ressenti le besoin de franchir un palier. Et pour franchir un palier en quittant Guingamp, cela correspondait à un club comme Bordeaux.
La Coupe d’Europe, c’est ton plus beau souvenir à Guingamp ?On a marqué les esprits. On a été la seule équipe française à sortir des poules alors qu’on était donnés battus, voire archi-battus. On était « un boulet » pour le foot français d’après les observateurs, et on a montré qu’avec du travail, de la cohérence et un état d’esprit, on était capables de gagner des matchs en Coupe d’Europe. À l’arrivée, on a fait huit matchs, on en a gagné quatre, fait un nul, et perdu trois matchs, dont deux contre la Fiorentina. L’autre contre le Dinamo Kiev. La Coupe d’Europe, c’est un état d’esprit, même si on a moins de moyens, il y a toujours la possibilité de faire des choses.
Ce sont aussi des matchs où ils se passent des choses « inhabituelles » . À Kiev au retour, il y a eu des affrontements violents en tribunes, au point qu’on se demandait si le match n’allait pas être arrêté… Il aurait dû l’être. Il y avait des hooligans en tribunes, des mecs cagoulés sur la piste derrière les buts. Le match a été arrêté quand ils ont mis le troisième. Il y avait déjà eu des heurts lors de précédents matchs en Ukraine pour Saint-Étienne. On a eu peur pour nos supporters venus de Bretagne. Je ne veux même pas imaginer ce qu’il se serait passé avec les hooligans si on s’était qualifiés, je pense que cela aurait mal tourné. Il y a eu des demi-sanctions contre ce club qui avait des néo-nazis et des hooligans dans son public, ce qui est juste incroyable.
Tu avais vécu des situations très chaudes en Coupe d’Europe comme joueur, notamment une demi-finale retour à Bologne avec l’OM en 1999… (une bagarre avait éclaté à la suite de la qualification de Marseille pour la finale, ndlr)(Il rit) Oui oui, je m’en souviens.
Tu as vécu une grande campagne avec Marseille, mais aussi avec Nantes en 1996. Quels sont tes plus gros souvenirs européens comme joueur ?Les rencontres. Il y a de la Ligue des champions avec Nantes, de la Coupe UEFA avec Marseille. Une demie d’un côté, une finale de l’autre. Ce qui marque l’histoire des clubs… Les championnats, les titres nationaux oui, mais les Coupes d’Europe, cela marque vraiment l’histoire des clubs… Pour les joueurs et les entraîneurs, il ne faut pas minimiser ça, faire un parcours en Ligue Europa, c’est parfois se taper des déplacements pas faciles dans les pays de l’Est, mais ce sont des aventures qui font grandir les clubs. Un club comme Guingamp a grandi à travers sa campagne européenne, comme Laval il y a de nombreuses années (en 1983-1984, ndlr), qui avait fait un parcours incroyable (ils avaient éliminé le Dynamo Kiev en 32es de finale de C3, puis s’étaient fait sortir par l’Austria Vienne en seizièmes, ndlr). D’une manière générale, cela fait aussi grandir les joueurs, c’est à travers la Coupe d’Europe que l’on franchit les paliers.
Donc plus on se qualifie souvent, et plus on progresse…Je pense que les Stéphanois l’ont vécu, car ils ont accumulé plusieurs saisons de suite. Au départ, ils découvraient, maintenant ils y sont habitués. Cela fait progresser les joueurs. Quand je vois certains joueurs de Guingamp aujourd’hui, c’est évident que cela les a fait grandir. L’engouement qu’engendre la Coupe d’Europe, encore plus en Ligue des champions, c’est un événement. Il y a un parfum particulier, l’avant-match a plus d’émulation, plus de médias. Les joueurs appellent ça les « matchs avec la petite musique » , et tous les joueurs ont envie de vivre ça. Je me souviens qu’en National avec Guingamp, les joueurs mettaient toujours de la musique dans le vestiaire après l’entraînement. Un jour, du bureau, on entendait la musique de la Ligue des champions. J’ai un adjoint qui était allé les voir en faisant un peu l’âne : « C’est quoi votre musique ? » Ils ont répondu « C’est une musique qu’on aimerait entendre un jour en étant joueur, sur le terrain. »
Les matchs européens font surtout grandir en tant qu’homme ? Prenons l’exemple de Paris qui en prend 6 à Barcelone après avoir gagné l’aller 4-0. On a l’impression que la faillite n’est pas tactique, mais bien mentale…Oui, il y a deux choses qui sont plus marquées en Coupe d’Europe. Un, l’intensité, elle est manifeste. Deux, la gestion émotionnelle chez le joueur. C’est vrai en championnat, mais en Coupe d’Europe, c’est sur cette gestion émotionnelle du match que le joueur grandit le plus. Sur les aspects du jeu, les choses reviennent même si cela va plus vite. Mais sur la gestion émotionnelle de l’événement, c’est plus dur de ne pas perdre pied. Je me souviens de notre premier match avec Guingamp, on a perdu 3-0 sur le terrain de la Fiorentina en étant très vite réduits à dix. Mais on n’a pas explosé à 10, on est resté cohérents, on a souffert, mais ce n’est pas parti en banane. Les joueurs ont réussi à faire un match solide contre une belle équipe. Ils ont perdu, mais ils ont appris.
On se souvient de Didier Deschamps dans sa causerie avant Monaco-Real en 2004 qui dit : « Ils ne sont pas aussi bien préparés que vous parce qu’ils sont persuadés d’être déjà qualifiés. » Il ne peut pas savoir quel est l’état d’esprit madrilène, mais il trouve une manière de piquer ses joueurs, avec ce qui est presque une « invention » … Ce n’est pas qu’il n’y a aucun fond de vérité, c’est simplement qu’il voulait conditionner les joueurs pour un exploit. Dans le rapport de force, Monaco était en dessous du Real. Quand Bordeaux joue Paris, c’est la même chose. Il y a un rapport de force plus ou moins favorable, cela fait partie du rôle du coach de stimuler la motivation et de convaincre le joueur que l’exploit est possible. Pour cela, il ne faut pas mentir, mais il faut trouver des leviers qui parlent aux joueurs. Ce que Didier a utilisé, cela parle aux joueurs, c’est très convaincant. Cela fait prendre conscience aux joueurs qu’il y a peut-être une faille et qu’il faut l’exploiter. Ce n’est ni du vent ni un mensonge, c’est un levier. Il faut trouver les mots adéquats pour booster son groupe. Mais c’est du dosage, il faut avoir une très grande détermination dans ces matchs-là, mais il faut aussi beaucoup de sang-froid. Trouver le fort engagement pour relever le défi physique, être engagé, être dans l’intensité, mais trouver le bon dosage pour être dans le contrôle émotionnel, sinon vous êtes dans l’excès et vous risquez des fautes bêtes, voire un rouge. Vous vous fragilisez si vous ne vous maîtrisez pas.
Par rapport aux viviers français de joueurs, nos clubs ont un palmarès européen très léger. Il y a des lacunes sur cet aspect mental en France ?On a surtout un gros retard économique et je ne sais pas si on le comblera un jour. Les clubs français ont moins de moyens que d’autres. Paris et à un degré moindre Monaco arrivent à se hisser au niveau, et Marseille devrait le pouvoir. Mais ce sont des cas particuliers. Mais pour avoir les mêmes moyens que les clubs anglais ou allemands, il va falloir lever des fonds importants… On s’aperçoit que même avec plus de moyens, ce n’est pas évident de se mettre au niveau, car il y a aussi un écart d’expérience. Manchester City, par exemple, est au même point que Paris. Ce n’est pas parce que l’on a des moyens que l’on gagne la Ligue des champions en deux ou trois ans, il faut construire. Le FC Porto a réussi à s’engouffrer en 2004…
L’Atlético de Madrid aussi…Oui, mais l’Atlético de Madrid a aussi une grande histoire, des moyens importants, et un entraîneur, Diego Simeone, qui a sublimé tout le monde et tiré son club vers le haut. L’Atlético, c’est un club historique, alors que Paris, c’est un club relativement jeune, avec des fonds importants depuis assez peu. Petit à petit, Paris y arrivera.
Dans les années 90, alors propriété de Canal Plus et présidé par Michel Denisot, ils y arrivaient beaucoup mieux sur la scène européenne sans avoir des moyens supérieurs à aujourd’hui…Oui, mais ils ont su créer un effectif avec des joueurs qui avaient du vécu. Des Brésiliens du Benfica comme Valdo et Ricardo, qui avaient la culture du résultat et du haut niveau. Ils ont bâti une équipe avec une réelle osmose, très physique, très solide et à la fois très créative. C’était une autre époque, aujourd’hui les gros clubs au niveau mondial ont des moyens énormes et attirent les joueurs hors normes. Pas facile d’exister au milieu de ça.
Propos recueillis par Nicolas Jucha, à Bordeaux