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Gordon Ramsay, le mytho de Glasgow
Voilà vingt ans que le cuisinier le plus vulgaire d'outre-Manche explique à qui veut l'entendre qu'il a joué dans l'équipe première des Glasgow Rangers lorsqu'il était jeune. Passé du foot aux poêles anti-adhésives suite à un arrachement des ligaments du genou, Gordon Ramsay n'a pourtant pas laissé un souvenir impérissable du côté des Highlands. Là-bas, à vrai dire, personne ne se souvient de lui. De quoi se demander si Gordon le cuistot est vraiment très loin de Gordon le mytho.
Quand Éole souffle sa brise marine sur la surface du Loch Ness, les journées sont bien calmes pour lui. Les touristes, plus nombreux en période estivale, préfèrent par ce temps la froideur moite des maisons hantées des Highlands à la mouille marine du plan d’eau le plus célèbre d’Écosse. Le monstre, lui, peut se reposer. Lové au fond des abysses, Nessie pense. Repose sa carcasse les yeux mi-clos. S’il s’est fait surprendre à plusieurs reprises hors de l’eau ces dernières années par des étrangers venus de loin pour l’observer, c’est parce qu’il cherche une réponse. De sa légende, il connaît le fin mot, certes. Mais une autre histoire le taraude plus que tout, et son mystère commence à lui faire de l’ombre. Un mythe plus captivant que le sien ? Impossible. Pourtant, elle constitue pour lui la seule raison valable de passer sa tête à travers le drapé bleu de la surface du Loch Ness tous les quinze de l’an, tentant de capter les échos des voix des passants. Gordon Ramsay, le cuiseur de patates le plus injurieux du pays et star de Cauchemar en cuisine, raconte à qui veut l’entendre qu’il aurait joué pour les Glasgow Rangers lorsqu’il était jeune. « J’étais en équipe première. J’ai joué trois matchs » , ajoute-t-il souvent. Problème, le coach de l’époque n’a jamais entendu parler de lui. Nessie, elle, connaît presque toute l’histoire.
Sa première pièce montée
Ouvrir un premier restaurant, c’est choisir son onze titulaire. Il y a les plats sur la carte, le chef en cuisine, les mets surgelés et les hommes de ménage qui nettoient dans l’ombre. Alors au moment de présenter à Londres son restaurant « Aubergine » en 1993, Gordon Ramsay est bien conscient de l’importance de son plan de communication. Pour se faire un peu de pub, le grand blond au langage peu châtié annonce tout de go qu’il a joué trois ans aux Rangers entre 15 et 18 ans avant d’être viré pour une blessure au genou. Sous le auvent tiré de sa brasserie deux étoiles, les sourcils se froncent. Les yeux des invités pivotent lentement vers le clavier Qwerty de leur smartphones : l’information paraît étrange. Robert McElroy, historien spécialiste des Rangers, autrement connu pour avoir maté l’intégralité des rencontres de son équipe depuis l’année 1972, balance dans la foulée : « C’est un non-sens. » Pour se justifier, Gordon ressort une photo de ses vieux cartons, où on peut effectivement l’apercevoir sur la pelouse en compagnie de la légende Gers Ally McCoist, tunique bleu sur les épaules.
Ce cliché, pris en 1985 par le photographe anglais Allan Cairns, est en fait un leurre : le match n’était pas une rencontre officielle des Teddy Bears, mais un obscur match honorifique où l’équipe alignée était tierce. Le cuistot, questionné sur ces arrangements de l’histoire, détaille en 1999 que les Rangers étaient menés 2-0 à la mi-temps. Seulement, la feuille de match publiée dans le Rangers News expose un score de 1-1 à la pause. Justifiant ces sautes de mémoires, l’un des porte-paroles de la star déclare plus tard à la télévision que « toutes les inexactitudes concernant les détails de cette période peuvent être expliquées par le fait que tout cela s’est produit il y a presque 25 ans » . Alors oui, un quart de siècle. Oui, une mémoire sélective. Mais difficile de penser que cette unique rencontre sous les couleurs de son club fétiche n’ait pas laissé une marque indélébile dans son esprit.
« La première fois que j’ai vu Gordon ? Quand il a sorti son livre ! »
Robert McElroy, qui avait bien évidemment suivi ce match à l’époque, et par conséquent ce jeune méché blond « à la monégasque » , se souvient : « S’il avait très bien joué pendant cette rencontre, il aurait bien pu se voir offrir un contrat ou quelque chose du genre, mais il n’a eu aucun impact et personne ne lui a rien offert. Il n’a jamais joué pour l’équipe première, que ce soit en match amical ou en pré-saison. L’équipe réserve, qui était vraiment bonne… il n’était pas dedans. » Un porte-parole du club, plus direct, confirme également : « Ramsay était à l’essai pendant ce match. Il s’est entraîné avec nous pendant plusieurs mois après cela, mais il s’est blessé. » La blessure au genou. Voilà un point à l’évocation duquel Nessie redresse l’échine. La partie croustillante. Sa préférée. En 2002, à l’occasion d’une interview accordée à Sue Lawley pour l’émission Desert Island Discs de la BBC Radio 4, le gaillard raconte s’être fait virer du club après un arrachement des ligaments du genou : « Jock Wallace, le manager général du club, et Archie Knox, entraîneur de l’équipe première, m’ont appelé dans leur bureau un vendredi matin, dès potron-minet… pour me donner des mauvaises nouvelles. C’était fini pour moi. » Seulement, à l’époque, Knox était entraîneur… de Dundee United : « La première fois que j’ai vu Ramsay, c’était en 1996 quand il a sorti son premier livre ( « Gordon Ramsay’s Passion For Flavour » , ndlr). Mais il ne me connaissait ni d’Adam ni d’Ève puisque l’on ne s’était jamais rencontrés ! »
Autre exemple : John Hagart, bras droit de Jock Wallace en ces temps-là, déclarait en 2009 au News of the World « ne pas se souvenir du tout de Gordon Ramsay être aux Rangers » . Comme quoi, savoir farcir avec délice un poulet à l’espagnole ne permet pas toujours de lâcher avec succès des coups du sombrero sur les pelouses de football. Alors à défaut d’avoir percé dans le ballon rond, Gordon Ramsay se secoue les miches une fois tous les deux ans dans les matchs de bienfaisance du Soccer Aid, où deux équipes de célébrités et anciens joueurs professionnels, représentant l’Angleterre et le reste du monde, échangent le cuir. L’homme aux couteaux en céramique, latéral gauche offensif à la Marcelo sans les boucles, a même été promu vice-capitaine pour l’édition 2014, coaché alors par José Mourinho. L’affinité paraît évidente. Encore quelque chose que Nessie ne comprend pas. Comment l’un de ces hommes en short et chaussettes hautes à la démarche chaloupée peut-il lui faire de l’ombre, à elle, la grande créature ? Le crâne posé sur ses puissantes nageoires pectorales, la bête lâche une bulle. Il est temps de remonter. Elle vient d’apprendre que Jason Dennayer, prêté au Celtic cette saison, retourne en Angleterre, à Manchester City. Très bien. Il ne s’agirait pas qu’il tente de lui piquer sa place, lui aussi.
Par Théo Denmat