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Good bye good Guy

Par Thomas Pitrel, propos de Jean-René Toumelin recueillis par Victor Le Grand
Good bye good Guy

En mai dernier, Sofoot.com célébrait les 20 ans du titre mythique du FC Nantes en 1995. Derrière Coco Suaudeau, derrière Loko, Ouédec, Pedros, N'Doram ou Karembeu, l'ombre d'un homme planait. Celle de Guy Scherrer, patron qui n'aimait pas le foot, mais qui l'a respecté plus que tout, l'espace de quatre ans et demi, lorsqu'il était président du FCNA. Un homme qui faisait le tour des tribunes de La Beaujoire toutes les deux semaines, mais qui n'y a plus jamais mis les pieds. Le club des Canaris a annoncé ce mercredi le décès de celui qui a aussi inventé le sourire des Choco BN.

Une fois, seulement, le football a fait pleurer Guy Scherrer. Nous sommes le 27 mai 1995 et le FC Nantes Atlantique termine son dernier match à domicile de la saison lorsque les 34 210 spectateurs quittent les tribunes de La Beaujoire pour en envahir la pelouse. Depuis une semaine, ils savent que leur club est champion de France et il est temps de fêter ça. « Vingt ans après, je serais bien incapable de vous donner le score ni même l’adversaire de ce match » , avoue celui qui, à l’époque, observait la scène les yeux rouges. Tout supporter nantais connaît pourtant la réponse : victoire 2-1, contre Cannes, buts de N’Doram et Karembeu. Mais Guy Scherrer n’est pas un supporter comme un autre. Les trophées, les lignes au palmarès, les victoires n’étaient pas son objectif. « Ce qui m’a fait pleurer, ce n’était pas d’avoir gagné le titre, c’était de voir la joie des supporters et des joueurs, explique-t-il. Savoir s’ils allaient être champions ne m’a jamais intéressé. Si les joueurs s’amusaient et que les spectateurs étaient contents, j’étais satisfait. J’ai une conviction, qui appartient probablement au passé : je pense que quand on prend du plaisir, les résultats finissent par venir. » Une façon de formaliser ce qui aura guidé toute sa carrière : la notion de plaisir.

Une vision d’autant plus atypique que le football n’est pas le sport préféré de Guy Scherrer. Né en 1943 à Strasbourg, bien loin du Sud-Ouest, le président du club le plus célébré de France par les puristes du ballon rond lui préfére son homologue ovale. « Encore maintenant, je préfère le rugby, assure-t-il. Comme beaucoup de Français, j’aime bien le Stade toulousain, et je jouais trois quarts aile en universitaire. » Dans ses belles années, le Strasbourgeois court le 100 mètres en 10″9 et saute 1,93 mètres à la hauteur, mais pas une trace de foot. « Vous auriez dû voir la tête des journalistes quand il leur disait qu’il préférait le rugby au foot, en rigole encore Jean-René Toumelin, président de l’association du FCNA à l’époque, qui a ensuite succédé à Scherrer. On essayait de lui faire comprendre qu’il ne fallait pas dire ça, mais il n’en faisait qu’à sa tête. » Guy Scherrer le dit lui-même, il a toujours été qualifié d’atypique. « Mais je n’ai jamais compris ce que ça voulait dire, précise-t-il aussitôt. Peut-être parce que je voyais dans le football un jeu. » Peut-être, aussi, parce que cette façon de faire s’est montrée d’une efficacité redoutable.

Une idée tordue

Trois ans avant le titre de 1995, le FC Nantes était tout sauf champion de France. Neuvième du championnat en 91-92, le club n’a pas passé la septième place depuis six ans. Surtout, le 9 juin 1992, il est rétrogradé administrativement en D2 par la DNCG en raison d’une dette de 60 millions de francs. Effrayés, la mairie, le conseil régional et la Chambre de commerce mettent en place une commission chargée de trouver une solution, et installent à sa tête le vice-président de la Chambre de commerce, également président de la Biscuiterie nantaise (mieux connue sous le nom de BN) : Guy Scherrer. « La solution de notre groupe de travail a consisté à créer une SAOS (société anonyme à objet sportif, ndlr) dont le capital serait constitué par l’apport du contrat des joueurs, ce qui permettait de mettre un actif important face à la dette. » Le 24 juin, Max Bouyer, président du club, présente sa démission ; le FCN devient le FCNA ; et la DNCG revient sur sa décision. Le club est sauvé sportivement, mais il a encore besoin d’un président capable de redresser la barre économiquement. « Mes petits camarades m’ont dit que comme le groupe que j’animais avait eu cette idée tordue, il fallait que je continue et que j’accepte la présidence, se souvient Guy Scherrer. Voilà comment je suis devenu président du FCNA. »

Loin d’être terminés, les ennuis ne font en fait que commencer pour le rugbyman. « Il a fallu serrer les boulons partout, confirme Scherrer. On a cédé des joueurs, comme Marcel Desailly, on a obtenu le gel des remboursements par les banques créancières du club. On a aussi eu des apports d’argent frais de gens qui voulaient aider le club. Ensuite, la dette restante, on l’a remboursée au fur et à mesure des rentrées financières grâce aux performances du club. » Au départ, pourtant, l’entraîneur Jean-Claude Suaudeau ne sait pas trop à qui il a affaire. « Il se demandait qui était ce zozo qu’il avait comme président, sourit Scherrer. Il était un peu morose parce qu’il pensait ne pas avoir un effectif à la hauteur de ses ambitions. Il estimait que son équipe était trop jeune pour être immédiatement performante. Je lui ai demandé quel était selon lui l’âge moyen d’une équipe mature et il m’a répondu que c’était 27. Alors je lui ai dit : « Eh bien Jean-Claude, vous avez quatre ans devant vous. » » Non seulement Coco a du temps pour peindre son chef-d’œuvre, mais en plus, il peut le faire sans aucune intervention de son président, qui ne met jamais les mains dans le sportif. « Mon rôle était de défendre l’esprit du club, de tracer les grandes orientations en matière de valeurs, de comportement et veiller à ce que les uns et les autres s’y conforment » , résume Guy Scherrer.

« Il fallait qu’on me foute la paix »

Le duo de choc réussit des miracles sur le terrain, mais ce n’est pas de cela dont parle Guy Scherrer lorsqu’on l’interroge aujourd’hui. « Quand je suis arrivé, l’assistance moyenne au stade était de 8 000 personnes, et en l’espace de trois ou quatre mois, c’est monté à 20 000 » , s’enorgueillit-il. Le président ne se déplace jamais avec son équipe, mais s’offre un bain de foule au milieu des supporters à chaque rencontre à domicile. « Je voulais qu’ils comprennent que je tenais à eux » , explique-t-il. Écharpe autour du cou et chapeau sur la tête, Guy Scherrer est apprécié par tous. Parfois, même, il impressionne. « J’ai 73 ans, et je crois n’avoir jamais vu quelqu’un d’aussi intelligent que lui » , salue par exemple Jean-René Toumelin. Pas suffisant pour tenir à la tête d’un club de foot. En décembre 1996, un peu plus d’un an après le titre, Guy Scherrer met les voiles. Sa raison ? « J’avais annoncé la couleur dès que j’avais accepté la présidence : un, je ne resterais pas longtemps, et deux, il fallait qu’on me foute la paix. Qu’on me laisse faire, pose-t-il. Il se trouve qu’après le titre, un certain nombre de gens ont trouvé qu’ils auraient bien aimé partager. Je leur ai dit : « Si vous voulez partager, partagez entre vous, moi je m’en vais. » » Jean-René Toumelin se souvient précisément du jour où Guy Scherrer l’a laissé prendre sa suite. « Un jour, nous sommes reçus par le comité directeur, composé d’Alain Garnier, Maurice Hamon et Claude Boumard, les trois hommes mis là par Jean-Marc Ayrault pour nous surveiller. Une question banale est posée et Hamon demande : « Président Scherrer, que répondez-vous ? » Magistralement, comme il savait le faire, Guy se lève et dit : « Il n’y a plus de président Scherrer. » Puis il se barre dans son bureau. Il m’a dit qu’il en avait ras le bol. Il a juste sauté sur l’occasion de faire un bon mot et il est parti comme ça. »

Guy Scherrer est ainsi. Insaisissable. Vingt ans plus tard, celui qui n’est plus jamais retourné à La Beaujoire s’étonne qu’on lui demande si ce départ a été douloureux : « Pas le moins du monde ! C’était juste une page qui se tournait. » Un an plus tôt, Scherrer avait déjà quitté son poste à la Biscuiterie nantaise. « J’ai tout arrêté en même temps, dit-il. Je commençais à m’ennuyer. » Ce qu’il a fait plus tard ? « Des caprices » , élude-t-il. Jean-René Toumelin croit savoir que son compère a travaillé un peu avec Jean-Claude Darmon, mais impossible d’en savoir plus. « Vous me permettrez de garder ça pour moi » , coupe Scherrer. Récemment, il a ouvert un blog confidentiel et, l’an dernier, il a soutenu le candidat divers droite aux municipales de sa commune, La Chapelle-sur-Erdre. Il se fait glaçant dès qu’il entend que son FCNA portait plutôt des valeurs de gauche : « Il y a des valeurs à gauche ? » Il est finalement un peu plus simple de savoir ce que Guy Scherrer a fait avant son arrivée au FCNA. Diplômé de HEC, passé par Harvard pour une formation professionnelle, il est entré à la Biscuiterie nantaise en 1969 avant de franchir les échelons : « Chef de produit, chef de groupe, directeur marketing, directeur marketing vente, directeur général et enfin président, égrène-t-il. Un parcours lambda. » Avant de prendre les rênes du FC Nantes, Guy Scherrer avait pourtant déjà révolutionné son premier secteur. « Vous avez déjà dû croiser un Choco BN avec un sourire ? Voilà. C’est moi qui ai mis le sourire sur le Choco BN. Toujours cette idée de plaisir. »

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