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Golovin, l’héritier
En arrachant Aleksandr Golovin à la concurrence de grands d’Europe comme Chelsea, la Juve ou le Barça, l’AS Monaco s’est offert sa première recrue russe de l’ère Rybolovlev. Elle a surtout mis la main sur son futur maître à jouer, un rôle laissé vacant par les départs de Thomas Lemar et João Moutinho. Malgré son jeune âge (22 ans), le garçon, qui a brillé lors cet été au Mondial, semble déjà taillé pour le costume. En attendant d’aller voir plus haut.
Deux pas d’élan, et un autre de ces délicieux enroulés dont il a le secret pour contourner le mur saoudien. Ficelle, et rideau. Nous sommes le 14 juin et, sur cet ultime coup de patte d’Aleksandr Golovin, la Russie achève d’étriller l’Arabie Saoudite (5-0) en ouverture de sa Coupe du monde. Et le milieu du CSKA Moscou, dont le pied droit a déjà déposé deux douceurs sur les têtes de Gazinski et Dzyuba pour les premier et troisième buts russes, de se mettre pour de bon dans la poche le public du Loujniki et les suiveurs de la sélection. En guise de célébration, là où Dzyuba avait versé dans son exubérance caractéristique une vingtaine de minutes plus tôt, Golovin se contente de rester planté à l’entrée de la surface saoudienne et de lever sagement les bras au ciel.
Pointé du doigt lors du fiasco de 2016
Parce que le match est plié depuis longtemps, ou que l’opposition avait tout au mieux valeur d’amuse-bouche ? Peut-être un peu des deux, mais le numéro 17 de la Sbornaya aurait lui aussi de quoi exploser. Car son entrée en fanfare dans ce Mondial à la maison a forcément fait fermer quelques bouches, deux ans après être – comme l’ensemble de ses équipiers cela dit – complètement passé à travers son Euro en France. À l’époque, médias, observateurs et supporters l’érigent comme l’un des principaux responsables du fiasco, tombant sur le sélectionneur Leonid Sloutski, coupable d’avoir confié les clés du camion à un gamin d’à peine 20 ans.
Don Fabio Capello sous le charme
Sauf qu’en 2016, Aleksandr Golovin n’est déjà plus vraiment un gamin de 20 ans comme les autres. Le natif de Kaltan, ville née en 1946 de la construction d’une centrale thermique en Sibérie, a déjà guidé les moins de 17 ans de son pays vers un sacre européen et un huitième de finale de Coupe du monde (en 2013), et les moins de 19 ans vers une autre finale continentale (en 2015). Surtout, il commence à prendre de la place au CSKA et en sélection. Dépositaire du jeu d’une génération 1996 russe particulièrement prometteuse, il en est aussi le talent le plus évident. Un talent face auquel Fabio Capello s’incline dès ses premières esquisses : Golovin ne compte que sept matchs dans l’élite russe quand il lui offre sa première cape, en juin 2015 face à la Biélorussie (4-2). D’un enchaînement amorti de la poitrine/demi-volée, un quart d’heure à peine après son entrée, le gamin ramène son pays à égalité et remercie le « Don » à sa manière.
Capello viré quelques semaines plus tard, la Russie au pied du mur, c’est avec ses cadres que la Sbornaya va chercher sur le fil sa qualif’ pour l’Euro. Pendant ce temps, le Sibérien fait ses armes en club, à un poste de milieu excentré nouveau pour lui, l’axial de formation, mais où sa technique léchée, son sens de la passe et son abattage restent des valeurs refuges. Tout ça se passe sous la férule d’un certain Leonid Sloutski, qui cumule les casquettes de coach du CSKA et de sélectionneur et est donc aux premières loges pour attester de ses progrès. Initié à la Ligue des Champions, régulièrement aligné en championnat, Golovin glane une deuxième sélection en mars 2016. Ce sera face à un autre voisin, la Lituanie (3-0). Et là encore, la magie opère : entré à la pause, il claque une volée chirurgicale à l’heure de jeu pour le 2-0. La Russie s’enchante, au moins pour quelques mois.
Le choix de la raison
La suite, plus qu’un Euro foiré, c’est une ascension continue sous le maillot du club de l’armée : 41 matchs dont 6 de Ligue des Champions en 2016-2017, 52 la saison dernière, dont 15 rencontres européennes réparties entre C1 et C3. Enfin, une Coupe du monde où son pied droit de velours a largement contribué au joli parcours de la Russie. Dans ces conditions, difficile d’échapper à l’intérêt des plus grands, surtout à 30 millions d’euros, un détail sur le marché actuel des jeunes talents. Face à l’intérêt de la Juve et du Barça, et surtout au pressing intense de Chelsea, le Monaco de Dmitri Rybolovlev et Vadim Vasilyev a su trouver les mots justes pour convaincre le garçon de rallier le Rocher, officiellement pour les cinq prochaines années. Tout est toujours plus simple quand on parle le même idiome, mais puisque la langue de Pouchkine est aussi celle du boss des Blues, Roman Abramovitch, le projet proposé au polyvalent milieu a forcément pesé lourd dans les discussions. Le projet ? Une « transition » , selon les termes de son compatriote et vice-président du club asémiste, Vadim Vasilyev.
Autrement dit, une ou deux saisons dans un championnat plus relevé que la première division russe, le temps de se faire à l’exigence du football d’Europe occidentale, avant un envol vers un club encore plus gros, énorme culbute pour l’ASM à la clé. Le tout sans trop de pression, stade Louis-II oblige, et avec la promesse d’avoir un maximum de temps de jeu, d’être l’un des hommes forts d’un entrejeu orphelin de Thomas Lemar, Fabinho et João Moutinho, et de disputer la coupe aux grandes oreilles. Des perspectives que ne pouvait lui assurer dès cette saison Chelsea – pas la dernière en tout cas. Reste la question de l’adaptation. Au sein d’un club à la direction russe et d’un effectif de gamins, elle devrait être facilitée. Pour le reste, Golovin a déjà pris quelques marques en France, découverte lors de l’Euro 2016 et revue en mars cette année. C’était un jeudi, soir d’Europa League et de désillusion pour l’Olympique Lyonnais, sorti par le CSKA (2-3) après avoir pourtant fait le plus dur en Russie à l’aller (0-1). Au Groupama Stadium, c’est lui qui avait ouvert le score et montré la voie aux siens. De l’intérieur du pied droit, déjà.
Par Simon Butel