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Gökhan Inler  : « Lavezzi me faisait penser à Maradona »

Propos recueillis par Diren Fesli
14 minutes

De la Suisse à la Turquie, en passant par l'Italie et l'Angleterre, l'ancien capitaine de la Nati a presque tout gagné sur son passage. À 38 ans, cet amoureux du football a fait partie du miracle de Leicester en 2016, et de l'effectif napolitain qui a mis fin à une disette de 22 ans sans titre, rien que ça.

Gökhan Inler  : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Lavezzi me faisait penser à Maradona<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

À 38 ans, tu es une pièce importante de la réussite d’Adana Demirspor cette saison, quatrième au classement du championnat de Turquie. C’est quoi le secret ?

J’ai toujours respecté le football, qui me l’a parfaitement rendu. Disons que je récolte le fruit de mes sacrifices de plusieurs années. Durant ma jeunesse, je ne sortais pas, je ne fumais pas, ne buvais pas d’alcool. Depuis des années, je me suis conditionné à dormir entre huit et neuf heures par jour. Il y a beaucoup de concurrence dans le football, il faut être prêt. Quand on est en centre de formation par exemple, on sait tous jouer au ballon, mais ce qui fait la différence, c’est la détermination et la discipline. J’ai eu la chance d’avoir un père qui m’a tout de suite appris l’exigence que demande ce sport. Lui-même était un très bon joueur, mais mon grand-père lui disait sans cesse qu’il n’y arriverait pas. Il avait donc décidé de me ramener à chaque entraînement, de me conseiller sur mon jeu. Je ne pourrais jamais assez le remercier. Avec Adana, on a fait remonter le club en Süper Lig 26 ans après, puis on est proches d’une qualification en Coupe d’Europe en fin de saison. Écrire l’histoire encore aujourd’hui, c’est ce qui me motive à mon âge et me donne faim. Ce club bosse très bien, il y a des chances de faire de grandes choses ces prochaines années. Crois-moi, ça a beaucoup plus de valeur que l’argent.

C’est vrai que les joueurs t’appellent beaucoup pour avoir des infos sur Adana et la Turquie ?

Beaucoup de joueurs et d’agents m’appellent pour me poser des questions sur Adana. Je suis joueur de cette équipe, mais aussi ambassadeur quand il le faut. Le meilleur exemple, c’est Mario Balotelli. Bien sûr que tout le monde ici a tout donné pour qu’il vienne, mais j’ai joué un rôle majeur dans son arrivée. Je suis quelqu’un d’assez simple et franc, donc les gens me font confiance. J’ai aussi dirigé Marek Hamšík vers Trabzonspor, sans oublier Dries Mertens qui m’a appelé avant de signer à Galatasaray. J’ai essayé d’attirer les deux chez nous, mais c’était compliqué de rivaliser. (Rires.)

Concernant Balotelli justement, son choix d’aller à Sion t’a surpris ?

Son ambition en venant à Adana était de retrouver la sélection italienne. Lorsque Mancini ne l’a pas convoqué pour les matchs importants, on était tous très déçus pour lui, ça lui a mis un coup. Quand il se consacre au terrain, c’est un joueur phénoménal. Je pense qu’il avait besoin de voir autre chose parce qu’il était fatigué mentalement. La ville d’Adana l’a adoré, les supporters étaient fans de cette folie qu’il apportait. Il a gagné une famille ici, il ne l’oubliera jamais de sa vie.

Je viens d’une famille modeste, avec un père forgeron qui m’a transmis le goût du travail et qui ne voulait que mon bien. Il ne faut pas généraliser, mais ce n’est pas comme beaucoup de pères aujourd’hui qui voient leurs enfants comme des gros chèques.

On sent chez toi un vrai amour pour le football, c’est le cas depuis toujours ?

Quand j’étais tout petit, mon père me lançait un petit ballon rouge en plastique. Je jouais avec, je savais déjà que le football allait être toute ma vie. À quinze ans, on te demande ce que tu veux faire. Même si dans ma tête c’était clair, je devais essayer d’autres métiers quand j’étais à l’école. J’avais choisi cuisinier, dentiste, architecte, mais c’était impossible de me faire changer d’avis. Je viens d’une famille modeste, avec un père forgeron qui m’a transmis le goût du travail et qui ne voulait que mon bien. Il ne faut pas généraliser, mais ce n’est pas comme beaucoup de pères aujourd’hui qui voient leurs enfants comme des gros chèques.

Tu es l’ancien capitaine de la Nati et une légende du football suisse. Qu’est-ce qu’il manque à la sélection pour être parmi les plus grands ?

Je pense que le football suisse est exemplaire. On donne de l’importance à la formation, on permet aux joueurs d’exprimer leurs talents. Le système est installé depuis des années et ça fonctionne. On parle d’un pays de huit millions d’habitants qui se qualifie constamment pour les grandes compétitions. La différence, c’est qu’on a à chaque fois des très bons collectifs, mais pas de gros joueurs individuels qui peuvent changer un match. Par exemple, lorsque l’on avait perdu face à l’Argentine en huitièmes de la Coupe du monde 2014, on était à la hauteur, mais quand tu as des mecs comme Messi ou Higuaín dans ton équipe, ça change tout. On n’a pas de Haaland ou Ronaldo que tu ne vas peut-être pas voir du match, mais qui va t’anéantir sur une action.

 

Tu avais aussi la possibilité à l’époque de jouer pour la sélection turque.

J’ai voulu porter le maillot de la Turquie. J’avais été appelé en U21 pour un match amical, puis plus rien, j’étais déçu. Dis-toi que la sélection Espoirs s’était déplacée en Suisse lorsque j’étais encore plus jeune. On avait fait trois heures de voiture avec mon père pour aller les regarder, j’étais comme un fou, alors que j’étais seulement dans la peau du supporter, donc imagine ma frustration de ne plus être rappelé en tant que joueur. En plus, mes essais à Fenerbahçe, Beşiktaş et Galatasaray n’avaient pas abouti. Il fallait que je passe à autre chose, parce que la Turquie ne m’avait rien montré sous prétexte que j’étais un étranger à ses yeux. Maintenant, regardons les carrières des joueurs qu’ils m’ont préférés et regardons la mienne. (Rires.) La Suisse m’a offert beaucoup d’intérêt et de respect pour que j’intègre la sélection. Ça voulait dire tirer un trait sur la Turquie, mais je suis un joueur professionnel, la Suisse est ma terre natale, il fallait y aller.

Maintenant, regardons les carrières des joueurs que la Turquie m’a préférés et regardons la mienne. La Suisse m’a offert beaucoup d’intérêt et de respect pour que j’intègre la sélection.

Peu de temps après ces frustrations, tu gagnes deux titres de champion de Suisse avec le FC Zurich en 2006 et 2007. C’est une belle revanche.

À l’époque, je venais du FC Aarau au FC Zurich, mais pour commencer en tant que remplaçant. Sauf que très vite, Lucien Favre prenait chaque jour de son temps pour me montrer, avec des vidéos, sa vision tactique du football et ce qu’il attendait de son équipe. Il avait très vite compris que j’étais très discipliné, et pas ici pour cirer le banc. Un jour, il était venu me voir lors d’un repas, et par la classe qu’on lui connaît, m’avait dit que j’allais démarrer titulaire face au FC Bâle, grand favori pour le titre, en me vouvoyant. Il m’avait fait démarrer milieu droit puis replacé dans l’axe au fil de la saison, et je n’avais plus jamais lâché ma place.

Le finish de la saison 2005-2006 en Suisse était juste incroyable…

Quelle finale, quelle finale… Je vous conseille à tous de regarder le résumé sur YouTube, je ne l’oublierai jamais de ma vie. Avant la dernière journée qui nous opposait, Bâle avait 68 points et nous 75. Nous devions gagner sur leur terrain pour être champions. On avait marqué le but de la victoire à la 93e minute par Iulian Flipescu et ramassé le titre. Les supporters étaient entrés sur le terrain, c’était le chaos le plus total. Je ne pouvais pas mieux commencer ma carrière après toutes ces galères.

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Après avoir ramassé deux titres nationaux comme tu dis, tu prends la direction de l’Udinese et confirmes ton ascension en Serie A.

J’ai eu la chance d’évoluer pendant quatre saisons à l’Udinese avec des jeunes joueurs incroyables qui ont fait les carrières que l’on connaît : Alexis Sánchez, Juan Cuadrado, Handanovič, Benatia, Asamoah pour ne citer qu’eux, sans oublier Di Natale, Zapata… Tout était réuni pour que l’on puisse viser plus haut. L’Udinese est un club qui a le don encore aujourd’hui de recruter intelligemment et de miser sur les jeunes. Naples et la Juventus me voulaient, mais un de mes buts a tout changé. (Rires.)

Tu nous expliques ?

Naples titillait la Juventus pour le titre et devait absolument nous battre pour continuer à y croire. J’avais marqué d’une frappe de loin qui nous avait permis de gagner le match, et ça avait encore plus poussé le président De Laurentiis à me vouloir. Partir à la Juventus aurait pu être très risqué quand on sait que c’était Andrea Pirlo à mon poste. Heureusement que j’ai choisi Naples qui est un club unique au monde.

 

Un jour avec Dries Mertens, nous étions partis manger sans deviner ce qui allait arriver. On avait créé des bouchons, il y avait un monde fou ! Il fallait attendre la police pour sortir.

Tu avais signé pour 21 millions d’euros, ce qui était énorme à l’époque. Quels souvenirs gardes-tu de ta vie napolitaine ?

Le prix du transfert prouvait le bon joueur que j’étais, c’était flatteur. À Naples je ne pouvais pas marcher dans la rue, c’était impossible. Le simple fait de faire un restaurant demandait une grande organisation avec la sécurité. Un jour avec Dries Mertens, nous étions partis manger sans deviner ce qui allait arriver. On avait créé des bouchons, il y avait un monde fou ! Il fallait attendre la police pour sortir. Je n’étais que Inler, imagine maintenant lorsque c’était Lavezzi ou Cavani qui étaient déjà des légendes à leurs yeux. Je savais déjà quand j’étais à l’Udinese que j’arrivais dans un club de fous !

C’était épuisant au quotidien de ne pas pouvoir sortir dans la rue ?

Non, parce qu’on s’organisait différemment. On se réunissait beaucoup chez les coéquipiers, ou dans des restaurants très protégés. Sinon, on faisait pas mal de balades en bateau. Là, tu pouvais être sûr de ne croiser personne. Je suis toujours très lié au club, d’ailleurs je peux te dire que j’ai joué un rôle dans l’arrivée de Kim Min-jae. (Rires.)

Tu avais été présenté avec un masque de lion qui avait marqué les esprits. Ce n’est pas commun.

La veille de ma présentation, le président De Laurentiis voulait qu’elle ait lieu sur un bateau pour marquer le coup. C’est un homme qui vient du monde du cinéma, il sait comment faire le show. Finalement, il avait trouvé dans son bureau un masque de lion, et m’avait dit qu’il fallait que je le porte. J’étais très sceptique, mais je l’avais suivi dans sa folie. Il faisait très chaud, je transpirais, je ne voyais même pas ce qu’il se passait devant moi ! J’ai découvert après que c’était le masque de Lavezzi qui s’en servait pour faire des blagues dans le vestiaire. Je l’ai gardé, il sera toujours avec moi.

 

Depuis l’époque Maradona, les Napolitains ont dû attendre 22 ans avant de fêter un nouveau titre. Tu as fait partie de cet effectif historique. Tu nous racontes ?

L’homme le plus important était le coach Walter Mazzarri. Il savait parfaitement nous préparer aux matchs, il a constitué un effectif incroyable. Il voulait utiliser les deux flèches Lavezzi-Cavani avec la technique de Hamšík. Derrière lui, il y avait deux guerriers avec Gargano et moi. La mobylette Maggio sur le côté… On était une vraie équipe de contre-attaque, qui faisait mal à ses adversaires. C’était un plaisir de jouer avec des professionnels comme Cavani qui est un exemple de travail, sans oublier Lavezzi qui est pour moi un joueur hors norme. Il me faisait penser à Maradona dans sa gestuelle. Il prenait des coups, ne tombait jamais, dribblait tout le monde. Depuis six mois, on a un groupe Whatsapp « Napoli Legends« . On veut se réunir cette saison.

Naples devait être en ébullition lorsque vous avez battu la Juventus en finale de Coupe d’Italie (2-0).

La ville a explosé ! Vingt-deux ans d’attente pour des supporters aussi passionnés, c’est une éternité. En plus, c’était en battant la Juventus, donc la joie était encore plus grande. Entre la gare et le stade, nous avions un peu plus d’un kilomètre à faire pour venir présenter la coupe. Il y avait tellement de monde que nous avions fait le trajet en plus de trois heures. Tout était surréaliste, ils nous jetaient leurs écharpes pour qu’on les touche et ensuite ils les sentaient et criaient notre nom ! (Rires.) Quand je dis que c’est un club unique au monde, je le pense sincèrement.

En parlant de titre, tu as aussi goûté au privilège d’être champion d’Angleterre avec Leicester en 2016, sans beaucoup jouer. C’était compliqué ?

À Leicester, j’ai appris à regarder le football de l’extérieur parce que je ne jouais pas beaucoup. Je sortais de huit saisons pleines en Serie A, mais une fois en Angleterre, j’avais même perdu ma place au sein de la sélection. J’aurais pu choisir la facilité et partir à la mi-saison, mais j’avais eu le flair de rester et de faire partie du miracle du siècle.

Le président Vichai Srivaddhanaprabha ramenait de Thaïlande des moines bouddhistes qui nous jetaient de l’eau pour nous bénir, nous porter chance. C’était leur croyance, parfois ça m’effrayait, donc j’allais me cacher dans les toilettes.

Comment ce miracle du siècle, comme tu dis, a pu avoir lieu ?

On avait une équipe de grands bosseurs. Quand tu as une défense centrale Huth-Morgan, tu sais que tu peux aller à la guerre par exemple, des murs ! Le regretté président Vichai Srivaddhanaprabha était le grand symbole de cette réussite. C’était notre patron, mais aussi notre père. Il avait cru à ce titre avant tout le monde, et nous l’avait transmis. Je me souviens qu’il ramenait de Thaïlande des moines bouddhistes qui nous jetaient de l’eau pour nous bénir, nous porter chance. C’était leur croyance, parfois ça m’effrayait, donc j’allais me cacher dans les toilettes. (Rires.) Bien sûr, il faut parler du coach Ranieri. Il a mis du temps à s’acclimater à la façon de travailler en Angleterre. Par exemple, il ne comprenait pas que l’on ne puisse pas s’entraîner un mercredi. Il s’était adapté, avait ramené sa discipline italienne et nous avait fait parfaitement bosser. Puis il avait un truc en plus, il laissait ses joueurs tranquilles ! C’est facile à dire, mais très compliqué à faire.

Tu as pu suivre de près l’éclosion du grand N’Golo Kanté.

N’Golo était comme mon petit frère. Le premier jour, il était assis tout seul, je ne le connaissais même pas ! Avec son visage d’enfant et sa petite taille, je pensais qu’il était du centre de formation. Je n’avais compris qu’il était de l’effectif que quand on s’était revus dans les vestiaires. (Rires.) Parce qu’il est comme ça. Pas de grosse montre, pas de grosse voiture, un homme discret. On a très vite compris à l’entraînement qui il était. Un moustique qui te pique à chaque fois qu’il te presse, quelle légende ! J’étais fan. Avec Drinkwater, ils formaient un duo incroyable, c’était compliqué d’avoir plus de temps de jeu.

Tu as joué avec et contre des très grands joueurs durant ta longue carrière. Lesquels t’ont marqué ?

Je vais te donner une réponse classique, mais Ronaldo et Messi. Ils te font espérer, parfois tu ne les vois pas tant que ça du match, et d’un coup, ils te finissent. Sinon, je dois citer Ibrahimović. Je pense qu’il est fait en pierre, ce mec ! Quand je jouais à l’Udinese, on avait eu un duel, je m’étais retrouvé au sol et il m’avait fixé de haut en bas comme il adore le faire. Je peux t’en dire tellement, comme Quaresma, Aboubakar, Talisca à Beşiktaş, Mertens et Koulibaly à Naples, ce sont des joueurs spéciaux.

Avant d’être footballeur, tu es un homme qui donne beaucoup d’importance aux problèmes de société comme la maltraitance animalière ou les enfants défavorisés.

En signant en Turquie en 2017, je m’étais rendu compte qu’il y avait beaucoup d’enfants dans le besoin. Je suis peut-être né en Suisse, mais ce sont nos terres, notre peuple, il faut s’aider. Avec ma sœur, on a décidé de créer une association à travers laquelle on offre des bourses aux jeunes étudiants, on construit des librairies. Il faut que les jeunes étudient, s’instruisent. Dans le même temps, nous aidons les animaux aussi. J’étais triste à mon arrivée de voir la maltraitance animalière, il fallait que je fasse quelque chose.

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Propos recueillis par Diren Fesli

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