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  • Décès de Steve Gohouri

Gohouri, mort sur le Rhin

Par Christophe Gleizes et Barthélémy Gaillard, à Abidjan
Gohouri, mort sur le Rhin

Le 12 décembre, il quittait son club pour rejoindre sa famille à Paris. Steve Gohouri ne le savait pas encore, mais ce voyage serait son dernier. Après trois semaines de recherches, la police allemande a retrouvé le corps sans vie de l'international ivoirien dans le Rhin. Au milieu des hommages et des louanges unanimes, un épais mystère entoure encore cette disparition, dont l'enquête a été classée.

L’angoisse aura duré trois semaines. Trois semaines fébriles, à guetter les nouvelles des magazines et le moindre signe sur les réseaux sociaux. Les proches de Steve Gohouri se sont néanmoins rendus à l’évidence en ce 31 décembre 2015, quand la police allemande a sorti le corps de l’ancien international ivoirien du lit du Rhin, aux alentours de la ville de Krefeld, à 19 kilomètres au nord de Düsseldorf. L’épilogue d’un feuilleton hivernal macabre. « L’attente, l’incertitude, tout cela était très difficile à supporter » , témoigne Régis Lemonn, un des meilleurs amis de Steve, basé à Abidjan, où le défenseur central gardait quelques attaches. « J’allais sur Google chaque matin en croisant les doigts, en espérant lire qu’on venait de le retrouver sain et sauf. Je voulais l’entendre parler, qu’il nous dise : « Désolé, je me suis égaré chez une meuf. » Mais on l’a retrouvé le jour de mon mariage. Je sortais de l’église quand un de mes amis m’a appris la nouvelle. »

Steve Gohouri avait 34 ans, et la vie devant lui. Les circonstances qui entourent sa disparition sont encore floues. Le 12 décembre, il participe à la fête de Noël bien arrosée de son club du TSV Steinbach, une modeste équipe de 4e division allemande, avant de s’éclipser aux alentours de 21h30. « Il m’a dit qu’il se levait tôt le lendemain matin pour aller chez ses parents à Paris » , se souvient Thomas Brdarić, l’entraîneur croate, qui lui accorde volontiers la permission. Mais plutôt que d’aller se coucher, Gohouri aurait en réalité mis le cap sur Düsseldorf. Selon le tabloïd allemand Bild, il aurait été aperçu « complètement ivre » dans un bar de la ville, avant de partir vers 5h30 du matin, heure à laquelle il a téléphoné à un ami. C’est le dernier signalement officiel : la trace se perd ensuite. Trois jours plus tard, alors qu’il est porté disparu, les autorités retrouvent sa veste de cuir, avec son passeport et des billets d’avion pour Paris et Londres. Steve n’aura eu le temps d’effectuer aucun de ces voyages.

Visa Mastercard et Favela Family

À l’annonce de sa mort, les réactions de tristesse et d’incompréhension se sont multipliées. Didier Drogba, Yaya Touré, Aruna Dindane : toutes les gloires récentes et passées du foot ivoirien ont pleuré un homme unanimement apprécié. Le plus touché reste encore Cyril Domoraud, l’ancien capitaine des Éléphants, qui a connu Steve quand il n’était encore qu’un gamin de sept ans, fraîchement débarqué en banlieue parisienne : « J’allais souvent voir mon cousin à Saint-Michel-sur-Orge, il connaissait très bien la famille de Steve. J’avais 16 ans, je jouais encore à Sucy-en-Brie. Steve, il était tout gosse, mais il aspirait à devenir footballeur. C’était un garçon poli, charmant, agréable. Il était proche de moi, il me regardait, il était content de côtoyer un joueur. Quand j’ai signé à Créteil, je me souviens que j’avais pris une photo avec lui. Il l’avait gardée. » Attaquant à ses débuts, Steve se reconvertit défenseur, et marche sur les traces de son aîné.

Il connaîtra une carrière moins brillante, mais tout aussi marquée par le goût du voyage. « Le foot, c’était toute sa vie. Je ne l’ai jamais vu aussi heureux que le jour où il est entré au centre de formation du PSG ! Il a tellement lutté pour y arriver » , se rappelle Blandine Grodry, sa demi-sœur, très émue au téléphone. S’ensuit un CV cosmopolite, entre un départ à 18 ans pour le club israélien de Bnei Yehouda et des passages dans des clubs comme Bologne, le FC Vaduz, Mönchengladbach, les Young Boys de Berne, Wigan ou le Skoda Xanthi, en Grèce. Une carrière de baroudeur, qui remplit ses proches de fierté : « Partir à 18 ans en Israël, c’est fort. Il parlait cinq ou six langues, dont l’hébreu. Il se sentait chez lui partout. » Un beau parcours sportif aussi, qui consacre le potentiel décrit par Cyril Domoraud : « En tant que footballeur, c’était un bon défenseur, dur sur l’homme, technique, puissant, et qui marquait des buts en prime. »

« Moi, je ne peux pas sortir, mais faites la fête pour moi ! »

Après s’être perdus de vue, les deux hommes se sont recroisés vingt ans plus tard. Dans le vestiaire de la sélection ivoirienne. L’ancien joueur de l’OM faisait partie du staff des Éléphants, où Steve venait de débarquer : « À un moment, je salue un mec dans le vestiaire, plutôt grand et baraqué, sans me rendre compte que c’était « mon » Steve. Il avait beaucoup changé, je ne l’avais pas du tout reconnu. Après quelques secondes, il m’a dit : « Mais tonton, c’est moi, c’est Steve, j’ai suivi tes traces ! » Incroyable. J’étais ému et fier de le voir arriver au plus haut niveau, en sélection nationale. » Une dream team que Steve côtoiera par intermittence entre 2006 et 2011, pour un total de 18 sélections. En compagnie de Zokora, Keita, Romaric et Boka, il forme au sein des Éléphants une joyeuse troupe de chambreurs surnommée la « favela family » .

Depuis sa maison de Cocody, Régis se souvient lui d’un homme généreux, assoiffé de musique et de soirées : « Son métier l’empêchait parfois de sortir avec nous, mais même dans ces moments-là, il voulait vivre la fête par procuration ! Je me souviens du Mondial 2010, juste avant le match contre le Brésil. On était là, à l’hôtel. Il devait se concentrer, il est redescendu de sa chambre et nous a tendu sa Mastercard et nous a dit :« Allez faire la fête les gars, vous me raconterez demain. Moi, je peux pas sortir, mais faites exploser la ville pour moi. » » Bien sûr, Steve Gohouri aimait sortir et tissait des amitiés éphémères, facilitées par l’argent et la notoriété. Mais pour Blandine Grodry, il était bien plus qu’un simple fêtard : « Il y a le Steve de soirée, et le Steve intime. En tant qu’homme, il aimait que les gens se sentent bien autour de lui. Il avait un don pour mettre les gens à l’aise. Il était animé par la bonté, le courage, la persévérance. Il vivait sans contraintes et dégageait une véritable joie de vivre. »

Des foulards à 800 euros

Cette joie de vivre, Blandine et la famille de Steve peinent à la retrouver, quelques jours après l’officialisation de sa mort. L’angoisse estompée, l’entourage du joueur et tout le football ivoirien sont désormais confrontés à l’impossibilité du deuil. Trop de zones d’ombres, trop de doutes, trop de mystères entourent encore les circonstances de sa disparition. « Le décès n’a pas pu être encore élucidé tant les informations qui nous sont parvenues sont contradictoires » , a expliqué Léon Adom Kacou, l’ambassadeur de la Côte d’Ivoire en Allemagne, dans un entretien téléphonique à la télévision nationale. Seule certitude révélée par la police, l’autopsie a permis d’exclure « l’intervention d’une tierce personne » . Des révélations qui ont suffi à certains médias allemands et ivoiriens pour privilégier la thèse du suicide, et brosser en filigrane le portrait d’un homme en pleine déchéance sportive, perdu dans l’alcool, la drogue et les mauvaises fréquentations. « Il y a des spéculations – j’espère qu’elles ne sont pas vraies – comme quoi il avait des problèmes personnels et qu’il a abandonné ses responsabilités » , a notamment soufflé son entraîneur dans la presse outre-Rhin.

D’après plusieurs témoignages, le joueur était ruiné. Un de ses amis allemands a témoigné à Bild, anonymement bien sûr : « Steve avait de gros soucis financiers. Ses investissements immobiliers en Côte d’Ivoire, au Brésil et à Barcelone ne donnaient pas les rendement souhaités. » En Allemagne, il n’avait pas pu trouver mieux que ce petit club de la Ruhr pour se relancer, contre près de 3000 euros par mois. Le regard abattu, Régis reconnaît un contexte délicat, même s’il n’avait plus de nouvelles du joueur depuis quelques mois : « C’était un gros changement dans sa carrière. Quand tu es vers la fin, ce n’est plus pareil. Il faut réduire le train de vie, tu n’as plus les mêmes amis, tu es soumis à plein de trahisons. Parfois, les événements peuvent s’enchaîner très rapidement et te faire entrer dans un cercle infernal. »

Coincé dans un appartement de Düsseldorf, le couple qu’il formait avec une jeune Allemande battait de l’aile. « Il avait découvert ses infidélités » , avance Blandine, qui ne dresse pas un portrait très élogieux de la concubine : « Elle a accaparée Steve, pour profiter de sa fortune. Elle l’a progressivement détaché de nous. Toutes les fêtes, Noël et Pâques, c’était chez elle. Ces derniers mois, il ne répondait pas souvent à mes textos, même quand je lui disais que c’était urgent. À elle, en revanche, il lui achetait des foulards à 800 euros. » Accablée, la famille du joueur pose ses soupçons sur cette femme, accusée de le vampiriser. « Ça faisait sept ans qu’ils étaient ensemble et on ne la connaît même pas. Vous trouvez ça normal ? » reprend Blandine, qui n’aura pas non plus la chance de croiser l’intéressée en Allemagne : « À notre arrivée, ni elle ni sa mère ne se sont manifestées ne serait-ce que pour nous aider dans nos démarches ou nous servir d’interprètes, malgré toutes les difficultés administratives que nous rencontrons. On nous explique que la fille est à l’hôpital et qu’elle s’est évanouie, qu’elle est en dépression, qu’elle ne va pas bien. Faut arrêter de nous prendre pour des cons ! » De source diplomatique, le jour de la disparition, la copine de Steve se trouvait « chez une de ses amies, à Munich » , où elle voulait partir pour poursuivre ses études. Gohouri aurait tenté de l’appeler dans la soirée, sans succès. Puis aurait téléphoné à sa mère, en tenant des « propos incohérents » . Autant de pistes qui semblent conforter l’hypothèse d’un acte désespéré.

Enquête en eaux troubles

Mais la famille refuse d’y croire, malgré l’autopsie. « Cela ne colle pas avec sa personnalité » , pose la demi-sœur, la voix étranglée. Une intuition confirmée par Régis, qui s’interroge dans ses nuits sans sommeil : « Ce n’était pas le genre de mecs à se jeter dans le fleuve. Et puis, s’il avait vraiment voulu se suicider, le connaissant, il aurait laissé un message pour expliquer son geste. Surtout à sa mère, dont il était vraiment très proche. Là, nous n’avons aucune explication ! » Alors quoi ? À l’aube d’un nouveau défi sportif, le joueur semblait vouloir partir sur de nouvelles bases, en faisant table rase du passé. « Son agent, Franck Rauchdach, venait de lui trouver un club plus ambitieux, où il allait gagner 17 000 euros par mois. Il devait bientôt signer pendant le mercato, les perspectives étaient bonnes. C’est comme si vous offriez un vélo à un enfant, et qu’il se jette sous une voiture avant de l’essayer, ça n’a pas de sens. »

Reste donc l’hypothèse de l’accident, confirmée par un proche du joueur, toujours au journal Bild : « Gohouri était visiblement complètement ivre, et il est tombé dans le Rhin. Il avait en plus une peur panique de l’eau. » Mais ce n’est pas suffisant pour convaincre Blandine, qui oppose une version frontale aux dires du quotidien, connu pour son côté sensationnaliste : « Steve adorait la piscine, il se débrouillait parfaitement dans l’eau depuis tout petit. Alors la noyade, je n’y crois pas non plus. » Pour la famille, c’est sûr, cette disparition cache quelque chose de plus large, et de plus difficile à croire. En témoigne l’attitude de la police outre-Rhin : « Un coup, ils nous disent qu’on peut avoir accès au corps pour l’authentification, le lendemain ils nous disent non, parce que le corps serait trop décomposé. C’est quand même pas croyable ! De quel droit empêche-t-on les parents de voir la dépouille s’ils le souhaitent ? En France, cela ne se passerait pas comme ça. »

Une famille qui ne lâchera rien

« Est-ce que c’est un assassinat, un accident ou un suicide ? » s’interroge ouvertement Jean-Paul Debré, l’oncle paternel, qui suit les derniers rebondissements de l’affaire le portable collé à l’oreille, depuis la terrasse d’un maquis d’Abidjan cerné par les mouches : « Pour le moment, on ne peut rien affirmer ni infirmer. » La police allemande, pourtant, a tranché. En faveur de l’accident. Faute de nouveaux éléments susceptibles de relancer l’enquête, le procureur Anna Stelmaszczyk a annoncé à la presse que l’affaire était classée. « Ce n’est pas possible de ne pas aller plus en profondeur dans les recherches ! » peste Jean-Paul, qui a élevé Steve pendant ses cinq premières années : « On a l’impression que le police ne fait pas le maximum pour élucider ce mystère ! Or, pour nous, c’est très important de connaître la vérité, afin de pouvoir faire notre deuil. »

L’inhumation de l’international ivoirien est prévue vendredi à Abidjan, au cimetière de Williamsville. De nombreuses personnalités sont attendues lors des obsèques. « Je m’occupe d’organiser le rapatriement de la dépouille, car mon frère, resté au village, est complètement effondré. Il est malade, et cette nouvelle n’arrange pas son état. Je me fais presque plus de souci pour lui que pour Steve qui a déjà trépassé. » Blandine, elle, ne compte pas en rester là. « Cela me fait mal de voir Steve ainsi dénigré dans la presse. On l’accuse d’être lié au milieu de la drogue, on dit de lui qu’il était ruiné, dépressif, mais les gens parlent sans savoir. Nous avons de nouveaux éléments, des SMS envoyés à son agent, que nous allons remettre à la justice. Nous n’allons pas abandonner. » En attendant, seules les eaux troubles du Rhin connaissent la vérité.

Dans cet article :
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Par Christophe Gleizes et Barthélémy Gaillard, à Abidjan

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