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Godard est un socio

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Godard est un socio

Dans "Film Socialisme", projeté à Cannes et en salles mercredi, Jean-Luc Godard rend un bel hommage amer au Barça de Guardiola. Avec Patti Smith, l'ex-tenniswoman Cathy Tanvier, le philosophe Alain Badiou et Andrés Iniesta...

Le casting improbable est un art : dans le nouveau (et “difficile ” –terme pudique) Jean-Luc Godard, “Film Socialisme”, projeté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard et qui sort en salles mercredi, on croise Patti Smith, l’ex-tenniswoman Cathy Tanvier, le philosophe Alain Badiou et Andrés Iniesta. Le compère de Xavi au sein du milieu barcelonais, pourtant, n’apparaît pas en chair et en os mais le temps de quelques plans d’archives fulgurants, au milieu de maillots blancs mancuniens, au soir de la démonstration de force des Blaugranas en finale de Coupe d’Europe (2-0).

Le football et Godard, une mélodie en sous-sol mais bien présente tout au long de son œuvre. Comme le montre la récente biographie que lui a consacré Antoine de Baecque (1), JLG est un vrai fan de sport –dans une de ses rares apparitions comme acteur, dans le “Paris nous appartient” de Rivette, on le voit à la terrasse d’un café parisien en train de lire L’Equipe, journal auquel il accorda un entretien remarqué en 2001. S’il est encore plus fan de tennis (le sport le plus cinégénique qui soit avec la boxe), JLG aime le foot, un art qu’il juge plus « vrai » que le cinéma, d’une certaine façon : « Dans les arts, on peut dire : ʺOn marque plein de butsʺ […] et puis, si vous avez une grande gueule ou si vous êtes riche ou si vous êtes une vedette, on vous croit » , déclarait-il y a une quinzaine d’années. Comme toute passion, cet attachement a ses scènes originelles, comme celle-ci que le cinéaste racontait dans un entretien télévisé : « Je me souviens très bien de la fin de la guerre. Je jouais au football et quelqu’un est venu annoncer « La guerre est finie ! ». J’étais gardien de but et comme j’ai tourné la tête, j’ai pris un but » . Godard parle football comme il filme, à coups d’aphorismes fulgurants, paradoxaux ou obscurs ( « Je ne comprends pas pourquoi ils mettent une photo de Zidane en Une d’un magazine de foot, plutôt qu’une photo du ballon » ), mais aussi de plans splendides.

S’il n’a jamais réalisé de film sur le foot (contrairement à un de ses disciples, l’Allemand Hellmuth Costard, avec un essai de cinéma-vérité sur Georges Best, “Fussball wie noch nie”), le cinéaste franco-suisse a parsemé son œuvre de références footballistiques. Dans “Une femme est une femme” (1964), Jean-Claude Brialy joue au golf avec un balai dans son living en écoutant le commentaire radio d’un clasico : « Del Sol à Puskas, Puskas à Del Sol, Del Sol à Di Stefano, Di Stefano à Del Sol… Oh, je pleure parce que le Real est grand aujourd’hui… » . Dans “Numéro deux” (1975), un petit garçon regarde à la télévision la percée victorieuse de Cruyff à la première minute de la finale de la Coupe du monde 1974 contre l’Allemagne, pendant que son grand-père lui demande de « mettre la troisième chaîne » . Dans “Notre musique” (2004), Godard himself lance : « Le communisme a existé deux fois quarante-cinq minutes, au stade de Wembley, quand le Honved Budapest a battu la Hongrie par 6-3 (sic). Les Anglais jouaient individuel, les Hongrois jouaient ensemble » .

Godard n’aime donc que les équipes mythiques, mais qui ont acquis ce statut dans l’agonie. Après avoir tout raflé pendant cinq ans, le Real du milieu des sixties entame son déclin ; les Pays-Bas de Cruyff ont essuyé une défaite impensable face à l’Allemagne ; la grande Hongrie est victime de sa défaite contre la RFA à Berne et des évènements politiques au pays. Sport populaire, le foot est traversé par les pulsions (argent, voyeurisme, violence) de la société. « Pour Godard, c’est simple. Si un c’est la solitude et, sans doute, la folie ; et si deux, c’est toujours la dialectique du couple, […] à partir de trois, c’est la guerre mondiale » , écrivait le critique Serge Daney. On imagine ce que ça peut donner à vingt-deux et 50.000 spectateurs… En 1979, “Sauve qui peut (la vie)”, sans doute le plus beau film de Godard, voit Dutronc lâcher des commentaires scabreux en regardant sa fille jouer au foot ( « T’as encore jamais eu envie de la caresser ou de l’enculer ? » ). “Soigne ta droite” (1987) se termine sur des images d’acteur rejouant, telle une mise au tombeau, le drame du Heysel, survenu deux ans plus tôt, entrecoupées de plans des Rita Mitsouko enregistrant l’album “The No Comprendo”. Et, peu après la finale du Mondial 2006, l’oracle de Rolle lâchait : « A la crucifixion du Christ, ils étaient dix-sept. A la première d’Hamlet, ils étaient cent cinquante. Mais, pour la finale du Mondial, ils étaient deux milliards de téléspectateurs » .

C’est d’ailleurs un genre de crucifixion que donnent à voir les plans d’Iniesta dans “Film Socialisme”. Au ralenti, le joueur s’effondre, trébuche contre un adversaire, finit au sol la tête collée au ballon. Avant et après, on voit des plans de Staline, d’Hitler, de Don Quichotte, d’avions, de canons, on entend flotter les noms d’Hemingway, Orwell, Dos Passos, les fantômes d’une guerre civile perdue par les Catalans. Quelques jours après une défaite, footballistique cette fois, contre l’Inter, Godard disait dans une interview aux Inrockuptibles apprécier le Barça de Guardiola, mais déplorait qu’il ne soit pas vraiment capable d’aligner plusieurs prestations de très haut niveau : « Barcelone n’arrive pas à tenir deux matchs de suite à son niveau. […] Pourquoi n’y arrivent-ils pas ? Quand on n’y arrive pas, on fait moins de matchs » . Comme s’il y voyait la même splendeur inégale et fragile qu’il a souvent attribuée à ses propres films, lui qui disait : « Le cinéma, c’est faire durer un petit peu quelque chose d’extraordinaire » .

Jean-Marie Pottier

(1) Godard, biographie, Grasset.

Fussball wie noch nie

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