- Football italien
- Les belles histoires de l'été
- Épisode 5
Giuseppe Meazza et les filles de joie
Légende du football italien, Giuseppe Meazza avait également un vice : les femmes. Un jour, il a même failli rater un match décisif à cause de l'une d'elles.
Giovanni Brera en a vu passer, des joueurs de football. Celui qui est encore considéré comme le plus grand journaliste sportif italien de tous les temps a traversé les époques. Il a vu Piola, Schiavio, Boniperti, Sivori, Riva, Rivera, Tardelli, Baggio… Mais pour Brera, personne ne dépassera jamais la légende. « Des grands joueurs, il y en avait déjà dans le monde, peut-être même plus forts et plus réguliers que lui. Pourtant, il nous semblait que personne ne pourrait aller au-delà de ses inventions, ses coups brillants, ses dribbles majestueux, mais jamais irrespectueux, ses courses solitaires vers sa victime préférée : le gardien adverse. » Gianni Brera parle là de Giuseppe Meazza. L’immense attaquant de l’Ambrosiana-Inter et de l’équipe d’Italie. 338 buts dans toute sa carrière, trois fois meilleur buteur de Serie A, et, évidemment, deux Coupes du monde remportées. Tellement légendaire que le stade de Milan porte aujourd’hui son nom. Si l’on connaît le joueur de foot, on connaît moins l’homme. Un homme élégant, classe, toujours bien peigné, mais qui avait un vrai faible : les femmes. Et pas forcément les plus recommandables, ni les plus recommandées.
« Assailli par les femmes »
Nous sommes en 1937. Le 14 novembre, très précisément. Au stadio San Siro a lieu le choc de la neuvième journée de Serie A. L’Ambrosiana-Inter reçoit sa rivale sportive, la Juventus. Un match attendu par les tifosi des deux camps. Et pour cause : au coup d’envoi, la Juventus est leader, avec 12 points, tandis que l’Ambrosiana-Inter est deuxième, avec 11 points. Évidemment, les Nerazzurri comptent sur leur maître à jouer, Giuseppe Meazza, pour s’imposer et prendre la tête du classement. Il faut dire que le bonhomme en impose, du haut de ses 215 buts inscrits en championnat en dix saisons avec le maillot noir et bleu. Charisme sur la pelouse, mais également en dehors. Il se raconte que lors des années 30, Meazza était l’un des hommes les plus prisés des demoiselles milanaises. « Il avait les yeux bleus, un regard langoureux, les cheveux plaqués en arrière à la Rodolfo Valentino, racontait notamment Gianni Brera dans la Gazzetta dello Sport. Lorsqu’il entrait dans un établissement milanais pour aller danser, il était littéralement assailli par les femmes. Et il ne se défilait jamais. »
Mais ce 14 novembre 1937, Meazza n’est pas en train de danser. Loin de là. Le match entre l’Ambrosiana-Inter et la Juventus doit commencer dans deux heures. Les spectateurs commencent à entrer dans le stade, et l’attente grandit. Tous les joueurs sont prêts. Tous, sauf un. Giuseppe Meazza. L’attaquant n’est pas là. Aucune nouvelle de lui depuis la veille. La nouvelle ne met pas bien longtemps à se répandre, et les joueurs de la Juventus commencent même à se frotter les mains. Avec ou sans son champion, l’Ambrosiana-Inter n’a clairement pas le même visage. La panique commence à envahir San Siro : et s’il lui était arrivé quelque chose de grave ? Tout le monde savait que Meazza adorait la vitesse et les belles voitures (c’est d’ailleurs lui qui possédait la plus grosse et la plus belle). Et s’il avait eu un accident ? Et s’il était parti loin ? Toutes les suppositions sont émises. Mais aucune réponse. Les minutes s’égrènent et « Pepin » Meazza reste introuvable.
Bordel, doublé et Scudetto
Pourtant, à ce moment-là, un homme sait où se trouve Meazza. Son masseur. Mais il ne pipe mot. Sans rien dire à personne, il quitte le stade, monte dans une voiture avec un autre passager, et les deux hommes prennent la direction du centre de Milan. Ils savent exactement où ils vont. Leur véhicule s’arrête devant une maison. Mais pas une maison normale, non. Une maison close. Un bordel, comme on avait alors l’habitude de dire. Le masseur pénètre dans les lieux, toque aux portes. Rien ici. Rien là. Et puis, là, au détour d’un couloir, dans une petite chambre exigüe, il finit par tomber nez à nez avec Meazza. Il est 14h, et l’attaquant dort profondément aux côtés d’une fille de joie. Il ronfle, même. Il reste une heure avant le coup d’envoi du match, prévu à 15h. Le masseur réveille « Pepin » , qui s’étonne à peine de sa présence ici. « Dépêche-toi, le match est dans une heure ! » lui crie-t-il. Meazza ne bronche pas, se lève, s’habille et dévale les escaliers sans même prendre le soin de se laver le visage.
Dans la voiture, Meazza se confie au masseur, qui se révèle d’ailleurs être son plus proche confident au sein du club. Il lui parle d’une « nuit d’amour longue et torride » . De là à se sentir fatigué ? Tu parles. « Je me sens comme un lion. Tu m’entends ? Un lion. » Meazza débarque dans l’enceinte de San Siro à peine un quart d’heure avant le début du match. Il déboule dans les vestiaires, enfile son maillot, l’éternel numéro 9, noue ses lacets et court sur la pelouse. Il reçoit une ovation du stade San Siro, soulagé de le voir là, sain et sauf, et à des années-lumière de se douter qu’une heure plus tôt, l’idole était au plumard avec une prostituée. Et alors ? Alors, Meazza ne trahit pas son public. Le « lion » plante un doublé décisif, pour une victoire 2-1 de l’Ambrosiana-Inter. Un succès qui permet donc aux Nerazzurri de prendre la tête du classement. « Tu as failli me faire avoir un infarctus » , lui dira au terme de la rencontre le président du club, Ferdinando Pozzani. À la fin de la saison, l’équipe de Meazza sera sacrée championne d’Italie, avec deux longueurs d’avance sur la Juventus. Plaisir jusqu’au bout, Giuseppe Meazza s’est, lui, éteint le 23 août 1979. Deux jours avant de fêter ses 69 ans.
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