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Giroud, beau comme un sous-neuf
On le pensait intouchable aux yeux du sélectionneur. Et pourtant, Didier Deschamps l'a laissé sur le banc au profit d'Ousmane Dembélé face à l'Australie. Mais Olivier Giroud est entré, et Olivier Giroud a fait la remise qu'il fallait pour que la France gagne, à l'arrache. À croire que l'attaquant de Chelsea a besoin qu'on le sous-estime pour briller. En atteste son parcours.
« Je suis qui pour dire à un joueur qu’il n’a pas le niveau ? Qu’il ne jouera jamais en Ligue des champions ? » À l’autre bout du fil, Mécha Baždarević l’a mauvaise. L’interview d’Olivier Giroud en 2012 dans L’Équipe n’est toujours pas avalée, six ans après. Le Bosnien aurait dit du futur international français qu’il n’avait pas « le niveau pour jouer en Ligue 2, encore moins en Ligue 1 » . L’ancien coach de Sochaux et Grenoble a toujours contesté : « Tout ça, ce sont des conneries, le journaliste à l’époque a coupé la phrase en deux, l’a sortie de son contexte. » Il faut dire que critiquer Giroud est une activité qui se pratique en collectivité. Presque un sport national. Depuis qu’il est entré dans les petits papiers de Didier Deschamps, le Savoyard a essuyé toutes les comparaisons possibles avec les autres attaquants sélectionnables. En particulier Karim Benzema.
À tel point qu’à la veille de France-Australie, il n’y avait personne pour protester contre son absence du onze français. À la fin du match, les mêmes observateurs qui réclamaient sa tête se sont résignés à le voir de retour. Parce que dans une attaque atone face aux Socceroos, les entrées conjuguées de Blaise Matuidi et du Blue de Chelsea ont sauvé les fesses des Tricolores. La remise parfaite de l’Olive pour Paul Pogba sur le but de la victoire a quant à elle rappelé une évidence : même contesté, le champion de France 2012 avec Montpellier fait son travail. Une constante de sa carrière, déjà valable en 2001, quand Pierre Mankowski convoque le numéro 9 avec les U16 français. Pour la seule fois de sa vie : « On avait une pré-sélection de 70 gamins, envoyés par les clubs régionaux, et nous on devait établir une première sélection nationale à partir de cela. » Giroud passe à travers les mailles, car à l’époque, « deux ou trois autres joueurs à son poste paraissaient en avance » .
L’imbroglio avec Mécha Baždarević
Difficile de reprocher à la Direction technique nationale de ne pas avoir plus cru en un joueur qui ne donne pas l’impression d’être un monstre. Mais qui s’installe tout de même tranquillement à Grenoble, où de l’avis de Clément Fabre (aujourd’hui milieu à Louvain), « personne n’est surpris de voir Olivier s’illustrer petit à petit avec l’équipe première » . C’est Yvon Pouliquen qui lui donne sa chance en pro, en début d’année 2007, et lui permet de claquer son premier pion face au Havre de Steve Mandanda, avec qui il dispute désormais la Coupe du monde. Mais l’idylle entre Giroud et son club formateur prend du plomb dans l’aile quand Mécha Baždarević arrive sur le banc de Grenoble quelques mois plus tard.
Selon le technicien bosnien, Giroud voulait des garanties qu’il n’était pas en mesure d’offrir : « Ce n’était pas le seul joueur disponible, je ne pouvais pas lui dire« Tu joueras à chaque match », mais c’est ce qu’il voulait. » Nassim Akrour, qui évolue à l’époque au GF 38, reçoit alors un appel de Bertrand Benoît, président du FC Istres en National. « M. Benoît, malheureusement décédé aujourd’hui, c’est comme un papa pour moi, il m’appelle pour avoir des infos sur Olivier. Je lui dis clairement de le prendre, et je vais ensuite parler à Olivier :« Attention, Mécha ne va pas te faire jouer, cela ne va pas être comme avec Yvon, il n’y aura pas d’opportunité. Alors qu’à Istres, que tu partes en prêt ou en transfert, tu vas pouvoir te forger un caractère, progresser. » » Le futur joueur de Premier League pèse le pour et le contre, et se résout à couper le cordon. Bien lui en prend : il s’impose dans un championnat de National rugueux.
L’avant-centre qui valait 80 000 euros
« Quand il arrive, on le découvre, mais on sait que le club croit en lui, que les dirigeants ne l’ont pas pris sans bien avoir étudié son cas » , se souvient le milieu droit Matthieu Bochu. Il avait déjà un gros gabarit, donc quand on l’a vu arriver pour être notre point de fixation devant, on se doutait qu’il allait faire du bien. » Son entraîneur, Fred Arpinon, se souvient qu’il a « rapidement trouvé sa place grâce à un gros caractère, alors que le club était dans une spirale négative avec les descentes de Ligue 1 en Ligue 2 et de Ligue 2 en National » .
Dans des joutes viriles face à des hommes plus expérimentés, Giroud claque quatorze buts et commence à attiser les convoitises. « En fin de saison, on a compris que Baždarević n’était pas très chaud pour le récupérer, alors j’ai demandé à mes dirigeants de bouger sur le dossier, de racheter ses dernières années de contrat. À 80 000 euros, on pouvait le faire… » , rembobine Arpinon, aujourd’hui dans l’encadrement technique à Metz. Mais c’est le Tours FC qui agit le plus promptement et offre à Giroud l’opportunité de se jauger à l’étage supérieur.
L’explosion en Ligue 2
Après un tour de chauffe sur la saison 2008-2009, le grand gaillard casse la Ligue 2 la saison suivante, avec 21 pions en 38 apparitions. « Cette saison-là, je peux vous garantir qu’il était intouchable, personne pour émettre une critique » , sourit Clément Fabre aujourd’hui. L’année de transition avant l’explosion, un schéma qui se reproduit entre 2010 et 2012 à Montpellier, premier club de Ligue 1 à miser sur le bonhomme. « Aux premiers entraînements, il ne m’a pas spécialement impressionné, se remémore Cyril Jeunechamp, taulier du Montpellier de René Girard. D’ailleurs, sa première saison est mitigée, mais il explose à la seconde, marche carrément sur l’eau, car le coach lui a maintenu sa confiance. Et aussi parce qu’il a énormément bossé. »
À Tours déjà, Giroud joue la prolongation après les entraînements selon Clément Fabre : « Il restait pour claquer des reprises de volée, ou d’autres situations types devant le but. Quand la plupart des joueurs étaient déjà sortis de la douche, lui était encore sur le terrain. » De quoi expliquer une saison 2011-2012 avec Montpellier où, de l’avis de Jeunechamp, « il réussit quasiment tout ce qu’il tente et nous permet d’être champions, avant d’être recruté par Arsenal » .
Se nourrir de critiques
Aujourd’hui, cela fait six ans que le sosie de Benoît Costil – ou l’inverse – est parti à Londres. Un choix de carrière prolifique qui lui a permis de s’installer en Bleu dans des proportions au-delà des attentes. Mais au prix de nombreuses remises en question. « Sa carrière est juste impressionnante, désolé, mais on parle d’un grand joueur » , plaide Fabre, quand Jeunechamp s’étonne de son côté « qu’Arsenal s’en soit séparé » . De l’avis de tous ceux qui l’ont connu, Giroud est un éternel incompris et sous-coté, en partie parce qu’il n’a pas le profil de l’attaquant moderne, dribbleur ou sprinteur.
« Les comparaisons avec Benzema, c’est un non-sens, car ce sont deux profils différents, tranche Jeunechamp, pour qui Giroud a toujours répondu présent. Qu’est-ce qui est le plus parlant quand on estime le niveau d’un attaquant ? Les chiffres. Et ceux de Giroud sont sans équivoque. » Vrai : l’ex-Gunnerest actuellement le troisième meilleur buteur de l’histoire des Bleus. Mais à en croire Matthieu Bochu, ce n’est pas plus mal que certains continuent de dénigrer son ancien partenaire : « Toutes les critiques, toutes ces remises en question, je pense qu’il le vit bien et s’en nourrit. C’est un peu l’histoire de sa carrière. Partout où il est passé, il a à chaque fois dû prouver, et à chaque fois cela l’a aidé. C’est mieux pour lui qu’on le critique, cela le pousse à ne jamais se reposer sur ses lauriers. » Problème : depuis le match contre l’Australie, le Giroud-bashing s’est atténué…
Par Nicolas Jucha
Tous propos recueillis par Nicolas Jucha