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Giraumont, mine de footballeurs pros

Par Adrien Hémard-Dohain, à Giraumont

Inconnu du grand public, le village minier de Giraumont a pourtant longtemps été un gisement inépuisable pour le football français. Avec 14 joueurs professionnels dont 6 internationaux français, la commune lorraine affiche un ratio record. Une histoire enfin célébrée lors du week-end de Pâques, en présence de Michel Platini.

Giraumont, mine de footballeurs pros

Quand on parle de football ouvrier en France, on pense d’abord à Saint-Étienne, Lens ou Sedan. Mais en ce samedi de Pâques, c’est un autre bassin industriel qui célèbre ses héros qui ont troqué la pioche pour les crampons : Giraumont, ancienne cité minière, qui a fait sa fortune en extrayant le fer de ses sous-sols. Pour atteindre la bourgade de 1400 âmes en périphérie de Metz, il faut serpenter le long de la voie verte des bords de l’Orne, après être sorti de l’A4. Au loin, le stade de la Butte se dessine, avec ses projecteurs vétustes, ses buts et sa main courante rouillée. On le longe presque sans le regarder, avant d’entrer dans le bourg. Là, plusieurs gilets jaunes font face à un service d’ordre, sur le parvis de la mairie, tandis que I Will Survive, Volare et Seven Nations Army tournent en boucle. Mais pas de manifestation au programme en ce samedi de Pâques. Aujourd’hui, on fait la fête dans ce village qui a vu grandir 14 joueurs professionnels, dont 6 internationaux tricolores et trois meilleurs buteurs de Ligue 1. Le tout en présence de Michel Platini.

Vigipirate, Los Angeles et immigration

Lorsqu’il descend de son SUV allemand, qu’il a conduit jusque-là, Platoche arrive en voisin. Quelques minutes plus tôt, il était de passage à Jœuf, son village d’enfance situé à une quinzaine de kilomètres un peu plus au nord. Le teint hâlé, Michel Platini profite d’un bain de foule dès la sortie de la voiture, avant de prendre la parole, au pupitre sur le fronton de la mairie : « C’est la première fois que je viens à Giraumont. Si je suis là aujourd’hui, que je suis venu du sud de la France, ce n’est pas parce que je suis un représentant du football national ou international, mais parce que je suis le fils de l’Aldo. Et l’Aldo, il adorait Giraumont. Il avait une estime fantastique pour le club, les joueurs et surtout pour Jean Strasser (coach historique de l’AS Giraumont, NDLR), qui était son idole. J’ai vécu avec Giraumont, Jean Strasser, toute ma vie. » Face à lui, 200 invités applaudissent. « On est un peu débordés », reconnaît Stéphane Heili, attaché de presse de la Ligue du Grand Est qui orchestre les festivités. « Le service de sécurité, c’est obligatoire pour Michel Platini, surtout qu’en plus des invités, on attend 300 personnes au moins ensuite face à la statue. Et à cause du plan Vigipirate, tout le monde ne peut pas entrer dans l’exposition. » Pour l’occasion, Romuald Turci, fils de Jean-Pierre Turci (pro à Boulogne et Lens), a même fait le trajet depuis Los Angeles : « Dans ma famille, on a eu quatre professionnels nés à Giraumont, je devais être là ! »

Si Giraumont voit sa population augmenter de plus d’un tiers en ce samedi, ce n’est pas seulement pour voir le bronzage de Platoche et profiter de la douceur du printemps lorrain. Avant la prise de parole du triple Ballon d’or, le maire de la ville Jean-Claude Maffei, le sous-préfet et le président de la Ligue Grand Est Albert Gemmrich ont eux aussi taquiné le micro pour raconter l’histoire, improbable, d’un village qui a connu son apogée lors des Trente Glorieuses, lorsque sa mine de fer faisait sa richesse. Un village qui, comme beaucoup dans le bassin minier, a vu des travailleurs polonais et italiens venir s’installer. Mais un village qui, et c’est unique, est devenu une pouponnière de footballeurs professionnels, glanant même deux titres de champion de France amateur (1955, 1959) et se hissant en 16es de finale de Coupe de France face à Bordeaux en 1955. « Cette pépinière exceptionnelle demeure un mystère. Pourquoi ici, pas à côté ? Le hasard ? La qualité des hommes ? La volonté de sortir de la mine ? », énumère face à la foule Gemmrich, également champion de France avec Strasbourg en 1979. La réponse se situe au milieu de tout ça, et, pour aider à y répondre, une exposition a été installée dans les couloirs de la mairie. La taille du bâtiment à elle seule souligne l’âge d’or d’un village qui a connu 2000 habitants à sa grande époque, mais redevenue une anonyme commune de la périphérie messine depuis la fermeture des fosses. « Il était temps qu’un hommage soit rendu officiellement, pour les prochaines générations », clame Gemmrich.

Albert Gemmrich a découvert l’histoire de Giraumont lors d’un tirage de coupe régionale, en présence de Michel Platini et Bernard Zénier. Natif du village, ce dernier raconte : « Avec Michel, on lui a dit qu’il ne connaissait pas la plus grande ville de football du monde, il croyait qu’on se foutait de lui. » Et non. Le meilleur buteur de D1 en 1987 reprend : « Je suis d’ici, mon père et trois de mes oncles ont été footballeurs aussi, mais c’était partout pareil en Lorraine. Que ce soit des bassins miniers, textiles ou sidérurgiques, il y a eu plein de belles équipes et de grands joueurs qui sont partis abreuver le football français. Mais Giraumont, c’est particulier, avec un ratio très important, c’est comme ça, il y avait un nid. Il y avait surtout un très grand entraîneur, qui sublimait les garçons qui avaient déjà de la qualité. » Le fameux Jean Strasser, idole de Platini père et fils, omniprésent dans l’exposition de la mairie.

Des sourires au regret

Les maillots des six internationaux qui sont nés ici (Bernard Zénier, son oncle Bruno Rodzik, Marcel Adamczyk, Jean-Claude Piumi, respectivement 5, 21, 1 et 4 sélections) ou y ont grandi (Serge Masnaghetti et Edouard Kargulewicz dit Kargu, 2 et 11 capes) trônent fièrement dans la pièce, entourés de diverses reliques et de toutes les licences du club, disparu il y a 25 ans. « Ce n’est pas propre à Giraumont, c’est le cas de beaucoup de clubs de villages lorrains qui ne sont plus soutenus par les industries, qui ont disparu. C’est compliqué maintenant d’avoir de bons clubs en Lorraine, mais j’espère que d’autres prendront la relève », souffle Bernard Zénier, alors que l’AS Giraumont aurait fêté ses 90 ans en ce printemps. Après une petite demi-heure dans ce musée provisoire, la délégation d’officiels (dont 70 élus de la République) quitte la mairie, décorée pour l’occasion. Direction la stèle des mineurs, à 300 mètres de là, où une statue célébrant cette « mine de football » va être dévoilée par Michel Platini, entre deux berlines de la mine reconverties en bac à fleurs. Cette fois, le public est autorisé. Plus de 300 personnes, de tous âges, attendent sous le soleil. Pour Michel Platini, impossible de ne pas s’arrêter signer quelques autographes (y compris sur une photo de… Zidane) et poser sur quelques photos. « La dernière fois que je t’ai vu, c’était à Séville », lance un grand enfant, tout heureux de rencontrer son idole. Pas avare d’un bon mot, Platini répond : « Je ne vous ai pas vu, désolé, mais j’ai bien vu l’arbitre ! »

À côté de la statue, sur la place verte où les galibots tapaient leurs premiers ballons, une petite scène a été montée. De nouveaux discours se succèdent : le maire de la commune, Albert Gemmrich, reprend la parole, pas Platini. Au nom du Comité des internationaux de France, le fils de Jean-Pierre Piumi évoque « ce petit village où les grands hommes sont à leur place », « ce romantisme du football qu’on perd de vue » et « le devoir de mémoire nécessaire car, si beau et rutilant soit un arbre, il a besoin de ses racines ». La foule apprécie, Carlo Molinari aussi. L’ancien président messin est passé en ami, et salue tout le monde. Mais il s’éloigne, volontairement, au moment où Michel Platini et Bernard Zénier découpent, en compagnie du maire, le ruban de la nouvelle statue. On y voit un footballeur perché en haut d’un chevalement, sur un casque de mineur. À côté de l’artiste local, Platini glisse un joli compliment : « C’est très beau, c’est vraiment du beau travail. »

Puis le numéro dix ressort son stylo pour signer de nouveaux autographes, avant d’être exfiltré par son service de sécurité. Les festivités se prolongent pour autant, à côté du stade actuel, transformé en pelouse de rugby. Quelques photos de la grande époque traînent en souvenir au milieu des stands de gaufres. Au moment de quitter Giraumont, avant de reprendre la voie verte le long de l’Orne, vers l’A4, un petit détour conduit au stade de la Butte, aperçu en arrivant, et dernier vestige de la grande époque de l’AS Giraumont. Tout ici est hors d’usage, puisque le football, comme la mine, a déserté les lieux il y a 25 ans. « Cette histoire méritait d’être mise en valeur, et Michel est venu parce qu’il est sensible à tout ça. Grâce à aujourd’hui, peut-être que quelqu’un voudra relancer l’AS Giraumont », espère Bernard Zénier, dernier enfant du pays à avoir connu le niveau professionnel. À Giraumont, tout le monde garde pourtant le sourire. Le regret, le seul, c’est Albert Gemmrich qui le formule : « Je ne peux que regretter que cette journée n’ait pas eu lieu trente ans plus tôt, en présence de ces footballeurs, eux-mêmes. »

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Par Adrien Hémard-Dohain, à Giraumont

Propos recueillis par AHD. Photos : AHD

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