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Girard le Girondin
Avant d'être un entraîneur de Ligue 1 détesté des équipes adverses et adoré de la presse française, René Girard a été un joueur de football. Et un bon, en plus. Une carrière qu'il débuta à Nîmes avant d'exploser aux Girondins de Bordeaux durant les années Claude Bez.
30 novembre 2014. Au Parc Lescure, le LOSC vient de perdre 1-0 sur un but de Diabaté après une partie plutôt équilibrée. Dans les tribunes en raison d’une suspension, René Girard était aux premières loges pour observer la défaite de ses hommes. Comme à son habitude, le technicien ne fait pas dans la finesse en conférence de presse : « Il ne faut pas être chounard pour perdre un match comme ça » . Une expression qui traduit moins l’état d’agacement de Girard que son passé de footballeur. Sans en accorder forcément la paternité au bordeluche (l’argot bordelais), « chounard » est le genre d’expression que l’on entend plus que de raison du côté du marché des Capucins et derrière les mains courantes de matchs de district de Gironde Atlantique. Un environnement que René Girard a sans nul doute côtoyé lors de son passage aux Girondins de Bordeaux pendant huit ans, entre 1980 et 1988. Soit la meilleure période de l’histoire du club marine et blanc.
À moitié crocodile, à moitié pitbull
D’ailleurs, ce faste fait football du côté du Haillan, l’entraîneur du Lille OSC n’y a pas été étranger. Avant de signer pour les Girondins, ce Gardois né à Vauvert a porté la tunique du club du coin : le Nîmes Olympique. Monté en équipe première à l’âge de dix-huit ans, il s’impose deux ans plus tard comme numéro 6 dans une équipe principalement composée d’éléments du centre de formation, encadrés par Michel Mézy, Jean-Pierre Adams ou encore Gilbert Marguerite. À l’époque, les Crocos font chier la France du foot, capables de terminer 4es de Division 1 en 1975, puis 13es deux saisons plus tard. Girard, lui, joue l’aboyeur de service lorsqu’il ne mord pas les mollets de ses adversaires. Comme une évidence. Mais pas que, plantant quelques jolis buts au passage, comme il l’expliquait dans nos colonnes il y a quelques années : « Si on veut retenir que j’étais un joueur engagé, très bien, mais j’étais un milieu qui a mis 50 buts et pas n’importe comment. Des reprises de volée, des retournés… »
Un profil qui n’indiffère pas Aimé Jacquet, fraîchement nommé entraîneur des Girondins et mandaté par Claude Bez pour faire de Bordeaux une place forte du foot français, voire européen. Girard débarque donc à 26 ans au Haillan, à l’été 80 en compagnie de François Bracci, arrivé de Strasbourg, et de Marius Trésor et Jean Fernandez, en exil après la descente de l’OM en D2. « Le jour où il est arrivé à Bordeaux, on était en stage de préparation à Aix-les-Bains. On est à table quand il arrive, on s’est salués gentiment, mais ce n’était pas l’exubérance, détaillera Alain Giresse dans 20 Minutes. Au bout de deux jours, quand on avait un peu fait connaissance, Bernard Lacombe vient lui parler à côté de moi et lui dit :« Tu sais, on est contents que tu sois avec nous ». « Ha, c’est gentil », a répondu René.« Non, mais c’est surtout que l’on préfère t’avoir avec nous que contre. »À Nîmes, on passait de sales moments face à lui ! »
« Lui, il aurait maîtrisé Hrubesch »
Après une saison d’acclimatation, le Gardois devient une pièce incontournable du Bordeaux de Jacquet, situé juste derrière l’imparable trio Tigana-Giresse-Lacombe. L’entraîneur de Lille finit par gratter quelques sélections en équipe de France, découvre la fraîcheur du « carré magique » de Michel Hidalgo et traverse les Pyrénées pour jouer le Mondial espagnol en 82, en compagnie de quatre autres Bordelais (Giresse, Lacombe, Tigana et Trésor). Un tournoi pour l’équipe de France qui aurait pu connaître une tout autre issue que celle qui continue à hanter le football français d’après Marius Trésor, toujours dans les colonnes de 20 Minutes : « En 1982, lors de France-Allemagne, c’est dommage que dans la composition, il n’y ait pas eu de milieu de terrain comme René Girard quand Battiston s’est fait sécher par Schumacher. Lui, il aurait maîtrisé Hrubesch. » Dans les tribunes malgré ses quatre matchs joués durant la compétition, Girard ne peut qu’observer le drame de Séville 82. Il se consolera en marquant son seul but en Bleu lors de la petite finale, perdue 3-2 face à la Pologne. Mais ne retrouvera plus jamais l’équipe de France.
Pas grave : en club, les Girondins sont enfin devenus la machine à gagner tant désirée par ce voyou lumineux de Claude Bez. Champions de France en 1984, 1985 et 1987, double vainqueur de la Coupe de France en 1986 et 1987, les Marine et Blanc termineront également dauphins de Division 1 en 1983 et 1988. Sans parler de leur parcours européen, stoppés par deux fois en demi-finale, d’abord en C1 face à la Juventus de Platini et Boniek en 1985, puis en C2 par le Lokomotiv Liepzig en 1987. À chaque fois, Girard est de la partie. Et si les Girondins sont aussi irrésistibles, c’est parce que le Gardois n’a pas son pareil pour ressortir des ballons propres et donner tout le confort nécessaire aux experts de l’offensive que sont Giresse, Lacombe, Müller, puis, un peu plus tard, Vujović. Comme un symbole, le retour de Girard vers le Nîmes Olympique de ses débuts à l’été 1988 sonne le glas du Bordeaux millésimé. La méthode Claude Bez ne marche plus aussi bien qu’avant, malgré une seconde place acquise en Division 1 lors de la saison 1988-89, et le club finira par être rétrogradé financièrement, à l’orée des 90’s. Même si le seul et unique départ du technicien lillois n’explique pas la chute de Bordeaux, il faut néanmoins reconnaître une chose : les Girondins de Bordeaux ont été bien « chounards » d’avoir un joueur comme Girard pendant huit ans.
Par Matthieu Rostac