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Giorgos Karagounis : « Certains ont mal parlé de la Grèce en 2004, mais on était les meilleurs »

Propos recueillis par Alexandros Kottis

Champion d’Europe 2004 et joueur le plus capé de la sélection grecque (139 matchs), Giorgos Karagounis est considéré comme le GOAT du football hellène. Dans un entretien exclusif, il revient sur le sacre surprise de l’Ethniki au milieu des ténors européens, évoque l’équipe de France et l’état actuel du football grec.

Georgios KARAGOUNIS of Greece celebrates during the Quarter Final European Championship match between France and Greece at Jose Alvalade, Lisbon, Portugal on 25 June 2004 ( Photo by Alain Gadoffre / Onze / Icon Sport )?
Georgios KARAGOUNIS of Greece celebrates during the Quarter Final European Championship match between France and Greece at Jose Alvalade, Lisbon, Portugal on 25 June 2004 ( Photo by Alain Gadoffre / Onze / Icon Sport )?

La France accueille la Grèce pour les éliminatoires de l’Euro 2024, vous voyez l’Ethniki créer la surprise ?

Ce ne sera pas un match facile, c’est certain. La France est le grand favori pour la première place du groupe, mais si on veut se qualifier, il va falloir prendre quelques points là où on ne nous attend pas. On doit se battre pour chaque match, avoir l’ambition de prendre les trois points à chaque fois. Si on repart avec quelque chose, ce sera très positif. Les Pays-Bas et l’Irlande, nos concurrents pour la deuxième place, ont perdu contre la France, donc si nous, on peut gratter des points, on prend un avantage sur eux. Même si, évidemment, on s’attend à un match très difficile.

Comment vous jugez l’équipe de France ?

C’est une équipe très complète. À la Coupe du monde, il leur manquait énormément de grands joueurs, et pourtant, elle a été à un cheveu de remporter le Mondial. Ça montre bien qu’elle a une très bonne équipe, une organisation solide, avec un effectif et un entraîneur toujours compétitifs. Il y a une telle gamme de footballeurs !

Le match France-Grèce, ça doit vous évoquer des bons souvenirs, non ? 

Notre victoire contre la France (en quarts de finale de l’Euro 2004, 1-0, but de Charisteas, NDLR), c’est le plus grand succès dans l’histoire du football grec. On a joué contre une des meilleures équipes de France de tous les temps, championne d’Europe en titre, avec de nombreux champions du monde 1998, Zidane, Henry, Vieira… Après cette victoire, j’ai dit qu’il ne pouvait plus rien nous arriver. On ne pouvait plus craindre personne.

On a battu le pays hôte, avec Figo, Ronaldo, Deco, etc. Pas une, mais deux fois. Et on fait partie des rares champions d’Europe qui n’ont pas gagné un seul match aux tirs au but. Ça en dit long.

Giorgos Karagounis

Comment on aborde une telle rencontre dans la peau du petit Poucet ?

Personnellement, je respecte toujours mes adversaires, d’autant plus des joueurs de ce calibre. Mais à aucun moment, je n’ai eu peur. J’avais dit à mes coéquipiers qu’on avait réussi à être parmi les huit meilleurs d’Europe, peut-être que ça n’arriverait plus jamais. On avait une chance unique, peu importe s’ils étaient meilleurs en face, il fallait qu’on donne tout pour la saisir. C’était notre moment. On s’est battus et on a obtenu une grande victoire, méritée, face à une immense équipe.

Presque 20 ans après l’Euro 2004, comment vous analysez le sacre de la Grèce ?

Pour remporter un tournoi, il faut des joueurs de qualité, un bon groupe, et un entraîneur capable d’emmener l’équipe. Nous, on avait des très bons joueurs, avec de la qualité. Il faut se rappeler qu’avant ce tournoi, plusieurs joueurs étaient déjà arrivés en finale de l’Euro espoirs contre l’Espagne. Donc cette génération avait déjà montré ses qualités. On a eu la chance d’avoir un entraîneur, Otto Rehagel, qui a réussi à trouver des équilibres et créer un groupe, ce qui n’est pas si simple en Grèce. Et sur le terrain, on a montré une grande force collective, c’était très difficile de nous battre. On mérite complètement notre titre de champions d’Europe. On a battu tous les grands, on n’a pas joué un seul match contre une « petite » équipe, on avait le groupe le plus difficile (Portugal, Espagne, Russie). On a battu le pays hôte, avec Figo, Ronaldo, Deco, etc. Pas une, mais deux fois. Et on fait partie des rares champions d’Europe qui n’ont pas gagné un seul match aux tirs au but. Ça en dit long. Certains ont mal parlé de la Grèce, mais on était les meilleurs. On mérite largement ce titre.

En quoi ce titre a changé votre carrière ?

Moi, j’ai continué de travailler, d’être optimiste, de vouloir gagner. Et j’ai réussi à maintenir la sélection grecque compétitive sur les dix années qui ont suivi. Ça a une valeur comparable à la victoire à l’Euro. On s’est qualifiés pour deux Coupes du monde (2010 et 2014) et trois Euros (2004, 2008, 2012) en dix ans. Et on a réalisé de beaux parcours, on est parmi les 8 meilleures nations européennes en 2012, parmi les 16 meilleurs au Mondial 2014… On a réussi de très grandes choses pour un petit pays comme la Grèce. La victoire à l’Euro nous a ouvert l’appétit, ça nous a donné de la confiance, on a réussi à transmettre cette mentalité aux jeunes joueurs qui intégraient la sélection… Pendant des années, la Grèce était huitième au classement FIFA. Pour moi, c’est comme gagner un autre Euro, parce que rester au sommet, c’est ce qu’il y a de plus compliqué. Et nous, on a réussi.

 

Mais depuis la fin de carrière de votre génération, le football grec est en chute libre…

Oui, c’est vrai. Il n’y a jamais eu de bonnes infrastructures, et avec la crise économique, de nombreux investissements dans le football ont été coupés. Moins de clubs grecs disputent les compétitions européennes, contrairement à notre époque où on réalisait des épopées jusqu’en quarts ou demi-finales de Ligue des champions. Peut-être que la génération suivante est arrivée trop vite en haut, et a eu du mal à faire preuve de caractère dans les moments difficiles. Et puis les acteurs du milieu ont abîmé ce qu’on avait réussi à mettre en place. C’est très difficile de construire, beaucoup plus facile de détruire. Et une fois que tu es dans une spirale négative, c’est très difficile de tout reconstruire.

C’est quoi les solutions pour sortir de cette spirale ? Tout commence par les infrastructures. Il faut donner aux jeunes les moyens de jouer au football dans des bonnes conditions pour développer leurs talents. Il faut que les acteurs du milieu prennent leur part de responsabilité, fassent plus confiance aux jeunes joueurs grecs. Mais je pense que les jeunes générations ont aussi beaucoup de distractions avec leurs téléphones, les réseaux sociaux. Le football n’est pas toujours la priorité. Pour nous, il n’y avait que le foot, rien d’autre. On aimait vraiment aller aux entraînements, on attendait avec impatience les matchs du dimanche. Je ne sais pas s’il y a la même envie aujourd’hui, la même concentration. Il y a beaucoup de travail pour changer les choses en Grèce.

Ça ne coûte rien de rêver, moi je passais mon temps à rêver. Et comme l’État grec est incapable de donner espoir aux jeunes, nous, on le fait. En Grèce, tu ne peux rien attendre de personne.

Giorgos Karagounis

Vous parlez en tant que joueur le plus capé de l’Ethniki (139 sélections), considéré comme le GOAT du football grec… Mais moi, j’aimais énormément le foot. Je dormais avec un ballon, dis-toi ! Quand je suis parti de mon village (Pyrgos dans le Péloponnèse) et que je suis arrivé à Athènes, quand j’ai commencé à jouer avec le Panathinaïkos, je me suis dit que je ne rentrerais pas sans avoir réussi. Je donnerais ma vie pour réussir dans le foot. C’était mon objectif. Dans le sport et dans le football, il y a beaucoup de moments difficiles, beaucoup de déceptions. Bien plus que de moments de joie. Mais ce sont des marchepieds vers la réussite, c’est grâce à ça que tu forges ton caractère, que tu vas développer ton envie. Il ne faut pas avoir peur de l’échec et de la déception, et être capable de faire des sacrifices. Je suis souvent passé par là. Mais pour rester longtemps au haut niveau, il faut beaucoup d’amour.

C’est ce que vous essayez de transmettre avec l’association créée par les champions d’Europe 2004 ? On a reçu tellement d’amour qu’on essaye de le rendre aux gens. On veut aider comme on peut, en partageant nos expériences, en laissant une trace, un héritage. Si on parvient à influencer un ou deux jeunes et à les pousser à poursuivre leurs rêves, on aura réussi. Quand on a des rêves, on peut réussir beaucoup de choses. Ça ne coûte rien de rêver, moi je passais mon temps à rêver. Et comme l’État grec est incapable de donner espoir aux jeunes, nous, on le fait. En Grèce, tu ne peux rien attendre de personne.

Vous parlez de rêves, vous avez réalisé les vôtres ? Je crois, oui… Je voulais jouer pour l’un des plus grands clubs grecs et j’ai passé une bonne partie de ma carrière au Panathinaïkos. J’ai mis mon pays sur la carte du foot. J’ai été sur le podium d’un Euro avec toutes les sélections, troisième avec les jeunes, deuxième avec les espoirs, champion avec les A. Je suis très fier. J’ai réussi à jouer en Europe : à l’Inter, à Benfica, à Fulham. J’ai vécu plus que ce que je pouvais imaginer.

Un prono pour le match ? (Il rigole.) 0-1, ce sera le meilleur résultat.

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Propos recueillis par Alexandros Kottis

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