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Gilles Cioni : « Cahuzac voulait être sapeur-forestier »

Propos recueillis par Thomas Andrei
9 minutes
Gilles Cioni : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Cahuzac voulait être sapeur-forestier<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Lorsque l’on voit Sébastien Squillaci, Romaric ou Miloš Krasić évoluer sous le maillot bleu, on a du mal à se rappeler que Bastia évoluait en National il y a seulement trois ans. De cette époque, il ne reste que quatre joueurs. Yannick Cahuzac, Wahbi Khazri, Féthi Harek et le moins connu d’entre eux : Gilles Cioni. À 29 ans, le petit latéral se bat pour être titulaire au sein d’une défense 100 % corse. Passé par le Paris FC, il est probablement celui qui représente le plus le côté « antithèse du PSG » que le Sporting aime se donner.

Gilles, comment avez-vous préparé ce match contre Paris ?Comme les autres matchs. De toute façon, la motivation, quand on joue Paris, Lille, Monaco ou Marseille, elle vient d’elle-même. Ce n’est pas sur ces matchs-là que le coach a le plus à insister sur la motivation. Il faut prendre conscience de nos forces et nos faiblesses ; Paris c’est 450 millions de budget, nous c’est 20 millions. Quand on dit ça, on a presque tout dit. On va juste essayer de faire un match très sérieux, la solidarité sera là.

Vous avez fait une sorte de randonnée avec le groupe aussi, non ?Oui, c’était… épique. On a monté le San Petrone (deuxième plus haut mont de Corse qui culmine à 1 767 mètres, NDLR), les derniers mètres étaient assez abrupts. C’était dur, mais c’était magnifique. Là-haut, on voit le Cap, la plaine, presque toute la Corse. On l’a fait avec des producteurs de châtaignes, la châtaigneraie corse est menacée et on en a profité pour délivrer un message de soutien. Le châtaigner est un arbre emblématique chez nous. On a joué le jeu. C’est sûr que Miloš Krasić a dû se demander ce qu’il faisait là… Il était un petit peu interloqué, il se demandait où il avait atterri. L’ambiance nustrale (en lien avec la culture corse, NDLR), ça change de la Juve et d’Istanbul ! Mais ce qui est beau, c’est de transmettre ça, en tant que Corses, à des joueurs qui viennent de signer. Qui pourtant chantent, tapent des mains… Ils s’identifient à nos valeurs. Sinon, celui qui a eu le plus de mal à monter, c’est un lion, mais c’est Hervé Sekli, l’entraîneur des gardiens. Il va bisquer de lire ça !

Vous parliez de solidarité tout à l’heure. Vous avez déclaré à Corse Matin qu’elle est encore plus forte lorsque vous jouez à quatre Corses derrière.
Oui, je n’ai pas eu de mauvais retours… Ensuite, on joue avec tout le monde avec autant d’abnégation. On fait les efforts pour tout le monde. Mais dans mon cas, se retrouver à côté de François-Joseph Modesto qui m’a vu grandir, avec qui j’étais tout le temps fourré parce qu’il jouait avec mon frère quand il était gamin à Furiani, ça revêt un sentiment différent. De jouer avec Cahu, avec Jean-Louis Leca, avec Julian Palmieri avec qui j’ai été formé depuis l’âge de quinze ans, il y a une dimension d’amitié, presque familiale. On ne fait plus l’effort pour un coéquipier, on le fait pour un ami. Ensuite, il ne faut pas faire du corse pour le plaisir. Les Corses qui jouent, jouent parce qu’ils ont le niveau. Quand on se retrouve sur le terrain, on retrouve cet esprit Squadra Corsa. On se bat pour notre frère. Le coach s’est identifié aux valeurs corses, mais il n’est pas fou, il ne va pas prendre onze Corses pour qu’on joue en National.

Parmi les Corses, il y a François Modesto qui a mis du temps avant de signer… Il est heureux de son choix ?Il est très heureux d’être revenu. De revivre à Bastia. De revoir tous ses amis d’enfance. Et si certains avaient des doutes sur son niveau, il a su montrer qu’il était là. J’en suis fier. Il m’a presque vu naître. Je l’ai connu en 88, j’avais quatre ans et j’étais sur toutes les photos. Avec son pauvre papa qui m’avait tout le temps aux bras. Il y avait celui qui tenait le ballon et celui qui me tenait moi. On s’est connu sur le vieux stade de Furiani Agliani, sur la route du village. On se connaît depuis 25 ans, j’en ai 29.

Vous avez joué avec le Sporting en National. Qu’est-ce qui a changé depuis ?En quatre ans, le club a fait un bond en avant phénoménal. J’ai le souvenir d’être arrivé dans un club avec une ambiance tendue. On n’était pas encore sûrs de rester en National, on pouvait encore être envoyés en CFA. On s’entraînait, on essayait de faire abstraction, mais avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Avec des joueurs qui descendaient dans un championnat amateur, un club en pleine reconstruction, avec cette tribune Sud… Par terre ! Il y avait trois marches. Quand on voit le club maintenant, avec 11 000 abonnés, 15 000 personnes à tous les matchs, c’était inespéré. C’est un soulagement. Le club n’a jamais perdu de son attractivité, mais le fait d’avoir eu Jérôme Rothen en Ligue 2, Mickaël Landreau en Ligue 1, ça appelle des Toto Squillaci derrière, des Miloš Krasić. C’est énorme d’avoir retrouvé ça.

Quand vous étiez en National, vous pensiez atteindre ce niveau ? Que ce soit la Ligue 1 ou votre niveau personnel.En revenant en National, je ne pensais pas qu’on allait monter en Ligue 1 l’année d’après. Mais on avait une très belle équipe, une belle dynamique. Ensuite, à mon niveau, je pensais que mes limites étaient celles d’un bon joueur de Ligue 2. En fait, je m’aperçois que j’ai ma place en Ligue 1. Le travail est toujours récompensé.

Vous parliez de Jérôme Rothen. C’était bizarre ce départ de Bastia, puis ce départ de Caen. Il a pété un plomb ?Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la tête de Jérôme. Je sais que le coach voulait le garder. Après, son rôle aurait peut-être changé et ça ne lui convenait pas. Je ne l’ai plus eu depuis l’an dernier, mais je n’ai jamais eu de problème avec lui et il nous a beaucoup apporté. À 35 ans, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il ait pété un plomb. J’aurais aimé qu’il reste, dans le vestiaire c’était quelqu’un avec qui on rigolait beaucoup. Je crois qu’il va venir voir le groupe sur Paris et c’est sympa. Je pense qu’il était très attaché à Bastia, et à la Corse. Il a pourtant connu l’équipe de France, une finale de Ligue des champions, mais je pense qu’il ne s’attendait pas à cette ferveur de Furiani envers lui. Il en a été très touché.
« J’ai eu les larmes aux yeux quand j’ai vu François Modesto marquer »
Vous avez joué au Paris FC. Comment voit-on le PSG quand on joue là-bas ?Le PSG, ce n’était pas celui d’aujourd’hui déjà. Mais il fait figure d’ogre dans la capitale. Il vampirise tout. C’est très dur pour un autre club d’exister. Je ne suis pas sûr que nos dirigeants de l’époque avaient de bonnes relations avec le PSG. Il n’y avait pas de relation, de prêts de joueurs. C’est deux schémas de vie totalement opposés. Le PSG était bling bling, et nos dirigeants de l’époque misaient beaucoup sur la formation, sur le social. Les jeunes des quartiers Est de Paris, du XXe. C’est dommage que le Paris Saint-Germain ne prête pas de bons jeunes aux autres clubs parisiens pour qu’ils montent en Ligue 2. C’est la seule capitale européenne qui n’a pas deux clubs dans l’élite, pourtant il y a la place.

Vous avez une licence d’Histoire. C’est une passion que vous continuez à alimenter ?Je regarde toujours les reportages à la télé déjà. Je suis très Guerre froide, les deux conflits mondiaux, j’adore ça. Surtout la seconde. Et l’histoire contemporaine, de la fin du XIXe à maintenant, où se mêlent politique, géopolitique, j’aime bien. Quand je ne comprends pas certains conflits actuels, reprendre le passé me permet de comprendre le pourquoi du comment. Le Mali, la France, les intérêts de la France au Mali, des trucs comme ça. Les intérêts américains en Asie, les conflits dans la Péninsule arabique… On ne comprend pas toujours tout, l’Histoire aide.

Dans quelle mesure le Sporting fait-il partie de l’histoire de la Corse ?Le Sporting a brillé en France et en Europe à la fin des années 70. Au moment où il y a eu ce mouvement de Riacquistu (renouveau, NDLR). Au moment où les mouvements nationalistes émergeaient. Forcément, les gens se sont identifiés à ce club. Tout est parti de là. La victoire en 81. Cette équipe a marqué beaucoup de gens. Quand je jouais au Paris FC, les supporters qui avaient la cinquantaine étaient émerveillés par Claude Papi, Johnny Rep. Quand on parle de de Johnny Rep à Bastia, c’est comme si Zlatan jouait chez nous en ce moment !

Ou Miloš Krasić…Exactement ! Bon, il n’a pas été deux fois finaliste de Coupe du monde, mais bon. Sans vouloir matraquer, voilà, ça coule de source : le Sporting fait partie du patrimoine de la Corse. Et tout est parti des années 70. Du renouveau de la langue, de la culture corse. Le Sporting a écrit ses plus belles pages au moment où il y avait une forte revendication identitaire. Le club retrouve la Ligue 1 dans les années 90. En 92, les nationalistes avaient fait des scores énormes. On peut associer le Sporting avec ce renouveau.

À Bastia, il y a deux Gilles. Vous et Gilles Simeoni (leader nationaliste, avocat d’Yvan Colonna, candidat à la mairie de Bastia, NDLR). Vous êtes impliqué en politique ?
Ça m’intéresse beaucoup. Dans ma famille, on a toujours parlé politique. Bon, je ne suis pas inscrit à Bastia, donc ça me sauve… Mais je pense qu’on va avoir un beau spectacle avec les municipales de 2014. Ça va être assez serré. Il y a une équipe en place depuis des années, mais Gilles a ses chances de passer. Ensuite, des fois, il y a des alliances contre nature au second tour, des revirements de situation… Mais je pense qu’à Bastia, ça va être assez rock’n’roll, oui.

Yannick Cahuzac est plutôt écolo, n’est-ce pas ?Cahu, c’est un écolo ! Il voulait être sapeur-forestier. Il défend les animaux, il ne faut pas toucher un chien, un chat… Il est très nature.

Vous êtes un vrai Bastiais. Vous pouvez nous raconter le Sporting de quand vous étiez petit ?J’ai signé ma première licence au Sporting en 93. Le club m’a presque vu naître. J’y suis arrivé en poussins. À l’époque, on suivait aussi un peu l’OM, mais quand j’ai mis le pied au Sporting, il n’y a plus eu un seul autre club. Je n’ai jamais supporté un autre club. Ça fait partie de moi, de ma famille. Il n’y a pas un jour qui se passe sans qu’ils parlent du Sporting. Même quand j’étais à Paris, j’avais toujours Cahu au téléphone, Jean-Louis Leca aussi. À Bastia, il ne se passe pas un jour sans qu’on ait une pensée pour le Sporting. Voilà la place que le club a dans la ville.

C’est vrai que vous avez failli pleurer lors du but de François Modesto à Saint-Étienne ?Ah oui. J’ai eu les larmes aux yeux quand j’ai vu François. J’ai eu une émotion énorme. Il n’y a qu’à voir les images de François quand il marque. Si on ne l’arrête pas, il fait dix tours de terrain ! C’est des choses qui se perdent dans le football. C’est là que ça prend tout son sens quand c’est des Corses. C’est les tripes qui parlent. J’ai sauté sur François alors que j’étais sorti, je me suis fait engueuler par le quatrième arbitre. C’était un moment fabuleux.

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