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Gil Avérous : « Je suis plutôt pro-supporters »
Il a pris ses fonctions fin septembre, et son calendrier, entre deux sorties running, est notamment déjà rythmé par le ballon rond. Crise du football français, chants homophobes, héritage des JO... Entretien avec le nouveau ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, Gil Avérous.
Qu’est-ce qui vous prédestinait à être un jour ministre des Sports ?
Je ne sais pas si on est prédestiné à être ministre des Sports, mais, au-delà de mon intérêt pour le sport, je pense que c’est le fait que je sois un élu local. C’était une volonté forte du Premier ministre d’avoir dans son équipe des élus locaux. Sur les sujets qui sont ceux de mon ministère – le sport, la jeunesse et la vie associative –, les problématiques sont avant tout menées localement. Même s’il y a un cadre national, on sait que le sport se fait dans chaque ville et village du pays, que ce sont les clubs locaux, avec leurs bénévoles, qui vont chercher les jeunes, monter des équipes, entraîner ces jeunes. Sans eux, ça ne peut pas fonctionner. Ma casquette d’élu local a, de plus, été renforcée par les Jeux et le fait que Châteauroux, la ville dont je suis le maire, a accueilli les épreuves de tir avec succès et en un temps record après l’abandon du site de La Courneuve. Je suis un élu convaincu que la politique, au sens noble du terme, se sent par la proximité et ça passe par le bord des terrains de foot, de rugby, dans les gymnases, sur les pistes… C’est là où on sent une partie de la vraie vie, les attentes.
À quel point avez-vous fréquenté ces bords de terrains, de pistes ?
Gamin, j’ai commencé à faire du sport à l’école. En même temps, j’ai pratiqué le tir au pistolet à 10 mètres. Un peu le golf, aussi. J’avais la chance d’avoir dans mon département (l’Indre) un petit golf, construit par un agriculteur. Son fils était dans ma classe, donc on allait jouer ensemble. Après, j’ai pratiqué un petit peu la course à pied. Je viens d’une famille nombreuse. J’ai quatre frères et deux sœurs. Mes frères jouaient tous au foot, donc j’allais souvent passer mon temps au bord de la rambarde des Bordes, un petit village à côté d’Issoudun. Après, je suis né un 12 juillet, donc mes 25 ans ont été marqués par le sacre de 98.
La fête a ressemblé à quoi ?
À quelque chose d’incroyable. Je m’en souviens encore : on est dans un appartement, avec mes frères et sœurs, on regarde le match, puis on part à Issoudun, qui est la grande ville du coin, les rues sont noires de monde, et là, il y a une conscience nette de la capacité fédératrice du sport.
Vous avez retrouvé ça pendant les JO ?
Il y a eu beaucoup de « JO bashing », mais je crois que les gens n’avaient plus conscience de la capacité qu’a un tel événement pour rassembler des publics de milieux totalement différents. On a vu beaucoup de gens rassemblés et pas que des passionnés de sport, ce dans une sérénité incroyable.
C’est ça que vous gardez des JO ?
Il y a trois choses qui m’ont marqué. D’abord, en effet, cette sérénité. Tout le monde a parlé, par exemple, d’un Paris calme, agréable, avec des policiers et gendarmes souriants, loin des confrontations vues lors de grèves des mois précédents. Ensuite, la fierté générée. Le patrimoine a été mis en valeur, mais aussi nos sportifs. Je suis allé au conseil européen des ministres des sports il y a trois semaines, à Porto, et chaque ministre a commencé sa prise de parole en remerciant la France pour les JO, l’image renvoyée de l’Europe. Enfin, le fait que ça a été un événement populaire sur tout le territoire, même là où il n’y avait pas d’épreuves. Ça a été au-delà d’un Paris qui a quand même redoré son blason, alors que la ville avait été beaucoup critiquée en amont.
Il y a France-Israël ce jeudi, qui est très attendu, une semaine après les événements d’Amsterdam, il y a eu l’organisation d’une finale de Ligue des champions en 2022 qui a été plutôt catastrophique… Est-ce que les JO ont suffisamment rassuré sur la capacité du pays à accueillir un événement majeur et risqué ?
Oui, même si, pour les JO, ma peur était plutôt liée à une attaque terroriste. Je pense que la France avait parfaitement pris la dimension du risque. On a vu le développement de forces de l’ordre. Je l’ai vu, aussi, de mon côté, à Châteauroux. Rien n’a été laissé au hasard et rien n’est jamais laissé au hasard. Toutes les natures de risques ont été prises en compte, et notre pays est préparé à faire face à tous types de risques, même les plus improbables. On a, d’ailleurs, peut-être plus en France la culture du risque qu’ailleurs. Souvent, on a l’impression qu’on est moins bien que nos voisins, mais on anticipe les choses de très bonne manière. Il y a un vrai savoir-faire. On l’a prouvé et on va continuer de le faire.
On a beaucoup parlé d’un « esprit JO ». Comment ça s’entretient ?
Faire vivre les Jeux au-delà de l’année 2024, c’est évidemment la question. Aujourd’hui, ça occupe beaucoup, beaucoup de personnes, de commissions, que ce soit à Paris 2024, au parlement, au Sénat, à l’Agence nationale du sport. Il y a un héritage matériel, et il y a aussi un héritage immatériel, qui est l’impact sur la pratique sportive. On le mesure déjà avec une nette augmentation du nombre de licenciés, que l’on doit entretenir au moins jusqu’à la prochaine olympiade. Ici, on a deux ministères, et le meilleur héritage qu’on peut laisser, ce n’est pas un projet de loi technique, mais plutôt un plan action jeunesse, pour la génération future. On veut que nos jeunes aient tous les outils pour s’engager et pratiquer un sport. Le sport est un moyen de s’insérer dans la société et doit le rester. On travaille et on va travailler là-dessus dans plusieurs ministères. D’ici la fin de l’année, on continue à interroger tous ceux qui sont liés au sport pour nous faire remonter les propositions. Mi-janvier, on va réunir tout le monde. D’ici là, toutes les fédérations auront renouvelé leur gouvernance et on pourra présenter un plan qui sera soumis à la représentation nationale.
Depuis votre arrivée, vous avez vite pris plusieurs dossiers de front et vous avez reçu en début de semaine une lettre de l’Association nationale des supporters, qui vous a accusé « d’instrumentaliser le football et les tribunes à des fins de communication politique ». Avez-vous été surpris ?
C’est, déjà, bien mal me connaître parce que j’ai beau faire de la politique nationale, je ne fais pas de politique politicienne et de communication. Ils ont un ressenti qui est loin de la réalité. Je suis ministre des Sports et je suis là pour défendre le côté fédérateur du sport. Si on attend de moi que je sois quelqu’un qui ne s’oppose pas aux propos homophobes, aux propos racistes, aux violences… J’ai toujours travaillé en cultivant la proximité et le sens du contact. Je vais bientôt recevoir l’ANS, ce qui était déjà prévu. La date n’était juste pas fixée. Je vais aussi faire un tour des stades de France pour aller à la rencontre des supporters, ville par ville. Je suis allé récemment à Lens, pour le derby, et j’ai échangé avec quelques supporters au débotté, mais je veux vraiment les écouter. Je veux sortir d’un système où tout le monde s’oppose. Il faut échanger, ce que l’on a fait, par exemple, avec le PSG, après le tifo face à l’Atlético de Madrid. Introduire un tifo dans un stade est déjà une dérogation à la règle. Tout ça a toujours été fait en bonne confiance avec les clubs et il faut que cela continue. Le sujet, là, a été le caractère politique du tifo déployé face à l’Atlético de Madrid. Qu’on le veuille ou non, ce n’était pas un message sportif.
Oui, mais il y a une liberté d’expression à prendre en compte et l’UEFA n’a, d’ailleurs, pas été dans votre sens et n’estime pas ce tifo provocateur ou insultant.
Sauf qu’on ne peut pas dire qu’en France, ce tifo n’a pas soulevé un émoi certain. « Free Palestine », ce n’est pas un message sportif. Nous, ce qu’on dit, c’est simplement que la provocation politique n’a pas sa place dans un stade ou, plus généralement, sur un terrain de sport, tout comme la violence. Je tiens aussi à le dire : on parle du PSG, parce que la couverture médiatique est forte, mais c’est un club plutôt exemplaire dans la manière de tenir son enceinte et ça fait longtemps qu’il n’y a pas eu de violence au Parc. C’est un peu injuste d’attaquer le PSG là-dessus parce qu’ils font beaucoup d’efforts. Et moi, je suis plutôt pro-supporters. Plus il y aura de supporters autour du terrain, dans les enceintes, plus il y aura de la joie, plus je serai heureux. En revanche, je ne peux pas tolérer les dérives. Il ne faut pas me demander d’être angélique, car je ne le serai pas, mais je pense être toujours quelqu’un de constructif, à l’écoute. Encore une fois, le sport doit être fédérateur et ne doit pas rabaisser. Personne ne doit aller au stade avec la peur au ventre, celle d’entendre des chants… Nos enceintes doivent être des enceintes de plaisir.
Quid des sanctions ?
Je pense que quand on arrive à une suspension temporaire de match, c’est déjà un échec, que quelque chose qui n’aurait pas dû arriver est arrivé. On doit ramener de la sérénité. On veut des chants, du soutien, mais il y a des choses qu’il ne faut plus accepter, que la société n’accepte plus.
Cet arrêt temporaire est dans le protocole de la LFP depuis plusieurs années.
Ce qu’on n’a pas réussi à faire jusqu’ici, c’est d’identifier et interpeller les fauteurs de troubles. On doit travailler là-dessus pour de la peine individuelle. Il faut identifier, sanctionner.
Sauf que vous avez tout de suite mis, dans un premier temps, en avant une sanction collective.
Oui, mais c’est le règlement de la FIFA, ce n’est pas le mien, qui dit que s’il y a un rappel à l’ordre, puis que ça perdure, il y a une suspension du match, voire un retour aux vestiaires des équipes. Si on estime que ça ne peut pas continuer, en accord avec les autorités, ensuite, un arrêt définitif peut être prononcé, mais on ne veut pas du tout arriver à ça. Notre souci, c’est qu’il y a 200 interdictions de stade contre 3000 en Angleterre. On doit en prononcer plus que ça, qu’il y ait plus d’obligations de pointage. Ça peut se faire par des procédures administratives et judiciaires, ou par des procédures commerciales, la non-vente de billets à des supporters ciblés par le club. C’est efficace sur le terrain de jeu du club, mais pas à l’extérieur. Je veux juste que tout le monde prenne conscience qu’on est peut-être en train de changer un peu de modèle.
Je veux rencontrer l’@A_N_Supporters, et tous les clubs afin qu’un curseur soit fixé.
Ma méthode, celle de l’élu de terrain que je suis, c’est celle du dialogue et de l’écoute. Ma porte est ouverte.
Travaillons ensemble et trouvons des solutions constructives.… https://t.co/EJ5FJBHnf3 pic.twitter.com/Eaubi2fyCV
— Gil Avérous (@GilAverous) November 13, 2024
Rien que le week-end dernier, des chants homophobes ont été entendus à Lyon pour le derby, au Havre…
Il y a toute une culture à changer, oui, et dans les premiers échanges, on a pu sentir l’incompréhension. Je pense qu’on ne mesure pas, pourtant, l’impact que ça peut avoir sur la jeunesse. J’ai vu lors des retours aux vestiaires que les plus virulents sont assez souvent des jeunes, qui insultent les joueurs, etc. Ce que dit un groupe a un impact énorme sur la jeunesse. Les jeunes répercutent ensuite à l’école, sur les terrains, au stade… Et si on va là-dessus, il y a déjà assez de violence au bord des terrains le week-end, je pense. Ce qu’on appelle une « culture » est en train de devenir une forme d’éducation chez certains et il ne faut pas que ça perdure. Chacun doit prendre ses responsabilités, et l’héritage du foot, ça ne doit pas être de transmettre des valeurs comme ça à la jeunesse. Dans un répertoire de chants, c’est trois ou quatre chants à abandonner.
Fin octobre, vous aviez annoncé une possible défaite pour l’équipe à domicile, sauf que ça complique beaucoup de choses et ça ouvre la porte à pas mal de dérives, non ?
Il ne faut pas arriver à ça. Là, je pense qu’on est un peu dans un jeu de défi à l’autorité. Quand on dit à quelqu’un de ne pas faire quelque chose, il va essayer de le faire, surtout s’il est dans un groupe et pense qu’il ne sera pas sanctionné individuellement, mais encore une fois, la clé de la solution, pour que les choses s’apaisent, c’est la sanction individuelle.
Vous avez aussi vite annoncé la généralisation de la billetterie nominative.
Oui, mais cette billetterie nominative ne règle pas le problème à elle seule. Ce n’est pas suffisant. En revanche, on a des caméras sur tous les terrains. Il y a aussi une logique de proximité, les gens se connaissent, et Bruno Retailleau (le ministre de l’Intérieur, NDLR) a proposé de mettre des gens dans les stades pour les matchs à haut risque, afin de repérer, interpeller, ce qui est l’une des solutions. Je crois plutôt que c’est par l’échange qu’on y arrivera. Pourquoi y sont-ils arrivés en Angleterre et pas nous ? On doit y arriver.
Si on élargit le tableau, que vous voyez Lyon-Saint-Étienne dimanche soir, sans aucun supporter de Saint-Étienne, il y a un souci, non ?
Le problème, c’est que là aussi, c’est une minorité qui affecte une majorité. On interdit un déplacement, souvent, car sur six bus, il y a eu un bus où ça s’est mal passé. On réagit en marquant tous les supporters, alors qu’il y a eu cinq bus sur six sans souci. Parfois, vous avez aussi des supporters qui partent et récupèrent en route des hooligans, des casseurs, vont au match avec eux… Tant qu’on n’arrivera pas à identifier individuellement les fauteurs de troubles, on passera par de la sanction collective.
Vous avez évoqué plus tôt une violence grandissante au bord des terrains amateurs. Ce dossier est clé, aussi, pour vous ?
On le sent partout en France. Hier soir encore, j’étais au téléphone avec mon président de district, dans l’Indre, pour parler d’incidents, et il me disait qu’au niveau national, c’était aussi partout pareil. Sur ces terrains, il n’y a, bien sûr, pas de billetterie nominative, et souvent, ce n’est pas les licenciés qui posent des soucis, mais des parents, des spectateurs… Là, comment faire ? Il faut les interpeller, attendre que la police arrive, mais il faut aussi qu’il y ait une vraie prise de conscience : la violence est anormale et plus on montrera l’exemple au niveau national, plus ça ruissellera au niveau local.
Comment expliquez-vous cette montée de violence ?
La société a évolué en général, avec un accès aux réseaux sociaux, une société devenue d’informations en continu. On voit plus de violence qu’avant, plus directement, et ça banalise ce qui était extraordinaire avant. Il y a 20 ans, on voyait des choses une fois par an qui aujourd’hui sont devenues banales, et le sport n’a pas été épargné. Jeune, alors que vous n’êtes pas forcément formé, que vous ne prenez pas la hauteur nécessaire, ça a un impact, et vous pouvez avoir l’impression que c’est la norme. Il y a un sujet, et je suis très content que le Premier ministre ait souhaité que la santé mentale soit l’élément fédérateur de la grande cause nationale de 2025. À la base, le sport doit justement être un moyen d’éviter la violence, l’isolement, la dépendance au numérique, et doit faire du bien à l’esprit. Le sport doit être au cœur de cette grande cause nationale.
Il y a plus d’un an, dans So Foot, une enquête pointait également une hausse du nombre d’agressions sexuelles dans les stades français. Comment faire, aussi, du stade une zone sûre sur cette question ?
C’est un vrai enjeu pour notre ministère. Les choses ont beaucoup progressé en la matière. Aujourd’hui, la plateforme Signal-sports centralise les signalements dans le monde sportif. On est à six signalements par jour là où on était à seulement un l’année dernière. Sur ces signalements, un sur deux fait l’objet d’une procédure, et début 2025, le ministère va signer de nouvelles conventions avec les fédérations sportives.
Concrètement si, dans une tribune, une personne est agressée, comment peut-elle être accompagnée ?
Elle peut se rendre sur la plateforme, et une enquête sera immédiatement ouverte. Ensuite, dans chaque département, nos inspecteurs, sous-préfets, préfets remontent le fil de ce qu’il s’est passé. Aucune violence, physique ou verbale, ne doit être mise de côté. Il y a encore quelques jours, j’étais à un match et j’ai entendu des propos sexistes. Aujourd’hui, ça ne peut que heurter. Il n’y a aucun plaisir là-dedans et les présidents en ont conscience, mais quand on parle de violence dans les stades, elle est la même que n’importe où ailleurs dans la société. Le peuple des stades est le peuple des villes.
Un autre sujet de ce début de saison est la programmation des matchs de Ligue 2, joués et diffusés le vendredi. Chaque week-end, il y a des protestations.
Et c’est un vrai sujet. J’estime même que ces revendications sont légitimes, mais doivent s’exprimer dans un cadre respectueux. J’ai d’ailleurs échangé avec la LFP à plusieurs sur le sujet. Bein se dit prêt à avancer pour la prochaine saison, le dialogue est en cours, et l’idée est d’éviter les matchs en semaine. Je pense que le vendredi, à 20h, cela ne pose pas de problème et pour la majorité des habitués des stades, les gens du coin comme les entreprises. Le vendredi est plus simple qu’un samedi soir qui coupe le week-end en deux. Oui, c’est plus compliqué pour les déplacements, mais ça reste acceptable. Ce qui l’est moins, c’est le match du lundi, qui n’est bien pour personne. Il faut que chacun fasse un effort, même si je sais également que la diffusion d’un match en semaine à une valorisation supérieure. La LFP reste en soutien.
Justement, vous évoquez la LFP. Son siège a été perquisitionné le 5 novembre dernier. Le domicile de Vincent Labrune l’a également été. Comment avez-vous réagi ?
Quand il y a une enquête, on ne la commente pas. On tirera les conséquences quand l’enquête sera terminée, comme nous prendrons en compte les conclusions du rapport Savin. Ce sont des éléments qu’on observe avec attention.
Vous avez pris vos fonctions dans un contexte compliqué pour la valorisation de notre football. Voir la Ligue 1 être aussi peu valorisée, ça vous inquiète ?
Est-ce que cette sous-valorisation est durable ? Est-ce que la Ligue 1 peut gagner en revalorisation ? Qu’est-ce qui contribue à la dévalorisation ? Il y a beaucoup de questions, en effet. Le combat démarre par le piratage. Plus on sera actif dans la lutte, plus le nombre d’abonnements augmentera, et c’est une priorité. Maintenant, oui, on a peut-être atteint par le passé des plafonds que l’on n’atteindra plus jamais. Le milliard sera difficile à atteindre.
C’était pourtant l’objectif de Vincent Labrune.
Oui, mais quand vous vous présentez à une négociation, vous n’y allez pas en annonçant vouloir récupérer 300 millions. L’objectif était fort, et on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir essayé d’obtenir le maximum, mais il y a eu des évolutions. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’offres de diffusion, de sports à diffuser et même l’e-sport. L’offre se diversifie, il faut intégrer que la valeur de l’offre est moindre, mais peut-être que la télévision n’est plus le seul canal de valorisation. Il y a plein de modèles possibles…
Le risque d’un football français invisible existe-t-il ?
Moi, je ne fais pas partie de ceux qui disent que le spectacle en Ligue 1 ne mérite pas d’abonnement. Il y a une vraie qualité dans nos championnats, mais c’est un peu le mal français. On se compare et on dit que c’est mieux ailleurs.
Globalement, le rapport Savin pointe quand même un décalage, un aveuglement des instances dirigeantes du football français. Vous le sentez ?
Non, je crois que les dirigeants sont conscients des choses. Ils ont conscience que la Ligue 1 est difficilement rentable. Pour la plupart, on parle de présidents qui mettent de l’argent de leur propre poche. Ce qui m’inquiète, c’est aussi le volet territorial. Le sport est une vraie économie de territoire. On a besoin des clubs. Le modèle de l’actionnariat local est nécessaire et il est aujourd’hui en danger. Quand les droits TV apportent la moitié du budget, c’est plus facile, mais on a intérêt à surveiller ça pour ne pas couper nos clubs de l’ancrage territorial.
C’est l’un des passages marquants du rapport des sénateurs Laurent Lafon et Michel Savin.
Le 15 juillet 2024, au lendemain de l’attribution des droits TV à DAZN et BeIN Sports, les représentants de CVC déplorent ouvertement le double jeu de Vincent Labrune dans ce processus. pic.twitter.com/TE23yZZX4w
— Denis Ménétrier (@DMenetrier) October 30, 2024
Ces dernières années, le foot français a quand même perdu un paquet de monuments : Sedan, Bordeaux, Sochaux… Le club de votre ville, Châteauroux, est lui aussi en danger après s’être détaché d’un modèle local.
Si on prend l’exemple de Châteauroux, je peux vous dire que les entreprises locales restent prêtes à aider et que le club reste une réelle préoccupation pour les élus. C’est pareil partout en France. On l’a vu à Sochaux aussi, qui a été un vrai exemple que le foot reste vraiment fédérateur.
Gardons l’exemple de Châteauroux qui est très concret. Vous parlez d’ancrage local, mais le club a un temps été propriété d’investisseurs saoudiens.
Ce modèle était séduisant. Les Saoudiens avaient plusieurs clubs, de niveaux différents, étaient intéressés par notre centre de formation et ils annonçaient vouloir mutualiser les équipements, faire progresser les joueurs… Mais oui, la gouvernance à distance n’a pas fonctionné. Il faut garder une identification locale forte et une incarnation. Le sport doit avoir un impact territorial et un club de foot, c’est un très fort élément du patrimoine local au même titre qu’une cathédrale, une église, une mairie… Quand les Saoudiens m’ont demandé si le stade Gaston-Petit était à vendre, je leur ai d’ailleurs dit que c’était impossible. Vous imaginez un maire vendre son église ?
Qu’avez-vous vu lors du derby du Nord, à Lens ?
Cette ville est un exemple suprême de l’attachement entre une population et son club. C’est, d’ailleurs, ce que les gens attendent : qu’on prenne soin de leur besoin local, de leur préoccupation du quotidien. Dans mon cas, quand je fais le tour des services municipaux, tout le monde me parle de la Berrichonne. Des socios ne vivent que pour ça, n’ont que le stade pour sortie hebdomadaire. Honnêtement, c’est pour ça que quand je vois le courrier de l’ANS, je suis un peu piqué. Je suis vraiment un ministre qui défend les supporters.
Propos recueillis par Maxime Brigand et Ulysse Llamas, à Paris